Curieusement, Thomas Piketty a semblé inattaquable en France dans les mois suivant la publication de son ouvrage Le capital au XXIème siècle. Comme si tout ce qui touche à l’égalité n’avait pas le droit d’être discuté. Il a fallu que Piketty aille rencontrer la gloire aux Etats-Unis pour que le monde scientifique américain, plus ouvert et plus éclectique que le nôtre peut-être, s’émeuve de ce succès d’un ouvrage très trompeur. Et la presse d’outre atlantique, elle-même plus diversifiée et peut-être plus libre, s’en est rapidement fait l’écho. Piketty a ainsi trouvé le front de ses critiques là où il avait cru pouvoir triompher. Car la réalité est que son ouvrage, plus encore que les précédents, n’est qu’un parangon d’idéologie, une forme renouvelée du matérialisme scientifique de Marx et ses épigones, dont le caractère scientifique relève de la prétention assénée.
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Un ouvrage collectif
Au sein de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales), nous avons donc décidé de réunir les travaux d’une vingtaine de chercheurs ayant formulé au travers d’articles divers et variés une analyse critique des propositions de Thomas Piketty. Six d’entre nous sont Français avec notamment Henri Lepage, Bernard Zimmern et Lucas Léger. La plupart des autres contributeurs sont américains, tous étant des économistes reconnus. Chacun a spontanément écrit sur telle ou telle affirmation de Piketty qu’il considérait comme erronée.
Le capital ne peut pas augmenter plus vite que la croissance économique
Le propre des idéologies est souvent de tout expliquer d’une manière unidimensionnelle. C’est typiquement ce que fait Piketty en réduisant l’évolution économique et sociale du monde depuis deux mille ans à une formule archi simple. Il fait comme s’il avait trouvé la pierre philosophale. Selon lui, l’histoire des hommes est toute entière marquée par le sceau de l’inégalité qui elle-même est le fruit d’une formule simple et absolue : r > g dans laquelle r représente le revenu du capital et g la croissance économique. « Cette inégalité fondamentale […] r > g […] va jouer un rôle essentiel dans ce livre. D’une certaine façon, elle en résume la logique d’ensemble » écrit-il (p. 55). Selon lui, le revenu du capital a toujours été supérieur à la croissance économique et a permis l’augmentation infinie des inégalités. Et la première erreur de Piketty est de croire qu’une formule peut résumer l’histoire du monde qui est autrement complexe.
Cette formule est elle-même insensée au sens propre. Elle est même un contre-sens. Car il est évident que la fortune de quelques-uns ne peut pas augmenter indéfiniment en des proportions beaucoup plus grandes que celles de la croissance économique. Très vite les capitalistes ne trouveraient plus de biens suffisants et correspondants à leur enrichissement. « Si au cours des vingt siècles écoulés, le patrimoine s’était accru de 4% par an en moyenne alors que la croissance oscillait à des taux inférieurs à 0,5%, il se serait avéré bien vite que le patrimoine disponible était insuffisant pour satisfaire à la demande d’augmentation de patrimoine que l’épargne aurait exigée en placement. Ou pour le moins les taux de rendement auraient baissé beaucoup plus vite que ne l’imagine Piketty. En clair, la formule de ce dernier, à l’alpha et l’oméga de sa pseudo-démonstration, est inapplicable sur le long terme. » (Jean-Philippe Delsol)
En réalité le taux de croissance du capital se situe nettement en dessous de son taux de rendement parce que les riches consomment beaucoup et l’épargne est relativement faible constate Hans-Werner Sinn qui ajoute que « Le rapport capital/revenu ne peut …pas augmenter de manière permanente » contrairement à ce que laisserait croire Piketty. Il faut dire aussi que le sort des fortunes, si grandes soient-elles, est toujours aléatoire et incertain.
Les inégalités se sont réduites
L’évolution des économies de marché a permis un recul sans précédent de la pauvreté, notamment au niveau mondial, et une réduction extraordinaire d’autres inégalités, notamment en matière d’accès à la consommation. Les économies de marché ont permis au plus grand nombre de s’enrichir et de sortir de la misère. Les conditions de travail et de vie du « prolétariat » à l’époque du début du capitalisme industriel étaient sans nul doute abominables au regard de nos standards actuels. Mais replacées dans leur contexte historique, elles n’avaient rien d’anormal, et attiraient en réalité bien des miséreux, aussi choquant que cela puisse paraître aujourd’hui. Il faut donc se rendre compte de ce que la révolution capitaliste a permis. Elle a enclenché un processus de libération, contrairement à ce que la vision marxiste ou néo-marxiste voudrait nous faire croire. Il faut moins d’heures de travail pour se payer des biens similaires qu’il y a une génération. Il faut prendre aussi en compte, comme le fait remarquer Nicholas Eberstadt que les inégalités se sont beaucoup réduites en matière d’accès à l’éducation ou aux soins, et corrélativement en matière de longévité. La durée moyenne de scolarisation de la population adulte dans le monde est passée de 3 ans en 1950 à 8 ans en 2010. On peut donc reprocher à l’analyse de Piketty de se focaliser sur l’enrichissement des « 1% » et d’oublier un peu trop vite l’enrichissement des « 99% ».
En 1990, 47% de la population vivait avec moins de 1 dollar par jour. Vingt ans plus tard, 22% des hommes connaissent encore ce sort dramatique et subsistent avec moins de 1,25 dollar par jour (l’équivalent de 1 dollar en 1990). Ce qui veut dire que 700 millions d’humains sont sortis de la très grande pauvreté. Dans un travail mené par sept chercheurs, dont certains de la Banque Mondiale, il ressort que le nombre de Latino-Américains vivant avec moins de 4 dollars par jour est passé de plus de 40% en 2000 à moins de 30% en 2010. Aujourd’hui en Amérique latine les pauvres sont en nombre équivalent aux classes moyennes alors qu’ils étaient deux fois et demie plus nombreux une dizaine d’années auparavant.
Des erreurs ou des manipulations ?
L’ouvrage de Piketty contient de nombreuses erreurs qui semblent relever pour nombre d’entre elles plutôt de la manipulation à la façon d’un Lyssenko au temps de l’Empire soviétique. Martin Feldstein souligne que pour justifier d’une augmentation des inégalités aux Etats-Unis, Piketty utilise les déclarations fiscales de revenus sans prendre en compte les modifications significatives qui ont eu lieu dans les règles fiscales et qui ont fait apparaître des revenus antérieurement non pris en compte. Il observe également qu’il ne prend pas en compte les transferts de redistribution. Bernard Zimmern, à partir de diverses études concordantes, note que le revenu médian américain entre 1979 et 2007 n’a pas augmenté de 3 %, comme le prétend Piketty, mais de près de 10?% en prenant en compte les transferts sociaux, voire de 18,2 % en prenant également en compte les avantages liés à l’assurance santé payée par l’employeur ou par l’Etat. De même, pour l’évaluation du patrimoine, Piketty ne prend pas en compte les retraites.
Une critique acerbe est venue du journaliste Chris Giles du Financial Times qui a relevé de si nombreuses erreurs ou insuffisances qu’elles remettaient en cause la valeur probatoire de la démarche de Piketty. Celui-ci a procédé à des hypothèses de calcul hasardeuses, par exemple pour déterminer la part des richesses détenues par les 10% les plus riches sur la période 1910/1950. Piketty choisit des méthodes de calcul différentes selon les situations, par exemple pour estimer l’ampleur des inégalités de revenus aux Etats-Unis. Aux États-Unis, rappelle Lucas Léger, les données sur la richesse cumulée du premier décile sont simplement inexistantes entre 1870 et 1960. Mais peu importe, Piketty va en déduire une courbe de tendance. En réalité, une fois corrigée de ces erreurs, la tendance à la hausse des inégalités s’estompe, notamment pour les Etats-Unis et au Royaume-Uni. Outre-Manche, elles ont même tendance à diminuer.
Pour leur part, Phillip Magness et Robert Murphy mettent en relief nombre d’erreurs factuelles sur les taux, les années et vont jusqu’à parler « d’inventions de faits historiques afin de soutenir sa narration ». Piketty attribue à Clinton ou Obama des décisions de Bush sur le salaire minimum, ou à Hoover des décisions qu’il a rejetées. Ces auteurs n’hésitent pas à dire qu’il remplit ses graphiques avec des chiffres tirés de son chapeau. Il utilise par exemple une étude sérieuse de Kopczuk et Saez de 2004 pour l’estimation des inégalités sur la base de l’impôt successoral aux USA. Mais il les augmente ou les prolonge en les mélangeant avec d’autres études pour obtenir un graphe faisant apparaître une forte remontée des inégalités au début des années 1980 alors que l’étude susvisée montre une tendance au mieux ambiguë et plutôt plate jusqu’à la fin du XXème siècle. Ces auteurs exposent encore, parmi d’autres, que pour déterminer l’évolution du rapport capital/revenu, Piketty détermine 9 points de données décennales sur 15 par interpolation sur la période 1870/2010 ! » N’utiliser que six années individuelles pour examiner 150 ans, écrivent-ils, est presque aussi étonnant qu’incompréhensible. »
Les riches utiles
Les riches sont essentiellement des entrepreneurs et non des rentiers comme le laisse entendre Piketty. Bernard Zimmern observe que « 75% des Américains qui figurent dans le 1 % des plus riches ou des plus hauts revenus soient des entrepreneurs ; mais ce qui enrage les égalitaristes (qui sont presque tous des fonctionnaires qui ne pourront jamais accéder à ces niveaux), c’est que 75% des 400 plus riches américains du classement Forbes sont devenus riches de leur vivant et non par héritage. » Et ces riches contribuent par leurs investissements, par leur prise de risque à la création de richesse pour tous et notamment au travers de la création d’emplois et de produits innovants. Il faut rappeler que dans un pays libre, les entrepreneurs ne peuvent s’enrichir qu’en vendant des produits ou services à des consommateurs libres de les acquérir. Mais cette position d’entrepreneur est elle-même risquée et instable. Les riches ne restent pas éternellement dans le haut du panier. Il ressort des travaux réalisés par des économistes américains sur les déclarations d’un panel de contribuables fournies par le Treasury Department s’étendant sur la période 1987 à 2009, note encore Bernard Zimmern, que d’une année à l’autre, la probabilité de tomber du décile de revenu le plus haut à des déciles inférieurs est de 25% pour un entrepreneur.
Les riches sont également des contributeurs actifs au profit des organismes à but non lucratif. Le dernier baromètre du mécénat en France rappelle comment
« 73 % des chefs d’entreprises et cadres dirigeants sont mécènes à titre personnel ».
La fiscalité confiscatoire
A défaut de vouloir enrichir les pauvres, Piketty veut donc appauvrir les riches tant il est obsédé d’égalité ou plus probablement travaillé par cette jalousie inconsciente que Ludwig von Mises évoquait en disant que beaucoup d’intellectuels « abhorrent le capitaliste parce qu’il a assigné cet autre homme à la position qu’ils désirent ». Dans cette vision anticapitaliste, Piketty instrumentalise la fiscalité pour égaliser les revenus nets de tous. Il préconise ainsi un impôt mondial avec un taux marginal supérieur d’imposition de 80?% sur les salaires très élevés, associé à une taxe mondiale qui augmente avec le patrimoine, à un taux de 2 à 10 %. Il n’y aurait rien de pire pour ruiner toute incitation au travail, à la création d’entreprise, à l’embauche… Ce qui est grave, c’est qu’il arrive à de telles conclusions, données comme quasi scientifiques, à partir de données et de raisonnements erronés. Mais c’est que Piketty ne vise de réforme fiscale qu’à des fins politiques, pour que, dit-il, la démocratie reprenne le contrôle du capitalisme et des marchés : « L’impôt progressif sur le patrimoine individuel est une institution qui permet à l’intérêt général de reprendre le contrôle du capitalisme. » (p. 867) Comme le rappelle James Dorn, en voulant imposer à marche forcée une égalité de patrimoine et de revenus, il prend le risque de faire advenir une bien plus grande inégalité de pouvoir entre gouvernants et gouvernés. Il échange la démocratie, toute imparfaite qu’elle soit, contre la démocratie populaire dont on sait qu’elle déguise le totalitarisme et la pauvreté pour tous hors les apparatchiks.
6 commentaires
Démocratie ou démocratie populaire
Nous allons déjà tout droit vers la pauvreté pour tous sauf pour les apparatchiks!
de la prétention des cercles d'économistes distingués
Bonjour,
cette critique bien menée est elle fiable ?
Les données macroéconomiques sont elles homogènes d'un pays à un autre.
L'intuition prend souvent le pas sur les statistiques vérifiables et recoupables.
Quand on sait que les débats politiques utilisent des montants divergents pour caractériser telle ou telle variable cela laisse sceptique.
La prise en compte de la comptabilité nationale grecque calculée par Goldman & Sachs est le contre exemple dont il faut se méfier.
Je crois quand même à l'utilité de l'économie politique, mais la responsabilité des économistes n'a jamais été engagée pour leurs erreurs de prévisions.
Bien humblement
Remerciements
Un grand merci à vos contributions mais le mur (keynésien) de Berlin est loin de se fissurer au sein de l'Education Nationale en ce qui concerne l'économie comme en témoignent les derniers sujets d'examen et les manuels!
Capital XXIè siècle – Piketty
J'ai lu effectivement ce "porchon de papier" jusqu'au bout. Entièrement d'accord avec cet article. La France se targue d'avoir de GRANdS éconolmistss, elle arrive même à les caser au FMI avec lesz CHristine Lagarde et DSK? Elle a eu dans le passé un Raymond Barre qui a rendu le chômage plus attractif que le travail et maintenant elle est dirigée par un ancien professeur d'économie à Sciences Po: Pas éyonnant que le dénommé Piketty a voté pour lui en 2012 et revotera pour lui en 2017 s'il a l'audace de se représenter. Paul Chéreli
piketty
Interviewé par Bourdin il a indiqué ne pas voter Sarkozy qui voulait supprime l'ISF
dans un pays en ruine! quel aveu! Il ne lui est pas venu a l'idée que la France était ruinée par ses prélèvements confiscatoires parmi eux l'ISF qui fait partir la richesse avec les riches !Cameron en profite largement.
Les riches ne sont pas les profiteurs des pauvres !Un pays sans riches est un pays
pauvre!
C’est une constante pour ce pauvre pays devenu le Macronistan que de fabriquer des gourous en charge d’éduquer les idiots utiles. Les derniers en date sont Bourdieu, Girard et Piketty ( dont une certaine députée LFI bien connue des pecheurs n’a pas encore relevé qu’il battait Filipetti (?).Il faut s’en consoler en se disant que cela permet à certains de corriger les menteurs et ainsi de faire progresser le savoir. Bien pire en effet sont des gens comme Attali qui paient des nègres pour écrire des propos d’ivrognes et qui se contentent de conclure pour faire des prévisions fantasmagoriques et ridicules mais que personne ne relève…Minc ou autre BHL de concert avec Botul font de même sans qu’Aphatie ou les journaleux du sévice public ne s’en inquiètent.Mais je pense que le clou du spectacle devrait être un cours d’économie dispensé par la terrible Sardine à l’université de Lille. Que Mr Le Caussin fasse l’effort d’y aller en auditeur libre…Cela doit être digne d’un sketch de Coluche ou d’une interview de Mezrahi à moins que ce ne soit une représentation des hallucinations de la Pythie à Delphes! Ah c’est vrai qu’au moins jusqu’en 2027 les « étudiants » sont privés de ce spectacle payé par le contribuable…Comment voulez vous qu’après l’économie marche ?