Institut de Recherches Economiques et Fiscales

Faire un don

Nos ressources proviennent uniquement des dons privés !

Journal des Libertes
anglais
Accueil » Une exhortation à économie renversée

Une exhortation à économie renversée

par
189 vues

En ce temps de Noël, il paraît opportun d’évoquer le message du Pape François dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium du 24 novembre 2013. Avec beaucoup de force, il annonce la joie de l’Evangile, une joie qui doit rayonner au cÅ“ur de tous les hommes. Avec beaucoup d’humanité, il exhorte, précisément chacun d’entre nous à redoubler d’attention aux pauvres et à Å“uvrer en leur faveur. Heureux rappel, y compris au sein même de l’Eglise, heureuse exhortation à l’attention de tous et notamment de ceux qui ont des responsabilités économiques. Hélas, et par une confusion que nous aurions aimé ne pas rencontrer dans un texte de cette qualité, il s’en prend en même temps à l’économie de marché.

Il est vrai que c’est la grandeur et la force de l’Eglise catholique que de laisser en son sein le débat ouvert lorsqu’il ne s’agit pas de questions doctrinales tranchées ex cathedra par le Pape. Au demeurant le Pape François reconnaît lui-même qu’il n’est pas expert en matière d’économie. Le savoir économique n’est pas article de foi, et les quelques pages de cette Exhortation qui portent sur l’économie ne sont qu’accessoires à ce texte riche d’enseignement par ailleurs.

Comme un grand nombre de commentaires ont laissé entendre que le Pape François virait au socialisme, voire au marxisme, il est du devoir de tout catholique (car l’exhortation s’adresse par priorité aux catholiques, ce n’est pas une Encyclique) de relever les « surprises » du texte, qui l’éloignent de la réalité économique, et de rappeler ce que la doctrine sociale de l’Eglise Catholique professe dans le domaine de « l’économie de libertés », suivant l’expression de Jean Paul II.

Une charge contre l’économie de marché

Le Pape François est dans son rôle quand il dénonce la précarité et la pauvreté de trop de gens sur terre. Mais il surprend en incriminant l’économie de marché. « Certains défendent encore, écrit-il, les théories de la « rechute favorable », qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant» (54). Et le Pape François d’ajouter « En même temps, les exclus continuent à attendre. Pour pouvoir soutenir un style de vie qui exclut les autres, ou pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence » (54). « Aujourd’hui, écrit-il encore tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter…Les exclus ne sont pas des « exploités », mais des « déchets », des « restes » » (53). Il jette l’anathème sur « la négation du primat de l’être humain », « le fétichisme de l’argent » et « la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain » (55). Et il dénonce ceux dont les gains s’accroissent exponentiellement au détriment d’une majorité. « Ce déséquilibre, dit-il, procède d’idéologies qui défendent l’autonomie des marchés et la spéculation financière…,nient le droit des Etats de veiller à la préservation du bien commun » (56). Paradoxalement, il considère que « la dette et ses intérêts éloignent les pays des possibilités praticables par leur économie et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel » (56). Comme si les Etats n’avaient pas décidé eux-mêmes de s’endetter pour mener des politiques insensées, souvent pour permettre aux élus du moment de gagner des voix éphémères… !
Finalement l’économie de marché serait la cause de plus de crainte et de désespérance, d’une extinction de la joie de vivre, d’une augmentation du manque de respect mutuel et de la violence. « Une telle économie tue » dit-il (53).

Une lecture bienveillante

A prendre ainsi au pied de la lettre les formules chocs du Pape François, il y a en effet de quoi surprendre (au moins) voire de quoi s’indigner ( au plus).

Mais si l’on essaie de replacer ces passages dans le contexte de Evangelii Gaudium, ce que dit le Pape sur l’économie (laissons pour l’instant de côté les contresens économiques) c’est que la crise économique actuelle a révélé la crise morale du « système économique dominant ».

En cela il ne fait que reprendre non seulement ce qu’en a dit immédiatement Benoit XVI, mais aussi ce qu’en ont dit nombre d’économistes. Nul chrétien, nul économiste, nul humaniste ne se reconnaît dans un système fondé sur l’idôlatrie de l’argent, la recherche de la compétitivité au prix de l’exclusion, et la mondialisation de l’indifférence. Est ce dire pour autant que l’on doive jeter aux orties l’argent, la compétitivité et la mondialisation ?

En fait, c’est la terminologie retenue dans le texte qui n’est pas bonne : le « système économique dominant » n’est pas , surtout dans certains pays, « l’économie de marché », ce n’est pas davantage le capitalisme. C’est ce que l’on appelle le « capitalisme des tricheurs », (crony capitalism) et il est vrai qu’il sévit principalement dans les pays les plus pauvres. Fondé sur la collusion entre milieu des affaires et classe politique, il est source d’enrichissements scandaleux et d’injustices inacceptables.

C’est incontestablement ce que le Pape François a pu observer et vivre dans son propre pays, l’Argentine, l’un des pays les plus corrompus et les plus miséreux. L’erreur terminologique est en fait une erreur de composition.

Il est donc utile de rappeler que l’économie de marché a été source de progrès social au même titre que de croissance économique, mais aussi que, comme le disait jean Paul II, il y a deux capitalismes : le bon et le mauvais, le bon étant celui qui se fonde sur « une économie de libertés ».

Croissance économique et progrès social

Ce n’est pas l’économie de marché, ni le capitalisme, ni la mondialisation, qui a inventé la misère. Le monde d’hier n’était pas moins dur pour les pauvres et ceux-ci n’étaient pas moins nombreux. Tout au contraire.

Ce sont les économies de marché qui ont permis au plus grand nombre de sortir de la pauvreté. C’est la révolution libérale en même temps que celle de l’industrie qui ont créé les conditions d’un progrès social. C’est en permettant aux hommes de mieux exercer leur liberté d’initiative et d’entreprendre que le monde a trouvé les clés de son développement. Certes, il y eut des abus et des misères engendrées par cette révolution. Mais globalement, il n’est pas possible de nier que ce sont les pays d’économie libre qui offre le meilleur niveau de vie moyen, ce sont ceux où la pauvreté est la moins grande.

Et le phénomène se reproduit au niveau du monde lorsque les pays soumis à des dictatures oligarchiques se libèrent et trouvent les voies du marché. En même temps peuvent se créer des fortunes nouvelles, mais dans les économies libres, les plus pauvres profitent aussi de ces nouvelles richesses. Entre 1990 et 2010 la pauvreté a régressé dans le monde. En 1990, 47% de la population vivait avec moins de 1 dollar par jour. Vingt ans plus tard, 22% des hommes connaissent encore ce sort dramatique et subsistent avec moins de 1,25 dollar par jour (l’équivalent de 1 dollar en 1990). Ce qui veut dire que 700 millions d’humains sont sortis de la très grande pauvreté. Dans un travail mené par sept chercheurs, dont certains de la Banque Mondiale, il ressort que le nombre de Latino-Américains vivant avec moins de 4 dollars par jour est passé de plus de 40% en 2000 à moins de 30% en 2010. Aujourd’hui en Amérique latine, les pauvres sont en nombre équivalent aux classes moyennes alors qu’ils étaient deux fois et demie plus nombreux une dizaine d’années auparavant.

Oui, le Pape François a raison de penser que des écarts trop importants et injustifiés sont générateurs d’incompréhensions et de ruptures ou déchirures sociales. Mais lorsque la richesse est le fruit du travail, de l’innovation, du service offert sur un marché libre, l’argent a moins de risques de susciter la révolution. C’est là où les écarts de fortunes et de revenus sont indus, là où ils sont le produit de régimes politiques pervertis, maffieux, collectivistes… qu’ils sont insupportables. C’est ce que note par exemple Jia Zhangke, le réalisateur du film « A touch of sin » : « Le plus grave problème de la Chine actuelle, ça n’est pas l’existence de classes sociales, mais le fait qu’il n’y ait plus de passerelles d’une classe à une autre. Les riches s’allient avec ceux qui ont le pouvoir en les corrompant, ce qui leur permet de contrôler des ressources et d’obtenir à leur tour une position politique. C’est cela qui provoque la colère ». Là où il y a la liberté d’évoluer, de changer de statut, de catégorie sociale, la possibilité de grimper dans l’échelle des revenus et du patrimoine, la disparité est moins mal vécue ; elle est même parfois très bien vécue parce qu’elle permet de percevoir ce à quoi chacun peut accéder par ses efforts, sa ténacité, son ardeur au travail…

Des dangers de toute économie centralisée

Le Pape François voudrait « résoudre radicalement les problèmes des pauvres en renonçant à l’autonomie absolue des marchés et de la spéculation financière, et en attaquant les causes structurelles de la disparité sociale »(202). Car selon lui, «la disparité sociale est la racine des maux de la société ». (202). Il voudrait donc un monde d’égaux, douce utopie mère de toutes les tyrannies. Il voudrait, semble-t-il, redistribuer les biens ! ? Il voudrait « des programmes, des mécanismes et des processus spécifiquement orientés vers une meilleurs distribution des revenus, la création d’opportunités d’emplois, une promotion intégrale des pauvres qui dépasse le simple assistanat….L’économie ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus » (204).

Mais ne tombe-t-il pas lui-même dans ce qu’il dénonce en croyant à la bonté naturelle des hommes alors qu’il rejette l’économie de marché pour sa « confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant » (54). Pourquoi les hommes qui animent l’économie de marché seraient-ils pire que ceux qui dirigent un système d’économie centralisée ? Le Pape François semble vouer une confiance spontanée aux hommes politiques car « la politique tant dénigrée est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun ». (205). Pourquoi les chefs d’entreprise seraient-ils des voyous et les politiciens des anges ? Il dit se tenir loin de toute idéologie politique, mais en réalité ne risque-t-il pas de favoriser les idéologies du moment en reniant les bienfaits de l’économie de marché et en appelant de ses vÅ“ux, sans le dire expressément, une économie centralisée et dirigée par des politiques ?. Pour se défaire de la tyrannie des marchés, il ouvrir la voie à la tyrannie des partis et peut-être de l’Etat! Il ne peutpourtatn pas méconnaître l’intrinsèque imperfection humaine qui fait précisément qu’il vaut mieux un système qui repose sur l’action et les choix d’une multitude de personnes plutôt qu’un autre tout entier entre les mains d’une bande de politiciens tentés rapidement de conserver le monopole du pouvoir et de travailler pour eux plus que pour ce que le bien commun. Les exemples en sont légions.

C’est le mauvais capitalisme qu’entend sans aucun doute condamner le Pape François. Quant à la véritable économie de marché, il faut se remettre en tête la description qu’en a donnée Jean Paul II dans Centesimus Annus

L’économie de liberté et ses exigences morales

Jean-Paul II, fort de son expérience du communisme et de ses méfaits savait qu’il faut se méfier de ceux qui pensent que l’Etat peut construire un monde idéal : « Quand les hommes croient posséder le secret d’une organisation sociale parfaite qui rend le mal impossible, ils pensent aussi pouvoir utiliser tous les moyens, même la violence ou le mensonge, pour la réaliser. La politique devient alors une «religion séculière » qui croit bâtir le paradis en ce monde. Mais aucune société politique, qui possède sa propre autonomie et ses propres lois, ne pourra jamais être confondue avec le Royaume de Dieu. » (Centesimus Annus, 24). En évoquant l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII dont l’encyclique Centesimus Annus célébrait le centième anniversaire, il soulignait « la clarté non moins grande avec laquelle est saisi ce qu’il y a de mauvais dans une solution [le socialisme] qui, sous l’apparence d’un renversement des situations des pauvres et des riches, portait en réalité préjudice à ceux-là mêmes qu’on se promettait d’aider. Le remède se serait ainsi révélé pire que le mal. En caractérisant la nature du socialisme de son époque, qui supprimait la propriété privée, Léon XIII allait au cÅ“ur du problème. » (12). Jean-Paul II en concluait :«Il semble que, à l’intérieur de chaque pays comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins » (34), tout en notant bien entendu que le marché ne pouvait pas couvrir tous les besoins humains. Et il ajoutait : « L’économie moderne de l’entreprise comporte des aspects positifs dont la source est la liberté de la personne qui s’exprime dans le domaine économique comme en beaucoup d’autres. En effet, l’économie est un secteur parmi les multiples formes de l’activité humaine, et dans ce secteur, comme en tout autre, le droit à la liberté existe, de même que le devoir d’en faire un usage responsable »(32).

Au demeurant, le Pape François a raison de dire que l’argent peut être bon serviteur, mais souvent mauvais maître. Jean-Paul II d’ailleurs le disait aussi. Mais Jean Paul II n’ignorait pas les limites morales du marché . « Certes, les mécanismes du marché présentent des avantages solides : entre autres, ils aident à mieux utiliser les ressources ; ils favorisent les échanges de produits ; et, surtout, ils placent au centre la volonté et les préférences de la personne, qui, dans un contrat, rencontrent celles d’une autre personne. Toutefois, ils comportent le risque d’une « idolâtrie » du marché qui ignore l’existence des biens qui, par leur nature, ne sont et ne peuvent être de simples marchandises. »

Pour autant, le marché n’est pas responsable des comportements iniques des hommes. Tout au contraire, il est le système qui oriente au mieux et malgré tout très imparfaitement les comportements humains dans le sens le meilleur. C’est parce que l’homme est marqué du péché originel, d’une imperfection congénitale, qu’il n’est pas possible de disposer d’un régime politique ou économique parfait. Et dans ce cadre, l’histoire montre et démontre que seul un pluralisme d’acteurs libres permet d’empêcher, même si ce n’est pas toujours facile, les tentations de domination et d’exclusion. Certes, le marché n’est pas parfait, parce que, comme l’Eglise elle-même, il est entre les mains des hommes qui succombent précisément à ces tentations. Mais le marché libre est encore le moins mauvais des systèmes que le monde ait découvert pour que librement chacun puisse dénoncer les excès et que chacun puisse créer d’autres modèles, plus humains.

Comme le disait Churchill de la démocratie, l’économie de marché est sans doute le pire des systèmes « … à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé. » (Democracy is the worst form of government – except for all those other forms, that have been tried from time to time.). Toute imparfaite qu’elle soit et avec tous les risques qu’elle représente, l’économie de marché est celle qui repose le plus sur la responsabilisation de chacun et donc sur le respect de chacun dans sa dignité d’homme libre, capable de trouver son chemin par ses propres forces, à quelque niveau qu’elles soient. Trop assister les individus les conduit à une nouvelle forme d’esclavage doux et néanmoins tyrannique, à la perte de tout sens de soi-même. Comme le rappelle le Pape François, les hommes les plus riches, les plus doués ont le plus de responsabilité vis-à-vis des autres et le devoir moral de l’assumer. A cet égard, l’économie de marché est aussi la moins pire parce qu’elle permet mieux que d’autres à ceux qui ont plus réussi que d’autres, par leurs dons, par leur participation au développement de nouvelles entreprises créées par d’autres, par leur attention à leur environnement … de prendre en charge leur part de l’imperfection humaine qui fait que certains sont plus démunis et ne savent pas comment sortir de leur état de pauvreté.
Au-delà de l’économie, il y a un choix moral et culturel comme le disait encore Jean-Paul II. La liberté économique n’est qu’un élément de la liberté humaine sans laquelle l’homme ne serait pas Homme. La liberté implique le choix possible du bon ou du mauvais. Et c’est la grandeur de l’Homme que d’essayer de retenir le meilleur dans tous ses choix. C’est pourquoi tout système qui permet à l’Homme d’assumer sa liberté est par principe plus vertueux que d’autres qui voudraient dicter aux hommes leurs choix.. C’est pourquoi, au lieu d’en rester à la vaine diatribe sur ce qui aurait poussé le Pape François à jeter l’anathème sur l’économie de marché, il nous a paru utile de donner à lire ci-après quelques extraits, particulièrement explicites, de l’encyclique Centesimus Annus qui fixe avec nuance les limites de l’économie de marché

Extraits de l’encyclique Centesimus Annus, du Pape Jean-Paul II (1991)

Publiée pour le centième anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII

Centesimus Annus : Jean-Paul II reprenant Léon XIII Comme à cette époque, il faut répéter qu’il n’existe pas de véritable solution de la « question sociale » hors de l’Evangile et que, d’autre part, les « choses nouvelles » peuvent trouver en lui leur espace de vérité et la qualification morale qui convient.

13. Approfondissant maintenant la réflexion et aussi en référence à tout ce qui a été dit dans les encycliques Laborem exercens et Sollicitudo rei socialis, il faut ajouter que l’erreur fondamentale du « socialisme » est de caractère anthropologique. En effet, il considère l’individu comme un simple élément, une molécule de l’organisme social, de sorte que le bien de chacun est tout entier subordonné au fonctionnement du mécanisme économique et social, tandis que, par ailleurs, il estime que ce même bien de l’individu peut être atteint hors de tout choix autonome de sa part, hors de sa seule et exclusive décision responsable devant le bien ou le mal. L’homme est ainsi réduit à un ensemble de relations sociales, et c’est alors que disparaît le concept de personne comme sujet autonome de décision morale qui construit l’ordre social par cette décision. De cette conception erronée de la personne découlent la déformation du droit qui définit la sphère d’exercice de la liberté, ainsi que le refus de la propriété privée. En effet, l’homme dépossédé de ce qu’il pourrait dire « sien » et de la possibilité de gagner sa vie par ses initiatives en vient à dépendre de la machine sociale et de ceux qui la contrôlent ; cela lui rend beaucoup plus difficile la reconnaissance de sa propre dignité de personne et entrave la progression vers la constitution d’une authentique communauté humaine…Selon Rerum novarum et toute la doctrine sociale de l’Eglise, le caractère social de l’homme ne s’épuise pas dans l’Etat, mais il se réalise dans divers groupes intermédiaires, de la famille aux groupes économiques, sociaux, politiques et culturels qui, découlant de la même nature humaine, ont — toujours à l’intérieur du bien commun — leur autonomie propre.

. 15. Rerum novarum s’oppose — comme on l’a dit — à l’étatisation des instruments de production, qui réduirait chaque citoyen à n’être qu’une pièce dans la machine de l’Etat. Elle critique aussi résolument la conception de l’Etat qui laisse le domaine de l’économie totalement en dehors de son champ d’intérêt et d’action. Certes, il existe une sphère légitime d’autonomie pour les activités économiques, dans laquelle l’Etat ne doit pas entrer. Cependant, il a le devoir de déterminer le cadre juridique à l’intérieur duquel se déploient les rapports économiques et de sauvegarder ainsi les conditions premières d’une économie libre, qui présuppose une certaine égalité entre les parties, d’une manière telle que l’une d’elles ne soit pas par rapport à l’autre puissante au point de la réduire pratiquement en esclavage (43).

L’Etat doit contribuer à la réalisation de ces objectifs directement et indirectement. Indirectement et suivant le principe de subsidiarité, en créant les conditions favorables au libre exercice de l’activité économique, qui conduit à une offre abondante de possibilités de travail et de sources de richesse. Directement et suivant le principe de solidarité, en imposant, pour la défense des plus faibles, certaines limites à l’autonomie des parties qui décident des conditions du travail, et en assurant dans chaque cas un minimum vital au travailleur sans emploi (45).

24. Comme deuxième facteur de crise, il y a bien certainement l’inefficacité du système économique, qu’il ne faut pas considérer seulement comme un problème technique mais plutôt comme une conséquence de la violation des droits humains à l’initiative, à la propriété et à la liberté dans le domaine économique. Il convient d’ajouter à cet aspect la dimension culturelle et nationale : il n’est pas possible de comprendre l’homme en partant exclusivement du domaine de l’économie, il n’est pas possible de le définir en se fondant uniquement sur son appartenance à une classe. On comprend l’homme d’une manière plus complète si on le replace dans son milieu culturel, en considérant sa langue, son histoire, les positions qu’il adopte devant les événements fondamentaux de l’existence comme la naissance, l’amour, le travail, la mort. Au centre de toute culture se trouve l’attitude que l’homme prend devant le mystère le plus grand, le mystère de Dieu. Au fond, les cultures des diverses nations sont autant de manières d’aborder la question du sens de l’existence personnelle : quand on élimine cette question, la culture et la vie morale des nations se désagrègent. C’est pourquoi la lutte pour la défense du travail s’est liée spontanément à la lutte pour la culture et pour les droits nationaux.

En outre, l’homme, créé pour la liberté, porte en lui la blessure du péché originel qui l’attire continuellement vers le mal et fait qu’il a besoin de rédemption. Non seulement cette doctrine fait partie intégrante de la Révélation chrétienne, mais elle a une grande valeur herméneutique car elle aide à comprendre la réalité humaine. L’homme tend vers le bien, mais il est aussi capable de mal ; il peut transcender son intérêt immédiat et pourtant lui rester lié. L’ordre social sera d’autant plus ferme qu’il tiendra davantage compte de ce fait et qu’il n’opposera pas l’intérêt personnel à celui de la société dans son ensemble, mais qu’il cherchera plutôt comment assurer leur fructueuse coordination. En effet, là où l’intérêt individuel est supprimé par la violence, il est remplacé par un système écrasant de contrôle bureaucratique qui tarit les sources de l’initiative et de la créativité. Quand les hommes croient posséder le secret d’une organisation sociale parfaite qui rend le mal impossible, ils pensent aussi pouvoir utiliser tous les moyens, même la violence ou le mensonge, pour la réaliser. La politique devient alors une « religion séculière » qui croit bâtir le paradis en ce monde. Mais aucune société politique, qui possède sa propre autonomie et ses propres lois, ne pourra jamais être confondue avec le Royaume de Dieu.

30. Dans l’encyclique Rerum novarum, Léon XIII affirmait avec force, contre le socialisme de son temps, le caractère naturel du droit à la propriété privée, et il s’appuyait sur divers arguments. Ce droit, fondamental pour l’autonomie et le développement de la personne, a toujours été défendu par l’Eglise jusqu’à nos jours. L’Eglise enseigne de même que la propriété des biens n’est pas un droit absolu mais comporte, dans sa nature même de droit humain, ses propres limites.

32…

Tandis qu’il proclamait le droit à la propriété privée, le Pape affirmait avec la même clarté que l’« usage » des biens, laissé à la liberté, est subordonné à leur destination originelle commune de biens créés et aussi à la volonté de Jésus-Christ, exprimée dans l’Evangile. Il écrivait en effet : « Les fortunés de ce monde sont avertis […] qu’ils doivent trembler devant les menaces inusitées que Jésus profère contre les riches ; qu’enfin il viendra un jour où ils devront rendre à Dieu, leur juge, un compte très rigoureux de l’usage qu’ils auront fait de leur fortune» ; et, citant saint Thomas d’Aquin, il ajoutait : « Mais si l’on demande en quoi il faut faire consister l’usage des biens, l’Eglise répond sans hésitation : A ce sujet, l’homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes », car « au-dessus des jugements de l’homme et de ses lois, il y a la loi et le jugement de Jésus-Christ » (66).

En règle générale, celui qui produit un objet le fait, non seulement pour son usage personnel, mais aussi pour que d’autres puissent s’en servir après avoir payé le juste prix, convenu d’un commun accord dans une libre négociation. Or, la capacité de connaître en temps utile les besoins des autres hommes et l’ensemble des facteurs de production les plus aptes à les satisfaire, c’est précisément une autre source importante de richesse dans la société moderne. L’économie moderne de l’entreprise comporte des aspects positifs dont la source est la liberté de la personne qui s’exprime dans le domaine économique comme en beaucoup d’autres. En effet, l’économie est un secteur parmi les multiples formes de l’activité humaine, et dans ce secteur, comme en tout autre, le droit à la liberté existe, de même que le devoir d’en faire un usage responsable.

33…

Il n’y a pas très longtemps, on soutenait que le développement supposait, pour les pays les plus pauvres, qu’ils restent isolés du marché mondial et ne comptent que sur leurs propres forces. L’expérience de ces dernières années a montré que les pays qui se sont exclus des échanges généraux de l’activité économique sur le plan international ont connu la stagnation et la régression, et que le développement a bénéficié aux pays qui ont réussi à y entrer.

34. Il semble que, à l’intérieur de chaque pays comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins. Toutefois, cela ne vaut que pour les besoins « solvables», parce que l’on dispose d’un pouvoir d’achat, et pour les ressources qui sont « vendables », susceptibles d’être payées à un juste prix. Mais il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché. C’est un strict devoir de justice et de vérité de faire en sorte que les besoins humains fondamentaux ne restent pas insatisfaits et que ne périssent pas les hommes qui souffrent de ces carences. En outre, il faut que ces hommes dans le besoin soient aidés à acquérir des connaissances, à entrer dans les réseaux de relations, à développer leurs aptitudes pour mettre en valeur leurs capacités et leurs ressources personnelles. Avant même la logique des échanges à parité et des formes de la justice qui les régissent, il y a un certain dû à l’homme parce qu’il est homme, en raison de son éminente dignité. Ce dû comporte inséparablement la possibilité de survivre et celle d’apporter une contribution active au bien commun de l’humanité.

35…

L’Eglise reconnaît le rôle pertinent du profit comme indicateur du bon fonctionnement de l’entreprise. Quand une entreprise génère du profit, cela signifie que les facteurs productifs ont été dûment utilisés et les besoins humains correspondants convenablement satisfaits. Cependant, le profit n’est pas le seul indicateur de l’état de l’entreprise. Il peut arriver que les comptes économiques soient satisfaisants et qu’en même temps les hommes qui constituent le patrimoine le plus précieux de l’entreprise soient humiliés et offensés dans leur dignité. Non seulement cela est moralement inadmissible, mais cela ne peut pas ne pas entraîner par la suite des conséquences négatives même pour l’efficacité économique de l’entreprise. En effet, le but de l’entreprise n’est pas uniquement la production du profit, mais l’existence même de l’entreprise comme communauté de personnes qui, de différentes manières, recherchent la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et qui constituent un groupe particulier au service de la société tout entière. Le profit est un régulateur dans la vie de l’établissement mais il n’en est pas le seul ; il faut y ajouter la prise en compte d’autres facteurs humains et moraux qui, à long terme, sont au moins aussi essentiels pour la vie de l’entreprise.

36…

Le système économique ne comporte pas dans son propre cadre des critères qui permettent de distinguer correctement les formes nouvelles et les plus élevées de satisfaction des besoins humains et les besoins nouveaux induits qui empêchent la personnalité de parvenir à sa maturité. La nécessité et l’urgence apparaissent donc d’un vaste travail éducatif et culturel qui comprenne l’éducation des consommateurs à un usage responsable de leur pouvoir de choisir, la formation d’un sens aigu des responsabilités chez les producteurs, et surtout chez les professionnels des moyens de communication sociale, sans compter l’intervention nécessaire des pouvoirs publics.

Il n’est pas mauvais de vouloir vivre mieux, mais ce qui est mauvais, c’est le style de vie qui prétend être meilleur quand il est orienté vers l’avoir et non vers l’être, et quand on veut avoir plus, non pour être plus mais pour consommer l’existence avec une jouissance qui est à elle-même sa fin (75). Il est donc nécessaire de s’employer à modeler un style de vie dans lequel les éléments qui déterminent les choix de consommation, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune. A ce propos, je ne puis m’en tenir à un rappel du devoir de la charité, c’est-à-dire du devoir de donner de son « superflu » et aussi parfois de son « nécessaire » pour subvenir à la vie du pauvre. Je pense au fait que même le choix d’investir en un lieu plutôt que dans un autre, dans un secteur de production plutôt qu’en un autre, est toujours un choix moral et culturel.

39..

On peut résumer tout cela en réaffirmant, une fois encore, que la liberté économique n’est qu’un élément de la liberté humaine. Quand elle se rend autonome, quand l’homme est considéré plus comme un producteur ou un consommateur de biens que comme un sujet qui produit et consomme pour vivre, alors elle perd sa juste relation avec la personne humaine et finit par l’aliéner et par l’opprimer (80).

40. L’Etat a le devoir d’assurer la défense et la protection des biens collectifs que sont le milieu naturel et le milieu humain dont la sauvegarde ne peut être obtenue par les seuls mécanismes du marché. Comme, aux temps de l’ancien capitalisme, l’Etat avait le devoir de défendre les droits fondamentaux du travail, de même, avec le nouveau capitalisme, il doit, ainsi que la société, défendre les biens collectifs qui, entre autres, constituent le cadre à l’intérieur duquel il est possible à chacun d’atteindre légitimement ses fins personnelles.

On retrouve ici une nouvelle limite du marché : il y a des besoins collectifs et qualitatifs qui ne peuvent être satisfaits par ses mécanismes ; il y a des nécessités humaines importantes qui échappent à sa logique ; il y a des biens qui, en raison de leur nature, ne peuvent ni ne doivent être vendus ou achetés. Certes, les mécanismes du marché présentent des avantages solides : entre autres, ils aident à mieux utiliser les ressources ; ils favorisent les échanges de produits ; et, surtout, ils placent au centre la volonté et les préférences de la personne, qui, dans un contrat, rencontrent celles d’une autre personne. Toutefois, ils comportent le risque d’une « idolâtrie » du marché qui ignore l’existence des biens qui, par leur nature, ne sont et ne peuvent être de simples marchandises.

41. Le marxisme a critiqué les sociétés capitalistes bourgeoises, leur reprochant d’aliéner l’existence humaine et d’en faire une marchandise. Ce reproche se fonde assurément sur une conception erronée et inappropriée de l’aliénation, qui la fait dépendre uniquement de la sphère des rapports de production et de propriété, c’est-à-dire qu’il lui attribue un fondement matérialiste et, de plus, nie la légitimité et le caractère positif des relations du marché même dans leur propre domaine. On en vient ainsi à affirmer que l’aliénation ne peut être éliminée que dans une société de type collectiviste. Or, l’expérience historique des pays socialistes a tristement fait la preuve que le collectivisme non seulement ne supprime pas l’aliénation, mais l’augmente plutôt, car il y ajoute la pénurie des biens nécessaires et l’inefficacité économique.

42. En revenant maintenant à la question initiale, peut-on dire que, après l’échec du communisme, le capitalisme est le système social qui l’emporte et que c’est vers lui que s’orientent les efforts des pays qui cherchent à reconstruire leur économie et leur société ? Est-ce ce modèle qu’il faut proposer aux pays du Tiers-Monde qui cherchent la voie du vrai progrès de leur économie et de leur société civile ?

La réponse est évidemment complexe. Si sous le nom de « capitalisme » on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s’il serait peut-être plus approprié de parler d’« économie d’entreprise », ou d’«économie de marché », ou simplement d’« économie libre ». Mais si par « capitalisme » on entend un système où la liberté dans le domaine économique n’est pas encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale et la considère comme une dimension particulière de cette dernière, dont l’axe est d’ordre éthique et religieux, alors la réponse est nettement négative.

43. L’Eglise n’a pas de modèle à proposer. Les modèles véritables et réellement efficaces ne peuvent être conçus que dans le cadre des différentes situations historiques, par l’effort de tous les responsables qui font face aux problèmes concrets sous tous leurs aspects sociaux, économiques, politiques et culturels imbriqués les uns avec les autres (84). Face à ces responsabilités, l’Eglise présente, comme orientation intellectuelle indispensable, sa doctrine sociale qui — ainsi qu’il a été dit — reconnaît le caractère positif du marché et de l’entreprise, mais qui souligne en même temps la nécessité de leur orientation vers le bien commun. Cette doctrine reconnaît aussi la légitimité des efforts des travailleurs pour obtenir le plein respect de leur dignité et une participation plus large à la vie de l’entreprise, de manière que, tout en travaillant avec d’autres et sous la direction d’autres personnes, ils puissent en un sens travailler « à leur compte», en exerçant leur intelligence et leur liberté.

Le développement intégral de la personne humaine dans le travail ne contredit pas, mais favorise plutôt, une meilleure productivité et une meilleure efficacité du travail lui-même, même si cela peut affaiblir les centres du pouvoir établi. L’entreprise ne peut être considérée seulement comme une « société de capital » ; elle est en même temps une « société de personnes » dans laquelle entrent de différentes manières et avec des responsabilités spécifiques ceux qui fournissent le capital nécessaire à son activité et ceux qui y collaborent par leur travail. Pour atteindre ces objectifs, un vaste mouvement associatif des travailleurs est encore nécessaire, dont le but est la libération et la promotion intégrale de la personne.

On a relu, à la lumière des « choses nouvelles » d’aujourd’hui, le rapport entre la propriété individuelle, ou privée, et la destination universelle des biens. L’homme s’épanouit par son intelligence et sa liberté, et, ce faisant, il prend comme objet et comme instrument les éléments du monde et il se les approprie. Le fondement du droit d’initiative et de propriété individuelle réside dans cette nature de son action. Par son travail, l’homme se dépense non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres et avec les autres : chacun collabore au travail et au bien d’autrui. L’homme travaille pour subvenir aux besoins de sa famille, de la communauté à laquelle il appartient, de la nation et, en définitive, de l’humanité entière (86). En outre, il collabore au travail des autres personnes qui exercent leur activité dans la même entreprise, de même qu’au travail des fournisseurs et à la consommation des clients, dans une chaîne de solidarité qui s’étend progressivement. La propriété des moyens de production, tant dans le domaine industriel qu’agricole, est juste et légitime, si elle permet un travail utile ; au contraire, elle devient illégitime quand elle n’est pas valorisée ou quand elle sert à empêcher le travail des autres pour obtenir un gain qui ne provient pas du développement d’ensemble du travail et de la richesse sociale, mais plutôt de leur limitation, de l’exploitation illicite, de la spéculation et de la rupture de la solidarité dans le monde du travail. Ce type de propriété n’a aucune justification et constitue un abus devant Dieu et devant les hommes.

48. Ces considérations d’ordre général rejaillissent également sur le rôle de l’Etat dans le secteur économique. L’activité économique, en particulier celle de l’économie de marché, ne peut se dérouler dans un vide institutionnel, juridique et politique. Elle suppose, au contraire, que soient assurées les garanties des libertés individuelles et de la propriété, sans compter une monnaie stable et des services publics efficaces. Le devoir essentiel de l’Etat est cependant d’assurer ces garanties, afin que ceux qui travaillent et qui produisent puissent jouir du fruit de leur travail et donc se sentir stimulés à l’accomplir avec efficacité et honnêteté. L’un des principaux obstacles au développement et au bon ordre économiques est le défaut de sécurité, accompagné de la corruption des pouvoirs publics et de la multiplication de manières impropres de s’enrichir et de réaliser des profits faciles en recourant à des activités illégales ou purement spéculatives.

L’Etat a par ailleurs le devoir de surveiller et de conduire l’application des droits humains dans le secteur économique ; dans ce domaine, toutefois, la première responsabilité ne revient pas à l’Etat mais aux individus et aux différents groupes ou associations qui composent la société. L’Etat ne pourrait pas assurer directement l’exercice du droit au travail de tous les citoyens sans contrôler toute la vie économique et entraver la liberté des initiatives individuelles. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’ait aucune compétence dans ce secteur, comme l’ont affirmé ceux qui prônent l’absence totale de règles dans le domaine économique. Au contraire, l’Etat a le devoir de soutenir l’activité des entreprises en créant les conditions qui permettent d’offrir des emplois, en la stimulant dans les cas où elle reste insuffisante ou en la soutenant dans les périodes de crise.

L’Etat a aussi le droit d’intervenir lorsque des situations particulières de monopole pourraient freiner ou empêcher le développement. Mais, à part ces rôles d’harmonisation et d’orientation du développement, il peut remplir des fonctions de suppléance dans des situations exceptionnelles, lorsque des groupes sociaux ou des ensembles d’entreprises trop faibles ou en cours de constitution ne sont pas à la hauteur de leurs tâches. Ces interventions de suppléance, que justifie l’urgence d’agir pour le bien commun, doivent être limitées dans le temps, autant que possible, pour ne pas enlever de manière stable à ces groupes ou à ces entreprises les compétences qui leur appartiennent et pour ne pas étendre à l’excès le cadre de l’action de l’Etat, en portant atteinte à la liberté économique ou civile.

On a assisté, récemment, à un important élargissement du cadre de ces interventions, ce qui a amené à constituer, en quelque sorte, un Etat de type nouveau, l’« Etat du bien-être ». Ces développements ont eu lieu dans certains Etats pour mieux répondre à beaucoup de besoins, en remédiant à des formes de pauvreté et de privation indignes de la personne humaine. Cependant, au cours de ces dernières années en particulier, des excès ou des abus assez nombreux ont provoqué des critiques sévères de l’Etat du bien-être, que l’on a appelé l’« Etat de l’assistance ». Les dysfonctionnements et les défauts des soutiens publics proviennent d’une conception inappropriée des devoirs spécifiques de l’Etat. Dans ce cadre, il convient de respecter également le principe de subsidiarité: une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun.

En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l’Etat de l’assistance provoque la déperdition des forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d’être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. En effet, il semble que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s’en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d’y répondre. On ajoutera que souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d’ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde. Que l’on pense aussi aux conditions que connaissent les réfugiés, les immigrés, les personnes âgées ou malades, et aux diverses conditions qui requièrent une assistance, comme dans le cas des toxicomanes, toutes personnes qui ne peuvent être efficacement aidées que par ceux qui leur apportent non seulement les soins nécessaires, mais aussi un soutien sincèrement fraternel.

Abonnez-vous à la Lettre des libertés !

Vous pouvez aussi aimer

Laissez un commentaire

15 commentaires

Williamsonn Pierre 28 décembre 2013 - 1:32 pm

Le pape FRançois et l'économie
Ci-après le texte d'une interview du Cardinal Bergoglio, futur François
VOLEE DE BOIS VERT DU (futur) PAPE FRANCOIS A UN JOURNALISTE

Interview du Cardinal Bergoglio par Chris Mathews de MSNBC
Chris Mathews est un journaliste de la presse libérale des USA à la réputation établie.
On commence à faire circuler la transcription d'une interview de celui qui était alors le Cardinal Bergoglio en Argentine. En fait, il s'était agi plutôt d'un guet-apens perpétré par Ie journaliste Chris Marthews de MSNBC.
Mais c'est le Cardinal Bergoglio qui finit par fustiger Matlews de telle manière que MSNBC renonça à diffuser l'interview. Mathews ayant constaté que son dessein avait échoué déposa l'enregistrement vidéo aux archives.
Un étudiant de l'université Notre Dame, qui réalisait son service social chez MSNBC, en pris possession et le remis à son professeur.

Le moment fort de l'interview est constitué par le débat à propos de la pauvreté.
L'échange démarre quand le journaliste tente de piéger le Cardinal en lui demandant ce qu'il pense de la pauvreté dans le monde.
Réponse du Cardinal :
Tout d'abord en Europe, et maintenant en Amérique, certains hommes politiques ont eu pour objectif d'endetter les peuples, créant ainsi une situation de dépendance. Pourquoi ? Pour renforcer leur pouvoir. Ce sont de remarquables experts en création de pauvreté et nul ne leur tient tête. Eh bien moi, je lutte pour combattre cette pauvreté. La pauvreté est devenue une situation naturelle et cela n'est pas bon. Ma tâche consiste à éviter l'aggravation de ce genre de situation.
Les idéologies qui engendrent de la pauvreté doivent être dénoncées. C'est l'éducation qui est la grande solution à ce problème. Nous devons apprendre aux gens comment sauver leur âme, mais en leur apprenant à éviter la pauvreté et à ne pas permettre que le gouvernement les conduise à cette pénible situation.

Là, offusqué, Matilews demande : Vous en rendez le gouvernement responsable ?!
J'en rends responsables les hommes politiques qui ne sont guidés que par leurs propres intérêts. Vous et vos amis vous êtes socialistes. Vous-mêmes et vos ligues politiques, vous êtes la cause de 70 ans de misère, et cela a conduit de nombreux pays au bord de la catastrophe. Vous croyez en la redistribution, ce qui est une des causes de la pauvreté. Vous voulez nationaliser l'univers pour pouvoir contrôler toutes les activités humaines. Vous détruisez la motivation chez l'homme, y compris pour prendre en charge sa famille, ce qui est un crime contre la Nature et contre Dieu. Cette idéologie crée plus de pauvres que toutes les corporations que vous qualifiez de diaboliques.

Mathews réplique : Je n'avais jamais entendu cela de la bouche d'un cardinal.
Le Cardinal : Les peuples dominés par les socialistes doivent savoir que nous n'avons pas à être pauvres.

Mathews attaque : Et l'Amérique Latine ? Vous voulez gommer les progrès accomplis ?
Le Cardinal: L'empire de la dépendance a été créé par Hugo Chavez avec de fausses promesses, et en mentant pour faire que l'on s'agenouille devant son gouvernement. Il leur a donné du poisson en leur interdisant de pêcher. En Amérique Latine, celui qui apprend à pêcher est puni. et ses poissons confisqués par les socialistes. La liberté est punie. Vous vous parlez de progrès, et moi je parle de pauvreté. J'ai peur pour l'Amérique Latine. Toute cette région est contrôlée par un bloc de régimes socialistes comme Cuba, l'Argentine, l'Equateur, la Bolivie, le Venezuela, le Nicaragua. Qui les sauvera de cette tyrannie ?

Mathews accuse .- Vous êtes capitaliste !
Le Cardinal: Si l'on pense que le capital est nécessaire pour construire des usines, des écoles, des hôpitaux, des églises, alors peut-être suis-je capitaliste. Et vous, vous vous opposez à ce processus ? Bien sûr que non, mais, ne pensez-vous pas que le capital est extorqué aux peuples par des corporations abusives ? Non, je pense que le peuple, au travers de ses options économiques, décide quelle est la proportion de son capital qui sera consacrée à ces projets.
L'utilisation du capital doit être volontaire. Quand les hommes politiques confisquent ce capital pour construire des ouvrages gouvernementaux et alimenter la bureaucratie, cela crée un grave problème. Le capital investi de façon volontaire est légitime, mais celui que l'on investit par coercition est illégitime.

Vos idées sont radicales, affirme le journaliste
Le Cardinal : Non. Il y a pas mal d'années, Kroutchev formula un avertissement : Nous ne devons pas nous attendre à ce que les Américains embrassent le communisme, mais nous pouvons assister leurs leaders élus grâce à des injections de socialism jusqu'à ce que, à leur réveil, ils découvrent qu'ils sont
embarqués dans le communisme Et c'est ce qui est entrain de se passer dans l'ancien bastion de la liberté. Comment les USA peuvent-ils sauver l'Amérique Latine s'ils se sont, eux, convertis en esclaves de leur gouvernement ?

Mathews affirme : Moi je ne peux pas digérer tout çà !
Le Cardinal lui répond : Vous constatez que vous êtes en colère, la vérité peut être douloureuse. Vous avez créé l'état de bien-être qui n'est que la réponse aux besoins des pauvres créés par la politique.
L'Etat interventionniste absous la société de sa responsabilité. Les familles échappent à leur devoir grâce au faux état d'assistance, et cela inclue les Eglises. Le peuple ne pratique plus la charité, et il considère les pauvres comme un problème du gouvernement. Pour l'Eglise, il n'y a plus de pauvres à aider : ils ont été appauvris de façon permanente, et ils sont maintenant la propriété des hommes politiques.
Et ce qui m'irrite profondément c'est l'incapacité des média qui observent le problème sans en analyser la cause. Le peuple a été appauvri pour qu'ensuite il vote pour ceux qui l'ont plongé dans la pauvreté.

Répondre
DEGHILAGE 28 décembre 2013 - 3:27 pm

Economie de marché…
Le Pape a raison lorsqu'il dénonce l'économie de marché fondée sur une consommation outranciére quio conduit les Hommes a trouver comme seuls sources d' "équilibre", CONSOMMER et tout ce que celà engendre…Pollution, Spéculation capitalistique et financiére aux seules régles : LE PROFIT POUR QUELQUES UNS…

Répondre
liberal 28 décembre 2013 - 4:25 pm

Le Pape et l'économie
Vous devriez lui envoyer votre réflexion. En effet, ce Pape risque d'assimiler l'économie de marché à ce qu'il a connu en Argentine plus proche du capitalisme des tricheurs ou de l'Etat central tricheur qui distribue des miettes pour se faire réélire.
merci pour cette réflexion.

Répondre
Jean VIBES 28 décembre 2013 - 5:36 pm

réaction à la lecture de l'article
Une parfaite mise au point (dont le pape François aurait tout intérêt à prendre connaissance!)
Merci et bonne année!

Répondre
jean-philippe delsol 29 décembre 2013 - 3:48 pm

Réponse
Merci pour vos commentaires et notamment celui de Pierre Williamsonn qui montre qu'en fait le Pape était vraiment anti-socialiste quand il était cardinal Bergoglio.
C'est sans doute la preuve que dans son exhortation le Pape François a sans doute parlé trop vite et cela est, d'une certaine manière, rassurant.
Mais seulement d'une certaine manière car le devoir d'un pape est de ne pas parler trop vite et le devoir des hommes que nous sommes, c'est de rappeler toujours et contre vents et marées les méfaits de critiques aussi radicales que celles que le pape a malencontreusement prononcées contre l'économie de marché. Il a dans sa nouvelle fonction une responsabilité incroyable qu'il ne mesure peut-être pas encore. En prononcant ses mots contre l'économie de marché, il a donné des armes à ceux là mêmes qu'il dénonce dans l'interview dont Pierre Willamsonn nous a donné la teneur, ce qui est pur le moins paradoxal.
Merci à tous de vos échanges.
Jean-Philippe Delsol

Répondre
Pascal 29 décembre 2013 - 10:49 pm

La Joie provient-elle du marché ou de l'Evangile ?
Merci beaucoup pour votre article très intéressant qui me touche de près car je suis à la fois créateur d'une entreprise innovante de haute technologie travaillant à 80% à l'export et en même temps diacre et par concéquent engagé dans l'Eglise. Votre analyse m'a conduit à relire attentivement les passages de l'exhortation apostolique que vous citez. J'invite d'ailleurs vos lecteurs à relire ces passages en totalité et dans le bon ordre, ce qui permet de bien suivre la pensée du pape. Personnellement, je ne tire pas les mêmes conclusions que vous après relecture des passages incriminés.

Je pense que dire que le pape est contre l'économie de marché est un contresens complet. De ce point de vue, vous avez bien fait de reproduire de long passages d'autres encycliques et enseignements de l'Eglise qui montrent que le marché est un bon outil, surtout si on l'oppose au système socialiste qui veut que l'État soit responsable de tout. Mr Pierre Williamsonn montre aussi clairement que le pape, avant d'être élu, n'était pas du tout dans l'optique de condamner le marché en lui-même et je doute fort qu'il ait retourné sa veste. Le pape François ne condamne pas le marché, en lui-même, mais il condamne le marché sacralisé. Ce mot SACRALISE, n'apparaît qu'une seule fois dans vos citations, mais dans le texte du pape, il insiste beaucoup là-dessus avec des mots équivalents : il dit « nous avons créé de nouvelles IDOLES (55)» ou encore « l'autonomie ABSOLUE des marchés (56)» ou encore « un marché DIVINISE transformé en règle ABSOLUE (56)». Autrement dit, le pape s'insurge contre l'idéologie qui fait du marché un Dieu. C'est tout à fait dans la continuité de la Bible qui ne condamne pas l'argent en lui-même mais l'argent qui devient Dieu. Le marché est bon à condition qu'il reste un outil au service de l'homme et donc au service de Dieu. Si on oublie cela, alors, "le jeu de la compétitivité fait que le plus fort et le plus puissant mange le plus faible(53)". C'est cela et uniquement cela que le pape veut dire et personnellement je suis tout à fait d'accord.

Dans mes relations de chef d'entreprise avec des clients et des fournisseurs je mesure à quel point cette analyse est pertinente. Quand un gros client négocie avec moi, je vois à quel point ce gros client est tenté d'abuser de sa grosseur et de sa force pour me laminer sans me respecter. De même, quand je négocie avec un petit fournisseur, je suis tenté à mon tour de le laminer si j'oublie que derrière le fournisseur il y a avant tout des personnes humaines qui méritent le respect et pas uniquement de l'argent à gagner. Il ne vous a probablement pas échappé que cette tentation est la même à tous les niveaux, y compris pour les centrales d'achat des grandes surfaces qui abusent souvent des petits producteurs. Par contre, ces mêmes grandes surfaces n'abusent jamais des gros comme L'Oréal ou comme Nestlé qui sont aussi gros qu'eux!

J'ai noté dans votre analyse une phrase à laquelle je souscris tout à fait et que je cite : « il vaut mieux un système qui repose sur l’action et les choix d’une multitude de personnes plutôt qu’un autre tout entier entre les mains d’une bande de politiciens tentés rapidement de conserver le monopole du pouvoir et de travailler pour eux plus que pour le bien commun ». On voit bien que cette phrase est écrite par un Français dans un contexte politique français et j'applaudis! Cependant si on sort de ce contexte et qu'on applique cette phrase à d'autres pays, on s'aperçoit que certains groupes multinationaux ont des pouvoirs financiers bien plus importants que les états eux-mêmes. C'est alors que ces groupes industriels peuvent faire la pluie et le beau temps et la fin de la phrase peut s'appliquer tout autant à ces groupes qui travaillent pour eux plus que pour le bien commun. Par exemple, je connais bien l'Éthiopie qui est un des pays les plus pauvres du monde. Si vous allez là-bas, vous constaterez que les publicités de Coca-Cola sont omniprésentes partout y compris dans les villages les plus reculés, comme si le Coca-Cola était la chose la plus nécessaire au développement de ce pays. On est typiquement là dans l'aberration du marché sans foi ni loi qui abuse de personnes pauvres pour leur vendre des produits inutiles et sans que l'État puisse finalement faire grand-chose car ils sont peut-être bien contents, à leur niveau, d'encaisser les impôts de leur principal contribuable!

L'argent, la consommation et le marché, dès lors qu'ils sont considérés comme Dieu produisent des "fruits" qui montrent à quel point cette voie est une impasse. L'indifférence, la solitude et le suicide sont des maladies typiques de nos pays riches. Souvent, je partage avec des amis originaires des pays du tiers-monde qui me témoignent que ces maladies sont bien plus rares chez eux. On en revient au titre de cette exhortation apostolique : "la joie de l'Évangile". Voilà tout le problème ! Si nous considérons le marché comme Dieu, au bout du bout, en fin de compte, nous perdons tous la joie et le bonheur. La voie de l'Évangile met Dieu et l'homme en premier et au bout du bout il nous propose la joie et le bonheur de vivre en frères. Voilà à mon sens ce que le Pape veut dire.

Répondre
Pascal 30 décembre 2013 - 9:45 am

Le marché divinisé !
Merci beaucoup pour votre article très intéressant qui me touche de près car je suis à la fois créateur d'une entreprise innovante de haute technologie travaillant à 80% à l'export et en même temps diacre et par concéquent engagé dans l'Eglise. Votre analyse m'a conduit à relire attentivement les passages de l'exhortation apostolique que vous citez. J'invite d'ailleurs vos lecteurs à relire ces passages en totalité et dans le bon ordre, ce qui permet de bien suivre la pensée du pape. Personnellement, je ne tire pas les mêmes conclusions que vous après relecture des passages incriminés.

Je pense que dire que le pape est contre l'économie de marché est un contresens complet. De ce point de vue, vous avez bien fait de reproduire de long passages d'autres encycliques et enseignements de l'Eglise qui montrent que le marché est un bon outil, surtout si on l'oppose au système socialiste qui veut que l'État soit responsable de tout. Mr Pierre Williamsonn montre aussi clairement que le pape, avant d'être élu, n'était pas du tout dans l'optique de condamner le marché en lui-même et je doute fort qu'il ait retourné sa veste. Le pape François ne condamne pas le marché, en lui-même, mais il condamne le marché sacralisé. Ce mot SACRALISE, n'apparaît qu'une seule fois dans vos citations, mais dans le texte du pape, il insiste beaucoup là-dessus avec des mots équivalents : il dit « nous avons créé de nouvelles IDOLES (55)» ou encore « l'autonomie ABSOLUE des marchés (56)» ou encore « un marché DIVINISE transformé en règle ABSOLUE (56)». Autrement dit, le pape s'insurge contre l'idéologie qui fait du marché un Dieu. C'est tout à fait dans la continuité de la Bible qui ne condamne pas l'argent en lui-même mais l'argent qui devient Dieu. Le marché est bon à condition qu'il reste un outil au service de l'homme et donc au service de Dieu. Si on oublie cela, alors, "le jeu de la compétitivité fait que le plus fort et le plus puissant mange le plus faible(53)". C'est cela et uniquement cela que le pape veut dire et personnellement je suis tout à fait d'accord.

Dans mes relations de chef d'entreprise avec des clients et des fournisseurs je mesure à quel point cette analyse est pertinente. Quand un gros client négocie avec moi, je vois à quel point ce gros client est tenté d'abuser de sa grosseur et de sa force pour me laminer sans me respecter. De même, quand je négocie avec un petit fournisseur, je suis tenté à mon tour de le laminer si j'oublie que derrière le fournisseur il y a avant tout des personnes humaines qui méritent le respect et pas uniquement de l'argent à gagner. Il ne vous a probablement pas échappé que cette tentation est la même à tous les niveaux, y compris pour les centrales d'achat des grandes surfaces qui abusent souvent des petits producteurs. Par contre, ces mêmes grandes surfaces n'abusent jamais des gros comme L'Oréal ou comme Nestlé qui sont aussi gros qu'eux!

J'ai noté dans votre analyse une phrase à laquelle je souscris tout à fait et que je cite : « il vaut mieux un système qui repose sur l’action et les choix d’une multitude de personnes plutôt qu’un autre tout entier entre les mains d’une bande de politiciens tentés rapidement de conserver le monopole du pouvoir et de travailler pour eux plus que pour le bien commun ». On voit bien que cette phrase est écrite par un Français dans un contexte politique français et j'applaudis! Cependant si on sort de ce contexte et qu'on applique cette phrase à d'autres pays, on s'aperçoit que certains groupes multinationaux ont des pouvoirs financiers bien plus importants que les états eux-mêmes. C'est alors que ces groupes industriels peuvent faire la pluie et le beau temps et la fin de la phrase peut s'appliquer tout autant à ces groupes qui travaillent pour eux plus que pour le bien commun. Par exemple, je connais bien l'Éthiopie qui est un des pays les plus pauvres du monde. Si vous allez là-bas, vous constaterez que les publicités de Coca-Cola sont omniprésentes partout y compris dans les villages les plus reculés, comme si le Coca-Cola était la chose la plus nécessaire au développement de ce pays. On est typiquement là dans l'aberration du marché sans foi ni loi qui abuse de personnes pauvres pour leur vendre des produits inutiles et sans que l'État puisse finalement faire grand-chose car ils sont peut-être bien contents, à leur niveau, d'encaisser les impôts de leur principal contribuable!

L'argent, la consommation et le marché, dès lors qu'ils sont considérés comme Dieu produisent des "fruits" qui montrent à quel point cette voie est une impasse. L'indifférence, la solitude et le suicide sont des maladies typiques de nos pays riches. Souvent, je partage avec des amis originaires des pays du tiers-monde qui me témoignent que ces maladies sont bien plus rares chez eux. On en revient au titre de cette exhortation apostolique : "la joie de l'Évangile". Si nous considérons le marché comme Dieu, au bout du bout, en fin de compte, nous perdons tous la joie et le bonheur. La voie de l'Évangile met Dieu et l'homme en premier et au bout du bout il nous propose la joie et le bonheur de vivre en frères. Voilà à mon sens ce que le Pape veut dire.

Répondre
Solange 30 décembre 2013 - 1:19 pm

Exortation du Pape
Merci pour ce laïus qui remet en perspective la réalité des faits inconnus et incompréhensible, malheureusement, pour une majorité de nos concitoyens. Ces réalités sont voulues par les gouvernements; j'ose dire: de tous les pays. Le pouvoir sur les individus est une drogue donc un abime sans fond, les richesses matérielles enivrent et les rendent inconscients qu'ils sont pourtant de chair faits. Il n'y a qu'a écouter certaines "élites", là, on se rend compte qu'ils sont "hors sol". Encore merci pour les 6 commentaires précédents: on se sent moins seul, mais ce n'est quand même pas rassurant pour l'avenir immédiat.
Bonne fin d'année à tous.

Répondre
jean-Philippe Delsol 31 décembre 2013 - 10:24 am

Réponse à Pascal
Je remercie Pascal de son propos que je partage dans sa condamnation d'un marché qui serait sacralisé. Le marché n'est qu'un moyen, un outil. Mais jusqu'à présent, on a pas trouvé mieux pour faire progresser le monde. Ce qui ne veut pas dire que l'économie de marché est le système qui sera toujours le meilleur, et encore moins qu'il soit parfait. Comme tout suystème, il est aussi ce qu'en font les hommes qui peuvent le détourner à leur profit de manière malhonnète.
Mon analyse a consisté à souligner que le Pape François a parlé sans doute sans précaution, en ayant une tendance a jeté le bébé du marché avec l'eau du bain de son idolatrie.
Le problème est que beaucoup de gens vont lire les propos du Pape en s'en prévalant pour accabler les économies de marché. Et les prètres risquent d'être les premiers à tirer parti de ces propos en chair. Je l'ai déjà entendu. Le Pape Jean-Paul II qui condamnait aussi l'idolatrie du marché l'avait fait avec infiniment plus de discernement, en prenant soin de souligner les vertus d'un marché libre, ce que le Pape François n'a pas fait. Certes, je suis convaincu que le Pape François n'est pas marxiste. Mais il a néanmoins dit clairement qu'il voudrait d'une manière ou d'une autre s'en remettre à l'Etat et à ses programmes et autres plans plutôt qu'au marché, fusse-t-il désacralisé. Il est de notre devoir d'ouvrir le débat à ce sujet.

Répondre
Pascal 31 décembre 2013 - 5:51 pm

Réponse de Pascal à Jean-Philippe Delsol
Merci de vos remerciements qui, à mon tour, m'inspirent quelques réflexions :

Je n'oserais personnellement pas dire que "le marché est LE système qui sera TOUJOURS le meilleur". C'est justement des affirmations de ce genre qui nous mettent sur la pente d'un système "sacralisé" au sens ou il serait "TOUJOURS le meilleur" pour les siècles des siècles … comme Dieu. J'exprimerais les choses autrement en disant que : « dans l'état actuel des choses, on n'a pas trouvé mieux que le système du marché libre ». J'ai cependant l'espérance qu'un jour, si Dieu le veut, on trouvera un système meilleur !

Il est tout à fait vrai qu'aborder ces questions pour un Pape, et plus généralement pour l'Eglise, est très délicat car on est sans cesse sur la corde raide à se garder d'un côté des excès du libéralisme et de l'autre des excès du socialisme, étant bien entendu que, dès lors qu'il ne s'agit pas d'idéologies, la liberté et le social sont des bonnes choses qu'il faut promouvoir simultanément. Il est vrai que le Pape aurait peut-être pu être plus équilibré en soulignant aussi les avantages du marché et pas uniquement ses dangers. Mais vous voyez que l'exercice est terriblement difficile au sens où j'ai essayé de vous montrer dans ma remarque qui précède que vous tombiez finalement dans le même excès, mais en sens inverse du Pape François.

Je partage avec vous qu'il est inquiétant ( consternant même ? ) de voir des prêtres qui s'emparent de ces propos pour dénigrer en chair les vertus de l'économie libre et du marché. Cela signifie que, outre le fait qu'ils ne sont pas au courant des encycliques et autres discours de l'Eglise sur ces sujets, ils ne savent pas bien lire non plus tous les mots que j'ai soulignés dans mon premier post. Espérons que les diacres qui, comme moi, travaillent dans l'économie libre et dans la création de richesses, puisse rectifier, en chair aussi, ces excès.

Je partage avec le Pape l'idée que c'est bien à l'État de réguler le marché lorsqu'il devient fou et ne se préoccupe plus du bien commun. En revanche, il convient de se mettre d'accord sur ce que le mot "réguler" et "État" veut dire ? Pour moi, réguler ne veut pas dire tuer et État ne veut pas dire dictature. Ce qui pose problème c'est lorsque l'État fait une promotion active de la lutte des classes, dissuade les entrepreneurs d'entreprendre, promeut l'assistanat à tous les étages, et considère la création de richesses comme un délit. J'ose espérer que ce n'est pas le cas de tous les Etats du monde ! Peut-être suis-je naïf ?

Je partage tout à fait avec vous l'idée qu'il est un "devoir d'ouvrir le débat" sur ces sujets. C'est ce que vous faites et je ne peux que vous en remercier chaleureusement. C'est la raison aussi pour laquelle je suis abonné à votre lettre d'information que je lis avec grand intérêt.

Répondre
Patrick Nodé -Langlois 31 décembre 2013 - 7:50 pm

Cupidité ou capacité à servir le Bien Commun ?
L'Exhortation de François, document remarquable pour nous aider à mieux discerner, m'a interpellé en tant qu'ancien chef d'entreprise dans une grande entreprise, puis dans une entreprise familiale. Déconcerté de prime abord par les passages sur l'économie que je n'arrivais pas à relier à Centesimus Annus , document qui ne quitte pas mon bureau, j'ai regardé les contextes dans lesquels l'encyclique et l'exhortation avaient été écrites. En 1991, exit le communisme, en 2013, la crise ultra libéraliste de nature essentiellement morale est toujours là avec sa " culture du déchet" comme le dit avec véhémence François . Si les responsables politiques et économiques s'étaient inspirés de l'Encyclique Centesimus Annus, il est plus que probable que nous aurions évité la crise. Quand j'en parlé autour de moi on m'écoutait avec un intérêt poli sans plus. La cupidité , engendrant le court termisme, a vite pris le dessus dans le domaine de l'économie et les politiques pensaient plus à leur réélection qu'au bien commun.
Le pape François ne met pas en opposition l' entrepreneur et le politique. Il écrit dans le chapitre 203 " LA vocation d'entrepreneur est un noble travail, il doit se laisser toujours interroger par un sens plus large de la vie;ceci lui permet de servir vraiment le bien commun…" Je ne vois là aucune contradiction avec l'économie libre de JP II.Dans le chapitre 205 il dit " La politique tant dénigrée, est une vocation très noble…..parce qu'elle cherche le bien commun." Au fond c'est l'oubli du bien commun par les uns et les autres , qui est la cause première de la crise. Les dirigeants qu'ils soient politiques ou économiques ont oublié la qualité essentielle qui fait la grandeur de leur métier : la capacité à servir ; et beaucoup ont choisi de se servir par goût du lucre ou de la domination.
Je me sens bien en phase avec JP Delsol et le remercie d'avoir si bien fait la liaison avec Centesimus Annus.

Répondre
BT 4 janvier 2014 - 2:38 pm

Jean-Paul II, une référence ??
Remarquable, l'éloge de JP II pour dénigrer la nouvelle approche de François. JP II, ami de Thatcher, Reagan et Pinochet (saluant les chiliens depuis le balcon avec Pinochet) est difficilement une référence…
Oui, François dérange les libéraux… Bonne nouvelle. "On ne peut pas servir Dieu et l'argent".

Répondre
BT 4 janvier 2014 - 2:43 pm

Jean-Paul II, quelle référence ??
Remarquable, l'éloge de JP II pour dénigrer la nouvelle approche de François. JP II, ami de Thatcher, Reagan et Pinochet (saluant les chiliens depuis le balcon avec Pinochet) est difficilement une référence…
Oui, François dérange les libéraux… Bonne nouvelle. "On ne peut pas servir Dieu et l'argent".

Répondre
Fréd 6 janvier 2014 - 9:47 pm

Et si la question économique était liée à notre foi ?
Juste le commentaire d'un chrétien (non catholique) pour rappeler que l'évangile enseigne que le prince de ce monde c'est satan…
Quand un pays , une ville ou un groupe s'incline devant Jésus en s'appuyant et en obéissant à sa Parole, alors il se passe des choses extraordinaires dans tous les domaines y compris l'économie. Quand on s'éloigne de lui c'est l'inverse. Le peuple juif en est une excellente illustration . Voir également les films "transformations" , témoignages filmés de ce que j'avance à l'échelle de villes et pays. Evidemment le raisonnement humain en prend un sacré coup ! Vive la foi!

Répondre
Olivier PINOT de VILLECHENON 12 janvier 2014 - 10:13 am

Le Pape et l'économie
L'excellente sélection d'extraits proposée par Jean-Philippe DELSOL met bien en évidence la position particulièrement équilibrée de l'enseignement social de l'Eglise: Affranchie de toute idéologie, elle rappelle la nécessité de respecter les droits à la liberté d'entreprendre et à la propriété privée tout en en indiquant les limites, condamne "l'Etat de l'assistance" tout en rappelant la nécessité du rôle régulateur de l'Etat. Les rôles respectifs de l'Etat et des personnes doivent être envisagés, non pas dans une opposition stérile, mais dans une complémentarité régie par le principe de subsidiarité. Les hommes ne sont pas meilleurs lorsqu'ils sont responsables de l'Etat ou responsables de l'activité économique. Le pire survient lorsqu'ils sont les deux à la fois. La recherche du bien commun ne saurait être réservée aux responsables politiques. Elle incombe à chacun dans l'exercice de ses responsabilités, notamment économiques: il en résulte que l'affirmation d'Adam Smith, selon laquelle chacun agit le plus efficacement pour l'intérêt de la société lorsqu'il ne poursuit que son propre intérêt n'est pas recevable et conduit à l'exploitation de la personne humaine ainsi qu'à la destruction de son environnement. L'exhortation du Pape n'est pas une recension des positions équilibrées de l'enseignement social de l'Eglise, qu'il n'a pas remis en cause, mais un cri d'alarme devant les dégâts humains qu'engendrent l'ignorance du bien commun et la recherche exclusive du profit lorsque le marché est mal régulé ou se compose d'un trop grand nombre de décideurs cyniques.
Merci à Jean-Philippe Delsol pour le rappel de ces textes qui forment une véritable ossature…même si je vais peut-être un peu au delà de ses conclusions?

Répondre