Philippe Boulanger – Les belles lettres, 2014.
Jean-François Revel (1924 – 2006), de son vrai nom Jean-François Ricard, naît à Marseille, dans une famille d’origine franc-comtoise. Après des études en classes préparatoires au Lycée du Parc à Lyon, il intègre l’École normale supérieure en 1943. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Jean-François Revel s’engage dans la Résistance à Paris sous les ordres d’Auguste Anglès.
Après quelques années dans l’enseignement, il se consacre à sa carrière de journaliste et d’écrivain. Pamphlétaire et essayiste, il collabore à France-Observateur, puis devient à la fin des années 1970 directeur de L’Express. Jean-François Revel a collaboré également comme éditorialiste à des stations de radio dont Europe 1 et RTL et fut un contributeur régulier de la revue Commentaire fondée par Raymond Aron et Jean-Claude Casanova en 1978. À partir de 1982, il est chroniqueur pour le journal Le Point. Il est élu le 19 juin 1997 à l’Académie française.
De gauche, voire marxiste, jusqu’en 1970, il deviendra l’un des plus intelligents critiques de l’auteur du Capital dès la publication de Ni Marx ni Jésus (1970) qui sera traduit dans plus de 20 langues. Admirateur aussi à la même époque de François Mitterrand pour le compte duquel il se présente aux élections. Comme il l’écrira dans ses Mémoires (Le Voleur dans la maison vide, 1997), le fait d’avoir côtoyé le futur président de la République lui sera très utile dans ses analyses politiques. En 1976, il publie La Tentation totalitaire, puis un an plus tard La Nouvelle Censure, deux essais sur les idées et les mentalités procommunistes de l’époque.
Sa conception du libéralisme est exprimée dans plusieurs ouvrages dont ses Mémoires, La Grande Parade (2000) et L’obsession antiaméricaine (2002). Revel affirmera plusieurs fois être resté de gauche car la gauche ne pourrait être que libérale. C’est le capitalisme qui crée des richesses et permet la redistribution. L’Etat-providence ne peut vivre que soutenu par une économie libérale.
Aux antilibéraux, il leur répond par une argumentation précise, basée sur des faits et des chiffres, ainsi que sur des références bibliographiques qui devraient figurer dans tous les manuels d’histoire expurgés de l’idéologie marxiste. Il rappelle que ce sont les libéraux qui, au dix-neuvième siècle, ont posé, les premiers, la  » question sociale « . Guizot a fait voter la première loi limitant le travail des enfants dans les usines, Bastiat, économiste de génie et ô combien visionnaire, énonce et demande la reconnaissance du droit de grève, Emile Ollivier a ouvert la voie au syndicalisme futur. N’en déplaise aux adeptes de la pensée unique, il existe une vraie tradition libérale dans la culture française :  » C’est Turgot, insiste Revel, qui a influencé l’auteur de la Richesse des nations et non l’inverse, de même qu’il a inspiré l’Américain Thomas Jefferson. Ce sont les physiocrates qui, dans un célèbre article de l’Encyclopédie, ont plaidé les premiers pour la liberté du commerce ». Et la Révolution française fut, dans ses principes, libérale. Elle se prononça pour la liberté d’entreprendre, la liberté du travail, la liberté de circulation des marchandises et la liberté bancaire. (La Grande parade)
Un grand malentendu concernant le libéralisme repose sur la croyance que celui-ci serait, comme le socialisme, une idéologie (c’est un piège dans lequel tombent aussi de nombreux défenseurs du libéralisme). Rien de plus faux, soutient Revel, car le libéralisme n’a jamais eu l’ambition d’édifier la société parfaite (Hayek disait que l’une des qualités d’un libéral est celle de reconnaître le premier lorsqu’il se trompe). Comme le capitalisme et contrairement au socialisme et au communisme, le libéralisme a la capacité de se réformer et de corriger ses défauts. Ce n’est pas un égarement, ni une utopie, et il n’a pas la prétention de fournir des recettes miracle. Il ne s’appuie que sur l’expérience. C’est peut-être la raison pour laquelle ses adversaires écartent tout dialogue (le plus souvent, il s’agit d’un monologue) sur le terrain des faits et des résultats et préfèrent le situer dans les hautes sphères de l’idéologie. Car on n’évalue jamais une idéologie. Accuser le libéralisme de tous les maux revient aussi à dire que le communisme n’était pas si mauvais que ça, que les gens se portaient plutôt bien sous ce régime et qu’ils avaient l’assurance d’un travail et d’un revenu.
« Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, j’entends n’est pas une théorie se fondant sur des concepts antérieurs à toute expérience, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action. Ce n’est qu’un ensemble d’observations, portant sur des faits qui se sont déjà produits. Les idées générales qui en découlent constituent non pas une doctrine globale et définitive, aspirant à devenir le moule de la totalité du réel, mais une série d’hypothèses interprétatives concernant des événements qui se sont effectivement déroulés. Adam Smith, en entreprenant d’écrire La Richesse des nations constate que certains pays sont plus riches que d’autres. Il s’efforce de repérer, dans leur économie, les traits et les méthodes qui peuvent expliquer cet enrichissement supérieur, pour tenter d’en extraire des indications recommandables. L’économie de marché, fondée sur la liberté d’entreprendre et le capitalisme démocratique, un capitalisme privé, dissocié du pouvoir politique mais associé à l’état de droit, cette économie-là seule peut se réclamer du libéralisme. Et c’est celle qui est en train de se mettre en place dans le monde, souvent à l’insu même des hommes qui la consolident et l’élargissent chaque jour. Ce n’est pas que ce soit la meilleure ni la pire. C’est qu’il n’y en a pas d’autre – sinon dans l’imagination. » (La Grande parade)
Jean-François Revel était celui qui voyait ce que les autres ne voyaient pas. L’académicien radiographiait l’actualité avec la minutie d’un grand médecin à la recherche du moindre signe de dysfonctionnement, à l’aide d’une plume alerte et talentueuse, d’un flair prodigieux de la réalité et d’une capacité d’analyse singulière. Grâce à une grande capacité de vulgarisation et s’appuyant sur des faits, il fut l’un des plus efficaces défenseurs du libéralisme.