La CDC – Caisse des dépôts et consignations – est l’une des plus anciennes institutions financières publiques au monde. Bras financier de l’État français, elle a à son actif de nombreux couacs. Dernier en date : la gestion du groupe Suez depuis l’OPA de Veolia en 2022.
 C’est au ministre des Finances du roi de France Louis XVIII que l’État doit la création de la Caisses des dépôts et consignations (CDC) en 1816. Son rôle : gérer les participations de l’État dans la vie économique du pays et gérer l’épargne des Français pour la faire fructifier.. Mais elle et ses filiales ont récemment connu des ratés et des « affaires ». Le dernier exemple en date concerne l’un des joyaux de l’industrie française, le groupe Suez, spécialiste de la gestion de l’eau et du traitement des déchets, victime d’une OPA orchestrée par Veolia en 2022. Depuis le départ contraint de sa PDG Sabrina Soussan en janvier dernier, Suez attend la nomination d’une nouvelle équipe dirigeante.
Affaires et copinages
 Le groupe CDC réunit la Caisse des dépôts et de nombreuses « filiales », bien connues des Français : La Poste (66% du capital), GRTgaz (39%), RTE (29,9%), Suez (20%), Transdev (66%) ou encore Bpifrance (50%). En juillet 2023, cette dernière – à l’époque dirigée par Éric Lombard, l’actuel ministre des Finances – a défrayé la chronique, avec affaire des soupçons de prise illégale d’intérêts[1] planant sur quelque 200 collaborateurs de la banque publique, dont son directeur général Nicolas Dufourcq. Les locaux de Bpifrance font alors l’objet d’une perquisition du Parquet national financier (PNF) afin de comprendre comment et pourquoi ces collaborateurs ont pu « massivement investir » dans le fonds Bpifrance Entreprises qu’ils mettaient eux-mêmes en place. L’affaire en est restée aux soupçons. Le malaise demeure.
Plus récemment, en août 2024, la CDC elle-même a été secouée par un petit scandale interne, avec la vraie-fausse démission de son nº 2, Olivier Sichel, le probable futur directeur général. Alors directeur général délégué de l’institution publique, Sichel démissionne et est réembauché le lendemain, au même poste, mais avec un contrat de travail de droit privé plus avantageux.
Sur le plan financier, l’institution se porte bien (selon les chiffres[2] de 2023, en attendant les résultats de 2024). Mais ses pratiques font grincer des dents. En novembre 2024, d’anciens dirigeants – Augustin de Romanet, Jean-Pierre Jouyet et Laurent Vigier – se retrouvent sur le banc des accusés[3] pour détournement de fonds publics, favoritisme et recel de ces infractions, via par exemple de juteux contrats octroyés aux « copains » comme les criminologues et « consultants Justice » Alain Bauer, régulièrement invité sur les plateaux télés, ou Xavier Raufer. Dans cette affaire, le couperet est tombé le 5 mars dernier, avec des condamnations[4] pour favoritisme et recel.
Suez, ou l’art (difficile) d’être minoritaire
 Et puis, au-delà des « affaires », il y a les cas de navigation à vue. Comme avec le « dossier Suez », le nº 2 français de la gestion de l’eau et des traitements des déchets. Aujourd’hui, la CDC est actionnaire à hauteur de 19% de ce groupe amputé de plusieurs morceaux lors de l’OPA finalisée par Veolia en 2022. Deux ans plus tôt, les grandes manœuvres commencent entre le nº 1 du secteur – Veolia donc – qui souhaite mettre la main sur le nº 2 – Suez. « Depuis la fin du mois d’août, le premier est lancé à la poursuite du second, armé d’un fusil à double détente : le rachat des parts de son concurrent détenu par Engie, d’abord, la menace d’une OPA sur le reste des actions ensuite. Que cherche Veolia ? Pourquoi Suez résiste ? Que peut faire l’État ? », se demande alors Le Parisien[5]. La presse se passionne pour le feuilleton de ce « mariage XXL, sans consentement mutuel ». L’État français ne peut intervenir, mais réclame néanmoins que l’opération ne soit pas trop sanglante, afin d’obtenir des garanties sur le plafonnement du tarif de l’eau. L’affaire agite les hautes sphères de la République qui demandent finalement à la CDC d’entrer dans la mêlée : initialement observatrice des négociations en février 2021 (de par son statut d’actionnaire de Véolia), elle hérite soudainement de 10% du « nouveau Suez » en avril 2021 au moment où se dessine l’accord final. Ce sera au bout du compte 20% un mois plus tard, au côté des fonds d’investissement Meridiam et GIP, afin que  l’Etat puisse garantir que la promesse de plafonnement sera tenue et les emplois préservés.
Entre 2022 et fin 2024, une équipe dirigée par la PDG Sabrina Soussan prend les rênes de l’entreprise. Malgré sa position minoritaire, la CDC tente de contrôler le groupe en plaçant ses hommes. Avec, en premier lieu, Frederick Jeske-Schoenhoven au poste de vice-président exécutif, en charge de la stratégie et du développement durable. En interne, cette nomination passe mal, soupçon de copinage oblige. Car Jeske-Schoenhoven est surtout le beau-frère d’Antoine Saintoyant, le directeur des participations stratégiques de la CDC, qui est donc directement en charge de Suez. Les deux hommes se connaissent depuis les bancs de l’ENA[6].
Cependant le nouveau Suez, malgré la « main invisible » de la CDC (ou à cause d’elle disent les mauvaises langues) a du mal à trouver ses marques. À la fin de l’été 2024, Sabrina Soussan devient de plus en plus contestée en interne,. La CDC, qui avait placé ses pions dans cette équipe, sent la fin de partie arriver et sacrifie le soldat Jeske-Schoenhoven[7]. Peine perdue, Sabrina Soussan sera poussée elle aussi à la démission fin décembre. Désormais, le groupe Suez attend une nouvelle équipe dirigeante, en fonction des propositions que lui feront des chasseurs de têtes, en particulier pour le poste de directeur général. Reste à savoir si l’État s’obstinera à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise ou s’il tirera les leçons du passé récent et lâchera un peu de lest pour laisser Suez reprendre son envol.
[1] https://www.marianne.net/economie/scandale-a-bpifrance-mais-pourquoi-la-caisse-des-depots-son-actionnaire-se-terre-dans-le-silence
[2] https://www.caissedesdepots.fr/actualites/cdc-des-resultats-2023-robustes-malgre-une-conjoncture-difficile
[3] https://www.leparisien.fr/faits-divers/les-juteux-contrats-de-la-caisse-des-depots-au-consultant-alain-bauer-devant-le-tribunal-25-11-2024-HUFKACNGSNHMXECVJJUNB2ASGY.php
[4] https://www.liberation.fr/societe/police-justice/jouyet-et-romanet-condamnes-pour-des-contrats-de-complaisance-avec-alain-bauer-alors-quils-dirigeaient-la-caisse-des-depots-et-consignations-20250305_MI45FEK3RNGCJEL3YKQQ62S5LY/
[5] https://www.leparisien.fr/economie/suez-veolia-5-minutes-pour-comprendre-la-bataille-de-l-eau-06-10-2020-8397858.php
[6] https://www.lalettre.fr/fr/entreprises_energie-et-environnement/2022/03/18/suez-veolia–la-promo-cassin-de-l-ena-au-coeur-de-la-fusion,109761595-eve
[7] https://www.lalettre.fr/fr/entreprises_energie-et-environnement/2024/08/29/suez–sous-pression-de-ses-actionnaires-sabrina-soussan-sacrifie-son-homme-lige,110280841-eve