La responsabilité sociale de l’entreprise institutionnalisée par la loi PACTE n’oblige guère les entreprises. Celles-ci doivent désormais « prendre en considération » les enjeux sociaux et environnementaux. Et elles ont la faculté d’inscrire dans leurs statuts « une raison d’être constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Elles peuvent aussi adopter un statut de société à mission précisant les objectifs sociaux et environnementaux qu’elles se donnent. En l’état, la loi ne contraint guère les entreprises sinon qu’elle les soumet à des obligations encore floues et susceptibles de générer bien des conflits de responsabilité. Elle génèrera aussi sans doute des contentieux fiscaux pour les entreprises qui auront déduit de leur bénéfice imposable des charges affectées à des dépenses totalement étrangères à leur objet social, mais conformes à leur « raison sociale ». Car à ce sujet toutes les drives sont possibles. Mais au-delà du texte, le législateur est entrain de modifier l’esprit de l’action entrepreneuriale.
Le G7 a été l’occasion pour de nombreux groupements d’entrepreneurs de vanter leurs engagements en faveur d’une croissance plus inclusive pour réduire les inégalités de tous genres. Mais en réalité, les dirigeants d’entreprises n’ont pas attendu la loi PACTE pour gérer « leurs sociétés au bénéfice de toutes les parties prenantes – clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires » comme le propose le manifeste de 188 grands patrons américains membres du Business Roundtable. Pour faire du profit durable, c’est un passage obligé.
La responsabilité sociale invoquée par les grandes entreprises peut être un argument commercial et un moyen de communication efficace, et tant mieux si l’intérêt privé de chacune concoure ainsi à l’intérêt général. Mais cette idée de vouloir lutter contre les inégalités peut aussi représenter une nouvelle forme de détournement social.
La question mérite donc d’être posée de savoir si cet emballement en faveur d’une responsabilité sociale de l’entreprise ne risque pas de dénaturer le rôle des acteurs du marché et faire des entreprises de nouveaux instruments de l’Etat-providence. Car si les entreprises concernées s’y engagent en se lançant par exemple dans des projets faramineux en faveur de l’égalité ou du climat, sans en attendre aucun retour profitable, ne seront-elles pas en défaut par rapport à leurs actionnaires ? Et ne feraient-elles pas mieux de consacrer cet argent en faveur de la hausse des rémunérations des salariés, de la baisse des prix consentis aux clients, de la consolidation de l’entreprise et de son expansion dans l’intérêt commun de la pérennité de l’entreprise… ? Le paternalisme ancien et honni, quand bien même il eut son utilité, serait alors remplacé par une pseudo solidarité au profit de lointains inconnus mais au détriment de ceux au service desquels Å“uvre l’entreprise. « Vous ne pouvez viser à l’égalité en donnant à certaines personnes le droit de prendre les choses des autres » écrivait Milton Friedman. Il faut éviter que l’Etat-providence déjà omnipotent se double désormais d’entreprises-providences avec les mêmes risques d’impuissance et de prodigalité que ceux qui corrodent trop souvent l’action étatique.
Article publié dans le quotidien l’Opinion (18 septembre)
La loi Pacte va-t-elle créer des entreprises-providence?
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