Ancien directeur du Fonds monétaire international (1978-1987), puis gouverneur de la Banque de France (1987-1993) avant de devenir président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (1993-1998), Jacques de Larosière vient de faire paraître un livre dans lequel le lecteur de sensibilité libérale se plongera avec intérêt : Le Déclin français est-il réversible ? (Paris, Odile Jacob). On ne compte plus les livres et les articles qui décrivent par le menu le déclin économique, éducatif et culturel de notre pays. Mais, de son propre aveu, l’auteur entend ici retracer la genèse de ce déclin tout en proposant des solutions pour en sortir.
Le spectre du déclin ne plane certes pas seulement sur la France. Dans les pays scandinaves toutefois, nous dit l’auteur, les journalistes ont tendance à poser sans détours aux politiques des questions essentielles – quel est l’état des dépenses publiques, du budget de l’État, ou encore de la dette publique ? – sans possibilité pour les personnes interrogées de se dérober (p. 9). En France, par comparaison, les politiques de tous bords ont tendance à bavarder plus qu’à entreprendre les réformes qui devraient s’imposer, et nombre de journalistes sont enclins à se montrer conciliants, afin d’éviter les questions trop dérangeantes – chose qui contrevient d’ailleurs aux principes fondamentaux de l’éthique journalistique, qui est de toujours chercher et relater avec exactitude la vérité.
Dans son dernier livre, Jacques de Larosière tire donc le signal d’alarme : nos finances publiques et notre dette sont dans un état critique, et la situation continuera d’empirer si rien n’est fait pour y mettre un terme, un refus d’agir qui serait profondément irresponsable de la part de nos dirigeants et qui aurait des conséquences potentiellement désastreuses pour les générations à venir. Mais afin de pouvoir prendre de bonnes décisions pour le futur de notre pays, il conviendrait déjà pour Jacques de Larosière de nous défaire d’un certain nombre de servitudes d’ordre idéologique (p. 9-10) : servitude à l’égard des politiques de type keynésien d’augmentation de la demande globale, qui ne marchent pas et aggravent les déficits ; servitude à l’égard du discours rassurant, qui consiste à minimiser voire à mettre sous le tapis les graves problèmes économiques qui minent notre pays ; enfin, servitude du politiquement correct, qui n’est autre que le règne sans partage d’une « pensée unique » qui exclut par principe les faits et les idées qui n’entrent pas dans son système d’interprétation du réel.
Un des enseignements du livre de Jacques de Larosière est que le déclin que connaît actuellement notre pays ne saurait être imputable à un quelconque faisceau de causes externes : si la performance économique de la France s’est dégradée, si sa croissance est freinée, et si notre taux de chômage reste trop élevé, ce n’est la faute ni de la mondialisation, ni de l’Amérique ni de quelque autre bouc émissaire commode : c’est au contraire en nous qu’il faut voir les causes de notre échec. Dans le domaine éducatif, si la France a été classée 26e au sein de l’OCDE dans la publication du PISA 2022, c’est parce que notre enseignement s’est inexorablement délité ces dernières années. Et le fait que les jeunes ne maîtrisent pas tous, une fois arrivés à l’âge adulte, les fondamentaux du calcul et de la langue française, ne peut que les pénaliser de manière durable dans leur vie professionnelle et sociale, car ils se trouvent dès lors jetés dans une société dont ils méconnaissent largement le fonctionnement, et dans laquelle ils auront les plus grandes difficultés à s’insérer. Que faut-il faire pour renverser la tendance ? Plusieurs objectifs, nous dit l’auteur, devraient être poursuivis de manière prioritaire, comme donner davantage d’autonomie aux établissements éducatifs, améliorer le niveau des enseignants (p. 19), revaloriser la fonction enseignante, ou encore avoir un recours accru à l’initiative privée (associations caritatives, fondations…) afin de remédier aux carences du système hypercentralisé de notre Éducation nationale (p. 21).
Jacques de Larosière se montre également convaincant lorsqu’il remet en perspective les bons chiffres apparents de l’apprentissage en France. Longtemps considérée comme étant à la traîne vis-à -vis de l’Allemagne dans ce domaine, la France serait aujourd’hui en passe de rattraper son retard, étant susceptible de compter un million d’apprentis à horizon 2027. Un succès en trompe-l’œil car même si le nombre d’apprentis a été multiplié par plus de deux depuis 2019-2020, cela « vient essentiellement de l’octroi par l’État aux entreprises recrutant des apprentis d’une prime ‘exceptionnelle’ de 6 000 euros par an » (p. 22). Nous assistons en réalité dans notre pays à un dévoiement de l’apprentissage, lequel « tend désormais à devenir surtout un moyen commode pour les étudiants de trouver un emploi payé par l’État pendant qu’ils poursuivent leurs études supérieures » (p. 25). « Il permet aussi aux entreprises, ajoute l’auteur, de maintenir un niveau d’emploi satisfaisant grâce à l’aide publique » (ibid.).
Un autre volet important du livre est celui consacré à la débâcle des finances publiques. L’auteur nous rappelle que la dette publique de la France était de 20% du PIB en 1980, avant de monter à 111% en 2023 ! Elle est passée sur cette période de 100 milliards d’euros à environ 3 000 milliards ! (p. 51). De plus, nos déficits budgétaires ne cessent de s’alourdir. Comme l’IREF vient d’ailleurs de le rappeler, nous célébrons cette année en France le triste anniversaire du 50e déficit public consécutif ! Les dépenses publiques continuent leur folle course en avant : en 2023, c’est même le record planétaire de 57,3% du PIB qui a été atteint – contre 50,1% pour la moyenne de la zone euro (p. 52). Quant aux prélèvements obligatoires, c’est la même tendance qui s’observe : de 500 milliards d’euros en 1995, ils sont passés à 1 200 milliards en 2022, une hausse vertigineuse même si l’on tient compte de l’inflation (p. 53). Le jugement de l’auteur est sans appel : « Si nous voulons arrêter le déclin qui nous mine et qui risque de faire de la France un pays en voie de sous-développement, il est impératif et urgent de porter remède à notre situation des finances publiques » (p. 57-58).
Les problèmes auxquels la France d’aujourd’hui est confrontée ont pour origine non les supposés dysfonctionnements du capitalisme mais bien plutôt les déficiences de notre système public (p. 93). C’est à lui en effet qu’on doit notamment la dette publique abyssale, le délitement de notre système éducatif, ainsi que le chômage et la pauvreté dans notre pays. Il nous faut donc renverser la vapeur, conclut l’auteur, avant qu’il ne soit trop tard. « Si nous ne renversons pas la table, écrit-il, il y a de fortes chances pour que notre déclin continue jusqu’à la catastrophe dans quelques années ».
Il n’y a qu’une réforme radicale de l’État, impliquant pour lui de délaisser tout ce qui ne relève pas du régalien, qui pourrait nous épargner un tel scénario critique. Mais pour que cette réforme de l’État puisse un jour advenir dans notre pays, il faudrait que nos dirigeants renoncent une fois pour toutes au clientélisme politique et qu’ils manifestent courage, détermination et cohérence dans leur action. Ce qui ne serait possible que si la classe politique dans son ensemble commençait par se réformer déjà elle-même.