Nous savons au moins depuis le rapport de la commission Delaney : l’éloignement du continent, une géographie montagneuse peu propice à l’industrialisation, l’insécurité globale et la lutte de clans freinant le développement de l’entreprenariat sont les causes qui ont été identifiées comme les barrières au développement de la Corse.
En 1998, l’assassinat du préfet Claude Erignac avait déclenché une vague de violence sur l’île, amenant le gouvernement de Lionel Jospin à enclencher le processus de Matignon en vue d’accorder davantage de compétences à la collectivité de Corse.
Son pendant, le programme exceptionnel d’investissement (PEI), était destiné à accompagner cette démarche sur le plan économique, l’objectif affiché étant de « renforcer les infrastructures de base, améliorer les services collectifs et mettre en valeur l’espace régional ».
En somme un plan d’équipement classique mais qui induisait dans sa définition l’espoir de création d’un effet de levier de la dépense publique sur l’investissement privé.
À cette époque, les compagnies d’assurance avaient refusé d’assurer un certain nombre de bâtiments touristiques par crainte des attentats, faisant peser un sérieux risque sur la confiance dans les relations économiques insulaires, socle nécessaire de la prospérité.
Des investissements publics directs et indirects onéreux …
Au total, comme le note la Cour des comptes, le plan a mobilisé 2 Mds€ de crédits, finançant 683 projets, dont 70 % provenaient de l’État et de la CDC (Caisse des dépôts et consignations) majoritairement fléchés vers les transports (835 M€), dont 375 M€ pour la rénovation des routes et 138 M€ pour celle des voies ferrées, des infrastructures d’assainissement de l’eau (467 M€) et du logement (132 M€).
Le PEI était piloté par un Comité régional de programmation des aides, composé de représentants de l’État et de la CDC, qui s’est contenté de mesurer l’exécution de la distribution des subventions sans être en capacité de mesurer leur impact sur le développement de l’île. Les seuls indicateurs présents dans les documents annexés au projet de loi de finances étant la rapidité d’exécution des projets et le gain de temps de parcours des automobilistes, moyennant quoi, il n’est pas possible de prouver que le plan ait créé plus de valeur ajoutée privée que le montant de son investissement de base.
Dans le projet de loi de finances pour 2023, la dépense fiscale destinée à la Corse est principalement constituée des taux de TVA réduits (notamment celui à 13 % pour les produits pétroliers) dont le coût est estimé à 260 M€ et du crédit d’impôt d’investissement en Corse (102 M€). La facture totale indiquée dans l’évaluation des voies et moyens en projet de loi de finances, 403 M€, ne comprend d’ailleurs pas certaines exonérations de taxes sur les alcools et tabac comme l’avait rappelé la plus haute juridiction financière française dans un référé en 2016. La Cour remarque également, dans sa note d’exécution budgétaire correspondante, que les deux dépenses fiscales les plus importantes n’ont pas fait non plus l’objet d’une évaluation, et ce malgré ses recommandations répétées.
… Qui créent une économie de rente préjudiciable au développement de l’île
Entre 2000 et 2018, la population et le PIB de l’Île de beauté ont crû respectivement de 34 et 56 %. Ces bons chiffres masquent en fait une dépendance au secteur du tourisme et à la rente de service public issue des transferts publics divers et variés (dont le précédent paragraphe ne traite que de la partie extraordinaire).
Selon le dernier rapport sur l’état de la fonction publique, le nombre d’agents publics pour 1000 habitants demeure sensiblement plus élevé en Corse que celui de la moyenne nationale hors Île-de-France (82 ‰ contre 71 ‰), le rythme annuel moyen de croissance de l’emploi public depuis 2011 (1,5 %), étant même le plus important de l’Hexagone.
Entre 2009 et 2018, la part de valeur ajoutée créée par l’administration, près d’un tiers, ne bouge pas et demeure largement supérieure à celle des autres régions françaises (24,8 %), le PIB par habitant étant toujours inférieur de 8 % à la moyenne provinciale, notamment à cause de la faiblesse de l’industrie, secteur traditionnellement le plus sensible aux gains de productivité et au progrès technique.
L’importance du tourisme qui, selon la dernière mesure de l’INSEE, représentait 39 % du PIB de l’île en 2017, engendre également une dépendance à la conjoncture internationale, source de fragilité lorsque celle-ci s’enrhume.
Depuis 2021 et l’extinction du PEI, l’exécutif a annoncé la mise en œuvre d’un plan de transformation et d’investissement pour la Corse (PTIC), doté de 550 M€ devant servir à financer des projets d’infrastructures dont le coût sera assumé par l’État à hauteur de 80%. Malgré l’endettement massif observé ces dernières années, la manne providentielle ne s’est donc pas tarie. À l’image des Outre-mer, la Corse devient, dans une moindre mesure, le tonneau des danaïdes de l’action publique.
Il faut en effet s’attendre à ce que ce flot continu et soutenu d’aides publiques crée une dépendance et viennent se substituer à l’initiative économique locale qui pourrait pourtant fort bien alimenter une fiscalité locale prenant le relais de ces aides de l’État central. La Corse a sans doute les moyens de relever les défis qu’identifiait le rapport de la Commission Delaney et peut-être, ainsi que certains le souhaitent, évoluer vers une autonomie financière. Mais il faut pour cela retirer la seringue. Car la Corse souffre d’être trop biberonnée à l’argent public.