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Plus de 60% des salariés handicapés refusent de se déclarer

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La loi oblige toute entreprise ayant au moins 20 salariés à employer 6% de personnes handicapées. Mais elle ne les contraint pas à se déclarer comme telles auprès de leur employeur. Faut-il changer la loi ?

L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH), pour les entreprises ayant au moins 20 salariés, existe en France depuis 1987. Celles qui n’en comptent pas 6% dans leur effectif total doivent s’acquitter du versement d’une contribution financière.

Pour satisfaire à leurs obligations, les entreprises ont le choix : elles peuvent employer des salariés handicapés (en CDI, CDD, intérim, stage ou période de mise en situation en milieu professionnel). Elles peuvent aussi signer un accord de branche, de groupe ou d’entreprise prévoyant la mise en œuvre d’un programme pluriannuel en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés pour une durée maximale de trois ans, renouvelable une fois. Enfin, elles peuvent verser une contribution financière annuelle pour chaque salarié handicapé manquant. Ces trois solutions peuvent se combiner entre elles.

Le non-respect de leurs obligations coûte très cher aux entreprises

Il faut savoir que si une entreprise doit s’acquitter en totalité de la contribution financière, celle-ci est calculée en tenant compte du nombre de personnes handicapées manquantes pour atteindre l’obligation de 6%, de l’effectif de l’entreprise, et des déductions éventuelles. Ces déductions concernent celles dont certains « emplois exigent des conditions d’aptitude particulière (marins pêcheurs, conducteurs routiers, couvreurs, hôtesses de l’air et stewards, convoyeurs de fonds, etc.), celles qui ont des dépenses favorisant l’accueil, l’insertion ou le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (par exemple des travaux pour leur faciliter l’accès aux locaux), celles ayant recours à la sous-traitance avec des entreprises adaptées (EA), des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) ou des travailleurs indépendants handicapés (TIH).

Nous avons utilisé le simulateur du site internet de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) pour calculer ce que serait la contribution d’une entreprise de 20 salariés n’employant aucune personne handicapée et n’ayant droit à aucune déduction. Le montant est de 17 820 euros.

A ce coût très élevé s’ajoute celui de l’administratif : le « Guide de l’OETH » publié par l’Urssaf et l’Agefiph pour aider les entreprises à remplir les déclarations compte… 116 pages !

Les travailleurs handicapés ne sont pas obligés de se déclarer

Cette contribution très importante est d’autant plus choquante que la petite entreprise en question peut employer un salarié handicapé sans le savoir.

L’association pour l’emploi des cadres (Apec) a publié, en fin d’année dernière, avec l’Agefiph, une étude sur la reconnaissance du handicap en entreprise. Elle ne porte que sur la population cadre et veut montrer que « la décision de faire reconnaître administrativement son handicap ou de le dévoiler est une étape cruciale et délicate pour les cadres ».

En effet, « de nombreux cadres choisissent de dissimuler leur handicap durant des mois, parfois des années, car ils redoutent qu’il constitue un obstacle à leur maintien en emploi ou à leur évolution professionnelle. En arrière-plan, très clairement, la crainte de la stigmatisation explique leurs réticences à entreprendre une démarche de reconnaissance administrative ou à révéler leur handicap au travail, notamment dans le cas des cadres dont le handicap n’est pas visible. Ils redoutent d’être confrontés aux préjugés concernant le handicap et d’être considérés comme moins compétents, moins performants, moins efficaces ».

Ces appréhensions font que la révélation ou la reconnaissance du handicap, surtout lorsqu’il est invisible, est rarement spontanée. De nombreux cadres finissent par s’y résoudre lorsque la dégradation de leur état de santé devient trop difficile ou coûteuse à dissimuler et que des aménagements de leur poste de travail ou des conditions d’exercice de leur emploi deviennent nécessaires.

Il arrive aussi, révèle l’étude de l’Apec et de l’Agefiph, que les cadres aient du mal à « se projeter dans le statut de travailleur handicapé, car ils associent souvent eux-mêmes le handicap ou la maladie à une moindre efficacité au travail, état qui leur semble peu conciliable avec les exigences supposées pour un poste de cadre ». Ils jugent aussi parfois que les aménagements que leur handicap nécessite sont incompatibles avec ce que l’on attend d’eux. S’ils sont managers, ils appréhendent une perte de légitimité et d’autorité.

Faut-il modifier la loi ?

Tout cela fait que si aujourd’hui près de 7% des cadres (et 13% de l’ensemble des salariés) du secteur privé se déclarent limités par un handicap ou un problème de santé, seuls 2% (et 5% de l’ensemble des salariés) ont mené des démarches pour la reconnaissance administrative de leur handicap. « Ainsi, une part significative des cadres, plus importante que chez les non-cadres, ne souhaite pas faire reconnaître son handicap ou n’estime pas cela nécessaire. En outre, même si une personne dispose d’une reconnaissance administrative, elle peut préférer ne pas révéler son handicap dans le cadre professionnel, en particulier lorsque le handicap est non visible ».

L’étude suggère que l’on fasse davantage connaître les bénéfices liés à la reconnaissance du handicap pour inciter les personnes concernées à se déclarer. Elle insiste aussi sur la « nécessité de déconstruire les stéréotypes pour cultiver un environnement de travail inclusif ».

En revanche, elle ne s’interroge pas sur la pertinence de la loi actuelle. Faut-il rendre obligatoire, pour le salarié, la déclaration de son handicap à son employeur afin que ce dernier ne soit pas pénalisé pour non-respect de ses obligations ? Faut-il exclure les maladies comme le diabète, l’asthme, l’insuffisance cardiaque, l’hépatite, l’allergie, etc. de la liste des « handicaps » ? Faut-il supprimer l’obligation d’employer 6% de personnes handicapées ? Après tout, celle-ci n’est-elle pas globalement respectée puisque 13% des salariés sont atteints par un handicap ou un grave problème de santé ? Faut-il baisser le taux de 6% ? Des pays d’Europe n’ont-ils pas une obligation moins élevée qu’en France (Espagne, Portugal, Luxembourg, 2% ; Autriche, 4% ; Allemagne, 5%) sans pour autant que le taux d’emploi des handicapés soit significativement moins élevé que chez nous ? Faut-il réserver l’obligation d’emploi des handicapés au secteur public comme le font la Belgique et l’Irlande ? Faut-il changer de modèle et s’inspirer du Danemark et de la Suède où les quotas n’existent pas, pas plus que le statut de travailleur handicapé ? On y contrôle seulement le respect du principe de non-discrimination à l’emploi et on y compense les surcoûts pour les employeurs qui embauchent une personne à capacité de travail réduite.

Alors que l’on vient de célébrer les 20 ans de la « loi Handicap », il serait pertinent de s’interroger sur les moyens à la fois les plus efficaces et les moins coûteux pour permettre aux personnes handicapées qui le peuvent de travailler.

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