Il y a dans l’histoire (récente) des Roumains et des Ukrainiens un 1er avril bordé de noir dont on ne parlait qu’à voix basse du temps du communisme. Il a fallu qu’advienne le tournant de 1989 pour que des langues se délient à propos d’une forêt débouchant sur le no man ‘s land d’une frontière fraîchement imposée. Il s’agit d’un endroit au nord de la Roumanie (aujourd’hui en territoire ukrainien) situé à côté d’un village appelé Fantana Alba (Bila Krinitsa, en Ukraine), un petit village de Lipoveni, où demeurent des Russes paisibles, orthodoxes « de rite ancien ». Après un grand détour par les bouches du Danube, ils étaient venus s’installer, en 1784, sur les terres du monastère Putna, au milieu d’une population alors éminemment roumaine et plutôt accueillante. Le 23 juin 1940, après un ultimatum adressé à la Roumanie, l’Armée Rouge envahit le nord de la Bucovine et « le pays de Hertsa », ses chars ne s’arrêtant qu’après avoir dépassé Fantana Alba. Précisons que le rapt de ces deux territoires n’était point mentionné dans le protocole additionnel secret du pacte Ribbentrop-Molotov, comme l’était la Bessarabie, par exemple : c’était un bonus que s’offrait Staline voyant Hitler pris par sa campagne dans l’ouest de l’Europe. Le prétexte invoqué : « libérer » les Ukrainiens de cette région afin qu’ils puissent intégrer la grande patrie soviétique. Comme Poutine veut « libérer » l’Ukraine aujourd’hui…
Le 1er avril 1941, le NKVD (l’ancêtre du KGB) fait croire (un vrai mensonge du 1er avril) aux habitants de plusieurs villages qu’ils peuvent partir en Roumanie. En réalité, il s’agit d’un piège. En traversant la forêt située juste à la frontière, les gardes-frontières soviétiques ouvrent le feu. Plus de 2 000 civils sont massacrés et jetés dans des fosses communes : hommes, femmes, vieillards, enfants (parmi eux, des nourrissons). C’était le deuxième grand massacre en quelques mois. Au mois d’avril et mai 1940, donc une année avant, le NKVD s’était fait la main à Katyn.
(avec Mihai Ungurean)
3 commentaires
Merci pour cette belle précision sur un fait historique que beaucoup méconnaissent. Il n’était pas nécessaire d’y ajouter Poutine. Car si Poutine s’appelait Staline, l’Ukraine serait déjà rayée de la carte. Je n’approuve pas pour autant la bellicosité de Poutine, mais là : comparaison, n’est pas raison.
pas écrit qu’il était comme Staline mais beaucoup de similitudes, surtout dans les discours. Par ailleurs, des villages et villes entières (et des populations chassées et déplacées) en Ukraine maintenant. Comme Staline.
NL
Pour trouver l’endroit sur Google Maps, il faut écrire soit le nom roumain tel qu’il est donné dans l’article, soit le nom ukrainien transcrit mais écrit ainsi :
Bila Krynytsya.