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Les transports aériens en Corse : à terre et dans le ciel, la gestion irrationnelle d’une économie administrée.

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Au mois de juillet, Volotea a jeté un pavé dans la mare en candidatant au marché d’attribution de la délégation de service public (DSP) pour assurer la continuité territoriale entre la Corse et le Continent, de Bastia et Ajaccio vers Orly et Marseille.

Alors qu’Air France et Air Corsica réclament une compensation financière de 96 millions d’euros, la compagnie Low-Cost espagnole ne demande que 50 M€[1], mettant dans l’embarras la Collectivité de Corse, propriétaire d’Air Corsica et décisionnaire en la matière. Juge et partie, la collectivité pourrait, toutefois, être dérangée par Bruxelles qui supporte en général assez mal ce genre de distorsion de concurrence.

Volotea, qui peut se prévaloir d’un taux de remplissage de ses avions de 94 %, ne reprendrait pas les liaisons entre l’île et Nice qui sont les plus déficitaires.

Cette affaire a le mérite de mettre en lumière la mauvaise gestion du transport aérien sur l’Île de Beauté qui, au XXIe siècle, fonctionne encore comme une économie en partie administrée, au détriment de la bonne santé économique des aéroports, incapables d’investir eux-mêmes dans leur entretien et victimes de la fameuse continuité territoriale[2].

Quelques mois plus tard, la Chambre régionale des comptes de Corse a d’ailleurs publié un rapport sur le sujet qui tombe à point nommé pour éclairer le public sur cette épineuse question.

Les aéroports de l’Île de Beauté sont incapables de financer eux-mêmes les investissements nécessaires à leur entretien.

Jusque dans les années 90, le service public des transports vers et depuis la Corse était encore assuré par l’État, une compétence qu’il a depuis transférérée à la Collectivité de Corse. Ce n’est, toutefois, qu’en 2004 qu’il a transmis la propriétété des quatre aéroports de l’île : Ajaccio Napoléon Bonaparte, Bastia Poretta, Calvi Sainte Catherine et Figari Sud-Corse.

Leur gestion a été déléguée deux ans plus tard par la Collectivité à la CCI (Chambre de commerce et d’industrie) par convention, celle-ci ne comprenant d’ailleurs aucun intéressement au résultat et souffrant de nombreuses lacunes, tant sur le plan économique que juridique.

Contrairement à ce qu’exigent les normes en vigueur, l’Assemblée de Corse n’a pas jugé bon d’adopter un schéma directeur des aéroports alors que la CCI « omettait » de rédiger les rapports annuels et semestriels prévus par le contrat pendant deux ans, puis se contentait de fournir des documents purement descriptifs, sans aucune évaluation de sa propre performance.

Depuis 6 ans, ni la commission de suivi du contrat de concession, ni ses comités techniques ne se sont réunis, faisant douter du sérieux et de l’engagement des parties prenantes dans la gestion de ce dossier.

Le problème réside en ce que l’économie générale de la concession ne s’est jamais remise de la crise sanitaire, malgré de généreuses aides de l’État : en 2021, le bénéfice brut (sans les amortissements) était de 10 % contre 16,1 % en 2019, la capacité nette d’autofinancement tombant à 1,1 %, contre 7,5 % à la même période.

Or, depuis 2015, les charges de personnel et les charges de gestion courantes ont augmenté de 7 et 9 %, et la CCI n’a été capable d’autofinancer que 31 % du programme d’investissement de 44,2 M€, effectué entre 2017 et 2021 ; le reste étant constitué de subventions et de prêts contractés auprès de l’État ou de banques privées.

Avec près de 42 M€ de dettes, le concessionnaire n’est donc pas en mesure de financer seul les travaux futurs, d’un montant estimé à 150 M€ (soit le double de ce qui a été investi sur la période 2017-2022), de rénovation et d’entretien des infrastructures aéroportuaires de l’île, faisant courir des risques pour la sécurité[3] des passagers et pour la bonne exécution du service public.

Contrairement à une exploitation par une entreprise privée opérant sur la base des lois du marché classique, la concession à un acteur parapublique tel que la CCI de Corse peut donc être considéré comme une catastrophe

Le transport aérien de passagers est basé sur un modèle économique sous perfusion publique permanente.

La particularité du système est que la collectivité impose des obligations de service public sur douze lignes (l’activité de fret est extrêmement marginale) dont le trafic était estimé à 2,2 millions de passagers en 2022, sur un total de 4,4 millions de passagers.

Or, le modèle économique des lignes aériennes de l’île fait que la majorité des voyages s’effectue l’été, avec un pic en juillet puis en aout, et un trafic très réduit entre novembre et avril, ainsi que le montre le graphique suivant :

Graphique n° 4 : Trafic aérien mensuel par aéroport en 2021 (en nombre de passagers)

Les compagnies classiques ne s’y trompent pas et organisent la desserte uniquement lorsque leurs lignes sont rentables, un luxe que ne peuvent pas se permettre les lignes subventionnées, dont la part de marché est descendue de 72 à 50 % au cours des 10 dernières années, et dont le taux moyen de remplissage des avions avoisine les 71 %. Un chiffre qui passe en dessous de la barre des 53 % pour un quart des vols et atteint des niveaux ridiculement bas sur certaines liaisons. Il en est ainsi de la ligne Calvi-Nice, dont le taux moyen de remplissage au mois de novembre, entre 2017 et 2021, n’a été que de 33 %. Au total, ce ne sont pas moins de 800 000 sièges qui demeurent vides chaque année.

À cette absurdité de gestion, s’ajoute l’application d’un tarif résident fixe, pour 30 % des passagers, qui entrave le bon fonctionnement du marché, le tout étant, une fois de plus, financé par l’État qui accorde 187 M€ par an de dotation de continuité territoriale (qui couvre aussi les liaisons maritimes) auxquels se sont ajoutés 33 M€ de dotation exceptionnelle en 2022.

En somme, c’est tout un système économique administré qui dévoile ses faiblesses. Par ses incohérences, il grève inutilement le budget de l’État alors qu’un système libéralisé aurait le mérite d’être plus efficient. Dans l’idée de conserver une certaine part de l’esprit de la continuité territoriale, il faut recommander de mettre en œuvre la défiscalisation du prix des billets d’avion ou de bateau entre la Corse et le Continent pour les résidents corses (ce qui aurait le mérite de laisser fonctionner librement le marché), de supprimer le tarif résident et de privatiser les aéroports.


2] Un concept mis en œuvre dès les années 70 et qui se définit comme la garantie, assurée par les pouvoirs publics, pour les résidents corses, de pouvoir se déplacer sur le Continent pour des raisons professionnelles ou personnelles. Elle se traduit notamment par la mise en œuvre d’un tarif social sur certaines liaisons maritimes et aériennes entre la Corse et le Continent : le fameux tarif résident.

[3] S’agissant, par exemple, de la réfection des pistes des aéroports d’Ajaccio et de Bastia.

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2 commentaires

Marc 8 décembre 2023 - 8:44

Bonjour,

Vous le comprendrez aisément à la lecture que je suis résident Corse.

Pour obtenir le statut de résident il faut être accrédité. Auprès de chaque compagnie maritime ou aérienne proposant ces billets au tarif résident. Pour obtenir ces accréditations il faut prouver être résident en fournissant un Avis fiscal. Ces démarches simples sont à renouveler tous les ans.

Ce tarif s’applique uniquement aux billets Aller-Retour au départ de la Corse.

Pour les vols il faut bien reconnaitre que les tarifs sont plutôt intéressants, que s’ils étaient moins intéressants nous le prendrions moins souvent. Ces vols seraient donc encore moins rentables.
Pour les traversées maritimes la différence de prix est beaucoup moins intéressante. Bien souvent le tarif promo est moins cher que le tarif résident.

Le seul vrai avantage de ces tarifs résidents est que les billets sont modifiables et remboursables sans frais.

De plus, si pour « un continental » le voyage en Corse est souvent le rêve d’une vie, demandant d’économiser longtemps une grosse somme d’argent, pour un insulaire il en va tout autrement. Nous avons à nous rendre souvent sur le continent pour des raisons professionnelles, pour des raison de santé, pour voir la famille « expatriée », pour prendre des vacances aussi. Il est assez courant de quitter l’ile 2 à 3 fois par an, parfois à l’improviste quand une mauvaise nouvelle arrive. Ajoutons à cela que le cout de la vie est gigantesque sur l’île et que l’emploi est sinistré, nos revenus sont en général faibles.
Bref, cette aide est devenue indispensable.

Évidement, je reste ouvert à toute discussion. Vendre et non brader les aéroports et les ports ? Pourquoi pas. Il faut quand même voir que ce sont des infrastructures qui ont été bâties avec de l’argent public, parfois multicentenaires. Si on voulait estimer leur valeur de vente ne serait ce qu’au « prix de remplacement », aucune entreprise privée ne serait prête à payer ça. Et s’il fallait les vendre au prix d’achat, ce serait donner les efforts consentis par les générations précédentes, autrement dit le patrimoine, le « bien commun » à des particuliers ce qui serait à mon sens immoral.
Et pour ce qui est des compagnies de transport, les non subventionnées ne sont présentes que quant c’est rentable pour elles, au sommet de la courbe que vous montrez dans votre article. Le restant de l’année, en suivant une logique bien compréhensible de rentabilité, il n’y aurait plus ou presque plus de traversées disponibles par mer ou par air. Coupant l’ile du reste du monde 70% de l’année tant pour les insulaires que pour les continentaux. Aggravant d’autant plus la situation de l’emploi sur l’ile ce qui aurait aussi pour l’État des conséquences financières non négligeables. Quant à couper les subventions lors des mois fastes et laisser faire « le marché » ce serait priver l’État d’une activité lorsqu’elle est rentable pour ne lui laisser que les périodes déficitaires.

Bien sûr, il doit bien y avoir moyen d’optimiser. Il est coutume de dire humoristiquement que la compagnie locale, filiale d’Air France, à plus d’employés que de sièges à bord. C’est très certainement exagéré mais ça donne une idée. Nul doute qu’une optimisation pourrait fournir quelques économies à service rendu égal, nul doute également qu’elle serait loin d’atteindre les millions annoncés dans votre article.

Nous sommes en fait en face d’une nécessité, onéreuse, non rentable pour le privé. Le rôle de l’État est donc bien à propos.

Sauf bien sûr à ce que la France, « une et indivisible » se défasse de la Corse pour ne la louer que 4 mois par an. Là serait un autre débat.

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Henri 14 décembre 2023 - 3:30

Une question bête : comment les liaisons aériennes Sardaigne-Italie se passent-elles ? S’il n’y a pas de gros problème, pourquoi ne pas s’en inspirer dans le cas des liaisons Corse-Continent ?

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