Avec les déficits abyssaux que nous connaissons en ce moment, les mesures prises sont de nature à inquiéter les plus riches.
Atlantico : Les hausses d’impôts annoncées par le gouvernement toucheront seulement “0,3 % des foyers français”, a déclaré Laurent Saint-Martin, ministre du Budget, sur France 2. Ces augmentations concerneront les ménages les plus riches, sans enfants, avec des revenus d’environ “500 000 euros par an”, soit environ “65 000 foyers fiscaux”. Ces hausses pourraient-elles permettre de redresser nos finances publiques ?
Jean-Philippe Delsol : Ces hausses d’impôts témoignent d’une volonté de taxer davantage les plus fortunés, sans réellement aborder le problème fondamental : la nécessité de réduire les dépenses publiques. Les partisans d’Emmanuel Macron, en particulier M. Darmanin qui s’émeut de la mesure du gouvernement Barnier, ne manquent pas d’air. Certes, ils ont réussi à stabiliser les impôts pendant sept ans, mais à quel prix ? En accumulant 1 000 milliards d’euros de dettes, soit autant d’impôts à prévoir pour les générations futures. En réalité, ils sont les premiers responsables d’une augmentation significative de la charge fiscale, non pas directement, mais de manière différée, pesant sur les générations à venir. On parle ici d’une charge d’environ 140 milliards d’euros par an accumulés en moyenne pour ces futures générations. Ainsi, ces hausses d’impôts s’inscrivent dans une longue lignée de mauvaise politique publique alors que nous pourrions réaliser des économies significatives sur les dépenses publiques.
Quels sont les critères fiscaux qui poussent les foyers les plus riches à quitter la France ? Les nouvelles hausses d’impôts sur les plus fortunés risquent-elles vraiment d’augmenter ces départs ?
Jean-Philippe Delsol : Les critères qui poussent les foyers les plus riches à quitter la France sont multiples mais le premier élément qui entre en jeu, et qui est d’ailleurs le plus décisif, est l’instabilité fiscale. Plus que les taux d’imposition eux-mêmes, c’est l’incertitude sur leur avenir qui inquiète les ménages aisés. Ils craignent que les règles changent constamment. On l’a vu à la fin du mandat Sarkozy et pendant celui de Hollande : les riches et les entreprises ne peuvent pas prévoir sur le long terme lorsqu’il y a tant d’incertitudes fiscales. Ils ne peuvent pas s’engager dans des investissements conséquents si les taux d’imposition risquent de changer brutalement. Cette instabilité est souvent plus dangereuse que l’imposition elle-même. Avec les déficits abyssaux que nous connaissons en ce moment, les mesures prises sont de nature à inquiéter les plus riches. Le deuxième critère, bien entendu, est le montant de l’imposition elle-même. Si la charge fiscale devient trop lourde, cela pourrait pousser certains foyers à quitter le territoire. Le gouvernement a annoncé que ces hausses d’impôts seraient temporaires, mais nous savons bien qu’en France, le temporaire a une fâcheuse tendance à s’éterniser.
Qui peut être considéré comme riche aujourd’hui en France ?
Philippe Crevel : Selon l’Observatoire des inégalités, une personne est considérée comme riche à partir de 3 860 euros de revenus mensuels pour une personne seule. Pour un couple sans enfant, ce seuil est fixé à 5 790 euros et pour un couple avec deux enfants de plus de 14 ans, il s’élève à 9 650 euros. En suivant ce critère, environ 4,7 millions de personnes en France sont considérées comme riches en termes de revenus.
Quel revenu faut-il pour figurer parmi les 10 %, 1 % ou 0,1 % les plus riches en France ?
Philippe Crevel : En 2018, selon l’Insee, pour faire partie des 10 % les plus aisés de la population, il faut avoir un revenu annuel supérieur à 47 990 euros par unité de consommation. Pour les 1 %, ce revenu grimpe à 115 880 euros par an, tandis que les 0,1 % les plus riches gagnent plus de 309 110 euros par an.
Qui sont les « 0,3% » de Français concernés par les hausses d’impôts dans le prochain budget ?
Philippe Crevel : Cette augmentation de la fiscalité pesant sur les très hauts revenus concernera 65.000 contribuables. Payée par les célibataires qui déclarent plus de 250.000 euros de revenus par an, ou 500.000 euros pour un couple, cette contribution représente aujourd’hui soit 3% à 4% d’impôt sur le revenu à payer en plus sur la partie qui dépasse ces seuils de 250.000 ou 500.000 euros.
Qui sont les Français qui choisissent de s’expatrier pour des raisons fiscales ?
Philippe Crevel : Il s’agit souvent de chefs d’entreprise ou de professions libérales, qui peuvent exercer leur activité à l’étranger ou réorganiser leur situation financière pour faciliter leur départ. Ce sont généralement des personnes disposant de patrimoines conséquents, souvent de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Avec un patrimoine d’un ou deux millions d’euros, il est plus difficile de s’expatrier, surtout si l’on est salarié d’une entreprise française. Partir implique un changement de vie complet, nécessitant un nouveau point de chute. En revanche, ceux qui possèdent une entreprise peuvent plus facilement se délocaliser avec l’aide d’un avocat fiscaliste. Cela concerne principalement le 0,01 % des contribuables, bien moins que les 0,3 %.
Il y a déjà eu un choc fiscal sous François Hollande. Sait-on combien de Français ont quitté la France à l’époque ?
Philippe Crevel : Si on regarde les rapports qui avaient été faits à l’époque, les chiffres étaient extrêmement variables. Pour Bercy, il y aurait 15 000 départs pour raisons fiscales entre 2012 et 2015. D’autres données donnent des chiffres plus proches de 100 000.
Combien d’autres pourraient envisager de partir aujourd’hui ?
Philippe Crevel : Aujourd’hui, la mobilité est plus facile qu’avant. On pourrait estimer que des dizaines de milliers de personnes pourraient être tentées de partir si elles faisaient face à un choc fiscal. Le télétravail facilite cette décision, notamment dans les secteurs tertiaires. De plus, un chef d’entreprise peut facilement transférer le siège de son entreprise aux Pays-Bas ou en Belgique et gérer ses affaires à distance. Les technologies actuelles permettent une expatriation fiscale bien plus simple qu’il y a 10 ou 20 ans.
Quel autre impact pourrait avoir une nouvelle hausse d’impôts ?
Philippe Crevel : Plus les personnes sont riches, plus elles peuvent être tentées d’optimiser leur situation financière. Cela signifie que face à une nouvelle mesure fiscale, certaines pourraient ajuster leurs revenus pour éviter la surtaxe, par exemple en augmentant leurs charges ou en privilégiant les dividendes si ceux-ci sont moins taxés. Il existe toute une série de stratégies financières permettant aux plus fortunés de réduire leur imposition, notamment pour les chefs d’entreprise. L’argent redirigé vers ces hausses d’impôts pourrait aussi affecter d’autres secteurs, qui seront désormais moins dynamiques.
Qui sont ceux qui se sont déjà organisés pour minimiser l’impact fiscal ?
Philippe Crevel : Il s’agit principalement de chefs de grandes entreprises qui prennent des mesures pour optimiser leur fiscalité. Les niches fiscales et autres dispositifs légaux sont bien connus et utilisés, tant pour les entreprises que pour les revenus personnels, comme les revenus fonciers.
Le découragement n’est-il pas plus préoccupant que le départ ?
Philippe Crevel : Le découragement lié à la fiscalité peut effectivement avoir un impact. Pour ceux qui ont des revenus très élevés, il existe une volonté de trouver des solutions, que ce soit en partant à l’étranger ou en utilisant des dispositifs légaux pour réduire leur impôt. Mais pour ceux qui ne peuvent pas s’expatrier ni optimiser leur fiscalité, cela peut créer un découragement : pourquoi travailler plus si cela ne rapporte pas significativement plus ? On peut donc assister à une perte d’efficacité et entraîner un rendement fiscal plus faible que prévu.
Sur une échelle de 1 à 10, quel est le risque d’exil fiscal des riches ?
Philippe Crevel : S’expatrier n’est pas toujours facile, surtout si on n’a pas déjà un point de chute organisé. Pour une personne plus âgée, avec des habitudes et des proches en France, c’est plus difficile que pour quelqu’un de 40 ou 50 ans. Avec les mesures chocs annoncées pour le gouvernement, je dirais que le risque d’exil fiscal des individus les plus riches se situe autour 4.
Comment ces départs affecteraient-ils l’économie française, notamment en termes de dépenses, de création d’emplois et d’investissements ? Faut-il redouter un “effet de découragement” ?
Jean-Philippe Delsol : Globalement, ces départs nuisent à l’économie. On l’a constaté dans les années 2010, lorsque l’impôt sur la fortune (ISF) et d’autres taxes visant les plus riches ont provoqué plus de pertes que de gains pour l’État. Bien que le calcul ait été complexe, il a révélé que les départs de ces contribuables fortunés ont entraîné un manque à gagner supérieur aux recettes fiscales perçues. Lorsque ces personnes quittent le pays, l’économie locale en souffre par effet de cascade : leurs dépenses diminuent, ce qui peut se traduire par une baisse des emplois, notamment dans le secteur domestique, ou encore une réduction des investissements et une réduction du soutien apporté dans des domaines comme l’art et le mécénat. Ces effets sont donc préjudiciables à plusieurs niveaux pour l’économie française.
Trop d’impôts tue l’impôt. La courbe de Laffer illustre clairement qu’au-delà d’un certain seuil, augmenter les impôts peut paradoxalement réduire les recettes fiscales. Autrement dit, à un certain niveau, la pression fiscale devient si lourde qu’elle décourage les contribuables — non seulement les plus fortunés, mais aussi ceux ayant des revenus plus modestes — d’investir ou de déclarer pleinement leurs revenus. Les individus adoptent alors des stratégies pour échapper à l’impôt, réorganiser leur patrimoine ou réduire leur activité économique. A l’inverse réduire les impôts à un niveau raisonnable favorise l’activité. En 2018, par exemple, lorsque le gouvernement a instauré une imposition forfaitaire des dividendes à 30%, la mesure a été largement critiquée, certains prétendant qu’elle favoriserait les riches au détriment de l’État. Cependant, les résultats ont démontré l’inverse : la distribution de dividendes a bondi, passant d’une moyenne de 14 milliards d’euros par an à environ 23 milliards. Cela montre bien qu’une fiscalité plus modérée peut stimuler l’activité économique et accroître les recettes fiscales.
Quels sont les leviers que le gouvernement pourrait utiliser pour éviter une fuite fiscale massive tout en augmentant la pression sur les plus fortunés ?
Jean-Philippe Delsol : Le gouvernement a déjà mis en place des mécanismes comme l’exit tax, qui vise à freiner la fuite des contribuables fortunés en leur imposant une taxe sur les plus-values latentes au moment de leur départ. Mais, malgré cela, ceux qui souhaitent vraiment partir le feront, même si cela leur coûte cher. Le vrai problème, c’est que ces personnes ne se sentent plus comprises dans leur propre pays. Elles estiment qu’on les punit pour avoir réussi, innové et pris des risques, et elles en ont assez d’être constamment critiquées, montrées du doigt et ciblées par de nouvelles taxes.
On pourrait certes essayer de rendre plus difficile le départ de ces contribuables, mais à quoi bon ? En réalité, ce que ces personnes recherchent, c’est un environnement fiscal stable et prévisible, pas une fiscalité qui les asphyxie. Si le gouvernement continue de vouloir augmenter la pression fiscale sur les plus fortunés sans se préoccuper des conséquences, nous risquons de voir un affaiblissement de notre économie et un appauvrissement progressif des classes moyennes et supérieures qui appauvrira le pays tout entier. Il serait peut-être temps de se concentrer sur une réduction des dépenses publiques.
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