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La morale au gré de la politique

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L’affaire Griveaux pose de nouveau la question des liens entre morale et politique où pour le moins la confusion est à son comble.

Avec le temps, les facilités que s’est octroyées François Fillon avec l’emploi de son épouse et les costumes que son faux ami Bourgi a voulu lui tailler apparaissent bien mineurs, mais restent quand même en défaut manifeste de la rectitude que les électeurs attendaient de lui. Les comportements outrageusement et frénétiquement vicieux de Strauss-Kahn ont stoppé son parcours politique même s’il a réussi, au prix parfois de transactions sans doute coûteuses, à échapper à toute condamnation pénale. Quoi qu’ait fait Benjamin Griveaux, faut-il critiquer le Russe Piotr Pavlenski qui a mis en ligne des vidéos, qu’on dit plus qu’inconvenantes, obtenues, dit-il, d’une relation consentie avec Benjamin Griveaux ? « C’est quelqu’un qui s’appuie en permanence sur les valeurs familiales, qui dit qu’il veut être le maire des familles et cite toujours en exemple sa femme et ses enfants. Mais il fait tout le contraire », a expliqué M Pavlenski à Libération. En l’état M. Griveaux n’a pas démenti, ce qui ne manque pas de soulever des questions juridiques et morales.

Tout acte répréhensible au regard de la loi mérite d’être condamné même si pour autant tout acte condamnable juridiquement ne vaut pas d’être poursuivi de sa vindicte par l’opinion. Des actes sexuels privés ne sauraient en principe être délictuels et il a même été jugé que M. Strauss Kahn avait pu disposer impunément d’une forme de réseau de prostitution organisée pour autant que cette organisation restait à usage privé. Parallèlement, tout propos fallacieux, mensonger, trompeur, diffamatoire à l’encontre de quiconque peut faire l’objet par ses victimes d’une assignation de ses auteurs. Il faudrait d’ailleurs que les procédures en la matière puissent aboutir à un jugement dans de brefs délais alors qu’il faut parfois des années avant que l’innocence ou la culpabilité de l’un ou de l’autre soit prononcée, quand l’enjeu s’est dégonflé comme une baudruche. La lenteur de la justice, et parfois sa pusillanimité, sont peut-être même la cause de la méfiance à son endroit de l’opinion qui de plus en plus souvent cherche à se faire justice elle-même, sans attendre les tribunaux-escargots. Les réseaux sociaux imposent leur loi dans la précipitation médiatique. Leur paradoxe est qu’ils se déchaînent ici pour condamner un comportement dont souvent ils veulent faire la norme par ailleurs. C’est l’ambivalence et l’instabilité de l’opinion en même temps que l’heureuse expression de ses penchants naturels.

De manière spécifique, depuis longtemps, est puni pénalement « le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui ». Curieusement, depuis 2016, le Code pénal (article 226-2-1) réprime particulièrement, et plus lourdement, la diffusion publique sur Internet de contenus dits pornographiques, sous forme de photos, vidéos ou messages intimes, sans l’accord express de l’intéressé. Cette réforme aurait eu pour intention de protéger les adolescentes confrontées à ces situations ou les femmes victimes de représailles de la part de leur ex-conjoint après des ruptures conflictuelles. En fait ces nouvelles dispositions des articles 226-1 et suivants du Code pénal protègent les acteurs d’actes pornographiques en les assurant de pouvoir mener leurs petites pratiques en toute impunité.

Si le droit accepte ainsi d’immuniser la vie privée, la morale doit-elle le faire aussi ? D’abord, celui qui a un comportement sexuel extraverti prend le risque que cela se sache. Celui qui écrit à un tiers ou lui envoie une vidéo prend le risque que ce tiers en fasse usage. Si Monsieur Griveaux, collaborateur de Dominique Strauss-Kahn de 2003 à 2007, n’avait pas fait d’écart avec sa vie de famille, il n’aurait pas eu à se plaindre que sa vie de famille soit ternie. Si les faits sont exacts, sa réaction apparaît pour le moins surprenante. Il refuse d’assumer la vérité de sa personnalité et révèle toute l’ambiguïté de la mentalité actuelle qui veut de la transparence sans responsabilité, qui exige surtout de la transparence des autres plus que de soi-même. Qui veut faire de la politique sait pourtant que ses faits et gestes sont scrutés. Et ça n’est pas anormal tant chaque homme est un tout. Tous ses pas ont un sens, comme l’écrivait Saint Exupéry. Les électeurs ont le droit de savoir et leur enthousiasme en faveur d’un candidat ne peut naître que d’une attitude franche, entière, honnête autant qu’intelligente. Quand il y a quelque chose de caché, c’est qu’il y a un loup. Celui qui veut être élu, surtout s’il veut devenir président de la République ou maire de la capitale française, il doit être meneur d’hommes, ce qui n’est possible que s’il ne trompe personne sur sa personnalité. Il ne s’agit pas d’attendre de lui qu’il soit parfait, -nul ne l’est-, mais qu’il soit probe pour emporter une adhésion à sa vision.

La politique a ses exigences morales qui ne sont pas nécessairement celles de la morale ordinaire. A tel point qu’on pourrait avoir de la peine à comprendre que les lanceurs d’alerte soient protégés quand ils dénoncent les comportements de l’entreprise ou des entrepreneurs, mais que ceux qui informent les électeurs sur le personnage de leurs candidats soient sévèrement sanctionnés. Les médias réclament la protection de la vie privée et s’insurgent contre la révélation de ces vidéos qui ont gâché la campagne de Griveaux. Mais outre que ce Monsieur Griveaux a sans doute saisi une belle opportunité pour s’enfuir de sa descente électorale aux enfers, il faut rappeler que les médias n’ont rien objecté quand M. Bougi a livré en pâture la vie privée de M. Fillon en faisant savoir qu’il lui avait livré des costumes. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ? Curieuse justice, curieuse morale que les engagements partisans bornent.

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4 commentaires

popol 18 février 2020 - 10:52

Soyez exemplaire
Oui à votre article.Le personnel politique gère les intérêts de la collectivité , qui devraient à priori l'être avec encore plus de soin que les intérêts privés .Ils orientent , conseillent ,contraignent, décident à notre place, il n'est pas possible de confier nos intérêts à des gens instables, imprévisibles….très différents de l'image du CHEF qui tire ses collaborateurs par son souci des autres , charisme.et qui est respecté pour son comportement exemplaire .
Où est le charisme d'un individu qui souhaite se cacher parce que son comportement serait sa vie privée…

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Teisserenc 18 février 2020 - 11:27

L,impossible Monsieur Griveaux
Ah ! Comme cet article sur la responsabilité de Griveaux est nécessaire. D’après les réactions de journaux et de politiques, plus prêts à défendre un collègue en semblant ignorer son attitude pitoyable de gamin immature, celui-ci n’aurait aucune responsabilité. Et il ne parle plus que de ses responsabilités familiales. Oh! Le saint homme. Et il veut être maire de Paris ! Merci à l’artiste russe de nous avoir ouvert les yeux.

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PhB 18 février 2020 - 2:45

Quand on a une vie publique, on se fait discret
Bonjour à tous
Je suis d'accord avec votre développement et les deux remarques rajoutées.
Néanmoins, quand on a une vie publique comme un élu, on reste très, très discret sur sa vie privée.
Donc on ne diffuse RIEN qui ne puisse être même légèrement compromettant, ni sur les réseaux sociaux et encore moins par l'intermédiaire de son Téléphone.
Une fois qu'une image ou un simple message est DEHORS, il ira n'importe où!
Ainsi, il ne l'a pas volé non plus.
Moi ici, je n'ai aucune pitié, surtout avec ces donneurs de leçons comme avant lui messieurs Fillon et Cahuzac.

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jean-PHilippe Delsol 22 février 2020 - 5:30

Réponse
Merci de vos avis concordants. en effet, M. Griveaux s'est comporté come un adolescent mal élevé. Et le drame est que toute une classe politique est à son image désormais. Ils veulent de la responsabilité, mais ils la noient dans une responsabilité collective qui n'existe pas.

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