L’Europe est d’abord géographique comme le dit Hérodote qui, sans doute le premier, la définit comme ces territoires à l’ouest des Dardanelles, l’ancien Hellespont. Mais elle est depuis lors bien plus qu’une péninsule asiatique. Elle est notre histoire, notre culture, notre esprit, et ses institutions n’en sont qu’une expression partielle et souvent partiale. Elle est inscrite dans nos mémoires anciennes et récessives, dans nos habitus, nos manières d’être, de penser, de réagir. L’Europe est hétérogène dans ses origines car elle n’a jamais cessé d’intégrer des envahisseurs venus d’Orient, depuis les Mèdes et les Perses, ou les Achéens qui ont ébranlé la civilisation crétoise vers 1700 av. J.-C., jusqu’aux déferlements barbares qui ont longtemps défié l’empire romain avant d’être assimilés par lui. Elle a été ensuite, malgré ses infinies querelles intestines, unifiée par le christianisme et modelée par sa résistance opiniâtre aux guerres incessantes des musulmans pour la conquérir avant que les lignes de partage se stabilisent au sud-ouest en Espagne, reconquise toute entière en 1492, et par ailleurs aux limites de l’Empire latin d’Orient, puis après sa défaite, aux frontières instables de l’empire des Habsbourg à l’est.
Les peuples européens sont restés divers et néanmoins unis dans l’émergence d’une commune attention à la personne. L’essentiel des racines de l’Europe plonge dans l’entrelacs de la philosophie grecque, de la spiritualité judéo-chrétienne et du droit romain. Ces sources se sont fondues et s’entretiennent mutuellement dans l’attachement à quelques principes, l’état de droit, la liberté et la diversité, engendrant ce qui est devenu ainsi une civilisation unique. L’Europe est le vecteur de ce miracle occidental qu’elle ruinera si elle ne sait pas à la fois respecter ses fondements et les enrichir.
L’état de droit et le respect de la personne
Comme le relate Les Travaux et les Jours d’Hésiode, dans la mythologie grecque déjà, le Diké, c’est-à-dire la justice ou plus largement le respect mutuel et celui du monde, est « la règle pour les hommes ». A Athènes comme à Rome, le pouvoir est longtemps resté marqué de l’empreinte de ses mythes fondateurs. Mais la philosophie grecque s’est empressée de débattre ouvertement des institutions et des constitutions analysées par Aristote, et Rome a adopté très tôt un droit délié de la tyrannie des dieux ainsi qu’il ressort des Douze Tables (vers 450 av. J.-C.) dont les lois civiles et criminelles ne font référence au sacré que de manière exceptionnelle et marginale. Ce droit est établi sur la connaissance de la nature humaine et de ce qui convient le mieux pour assurer la justice et la paix sociale.
Puis la naissance gréco-romaine de la notion de « personne » a été fécondée par le christianisme porteur lui-même de la tradition juive et des enseignements des premières civilisations orientales d’entre le Tigre et l’Euphrate où elle avait elle-même puisé, de façon à en élever le respect à un principe majeur. En continuité avec les lois assyriennes qui l’ont précédée, et notamment le code d’Hammurapi, la Bible est réticente à l’égard de l’esclavage et incite les juifs à libérer les esclaves hébreux après sept ans de servitude. La Bible a transmis elle-même cette idée énoncée déjà par les textes babyloniens prébibliques que « La monarchie a pour but de faciliter la vie des hommes libres en établissant kitum et unisarum », c’est-à-dire la juste autorité et le droit. Le prophète Amos critique l’autorité royale qui bafoue le droit et la justice. Le livre de Jérémie rappelle les devoirs de l’autorité et l’image des rois David et Salomon est à l’unisson alors même que le prêtre et le roi ne sont pas encore toujours distincts. Le Nouveau Testament s’inscrit dans la suite de l’Ancien Testament dont l’histoire est celle de la liberté donnée aux Hommes par Dieu. C’est d’ailleurs en même temps ce qui distingue le judéo-christianisme de l’Islam : dans la Genèse, Dieu laisse à Adam le soin de nommer les animaux tandis que dans le Coran « Le Seigneur apprit à Adam tous les noms… ».
Au demeurant, l’emprise du panthéon païen et du pouvoir absolu ne s’est pas relâchée sans coup férir. Les Empereurs se sont revêtus de la dignité divine pour glorifier leur autorité et s’emparer du droit dont Justinien, au VIème siècle, s’est voulu le grand prêtre. L’autonomie du droit au service des personnes n’a donc été acquise que lentement par la raison et la liberté des hommes.
Le risque de tyrannie propre à la divination de l’empereur romain, puis à la volonté monarchique de tenir le sceptre et le goupillon a été écarté de haute lutte par la séparation du temporel et du spirituel imposée par le pape Grégoire VII sur la base de l’enseignement christique : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ainsi a pu mûrir progressivement, l’idée de la liberté dont les prémisses étaient déjà dans les civilisations antiques qui nous ont accouchés. Ainsi a pu prévaloir, de manière toujours fragile, cette conception liée au respect de l’identité de chacun fondée sur sa liberté de concourir à son salut. Il aura fallu des combats sans merci et des révolutions parfois pour que s’établisse peu ou prou l’état de droit. Mais l’Europe en a été l’artisan dès ses premières ébauches en préservant sa diversité.
Le respect de la diversité
Cette construction d’un état de droit s’est établie dans l’échange des expériences et la confrontation de peuples attachés à leur identité. Bien sûr, dans la nostalgie de Rome, il y eut des tentations impériales, mais celles-ci furent aussi emblématiques et créatrices qu’éphémères, de Charlemagne à Napoléon. Le Saint-Empire romain germanique ne s’imposa qu’en fédérant de manière très lâche des principautés de taille et de puissance inégales et toujours attentives au respect de leur autonomie. L’Europe s’est façonnée dans la diversité d’alliances sans cesse renouvelées et de guerres interminables. Le pouvoir des rois s’est lui-même heurté à la résistance des princes et à la force des Eglises et c’est dans ces interstices entre les pouvoirs morcelés de l’Europe en train de se faire que se sont consolidées nos libertés. C’est toujours la diversité des nations qui a été la marque de l’Europe. Le Moyen Age tant décrié a largement contribué à créer un espace européen de liberté, à sa manière bien sûr qui n’était pas encore la nôtre. La dualité de juridictions ecclésiastiques et temporelles autant que la multitude des autorités – villes, petits seigneurs et grands barons – ont permis d’éviter dans nombre de cas qu’un monopole de justice ou de pouvoir abuse de ses prérogatives.
Le droit lui-même, garant des libertés, s’est diversifié depuis sa matrice latine. La common law offre ce bel exemple de devoir au droit romain des jurisconsultes autant qu’aux droits successifs des Celtes, des Angles, des Saxons, des Danois et des Normands. Le droit continental repose plus largement, au sud de l’Europe, sur le droit romain, mais plutôt dans sa version codifiée et légalisée par l’empereur Justinien redécouverte à Bologne à la fin du XIème siècle et servant de modèle à l’apparition d’un système légicentriste.
Cette diversité des nations a évité l’éparpillement dans l’unité, même souvent malmenée, du christianisme qui a toujours affirmé la force des principes contre les potentats, de Thomas More, qui mourut de n’avoir pas cédé à l’hégémonie d’Henri VIII, à Erasme observant qu’un vrai roi devait se réjouir de la liberté des citoyens et réaffirmant le libre arbitre contre le serf-arbitre de Luther. Pourtant, le protestantisme lui-même, et jusqu’au calvinisme dont la prédestination a le relent du fatum antique, a ouvert à la liberté sous une autre forme que le catholicisme. Tous ont eu leur tentation unidimensionnelle, mais leurs débats, voire leurs combats ont fait admettre la pluralité. Même le calvinisme qui régnait presque de manière totalitaire sur la Cité-Etat de Genève a ouvert à terme le dialogue entre les innombrables lecteurs de la Bible qu’il suscitait. C’est peut-être ce qui conduit Stefan Zweig, pourfendeur de Calvin, à reconnaître que :
« par la plus étrange des métamorphoses, le système calviniste, qui cherchait avec un acharnement spécial à restreindre la liberté individuelle, a enfanté l’idée de la liberté politique : ce sont les Pays-Bas, l’Angleterre de Cromwell, les Etats-Unis, ses premiers champs d’action, qui acceptent avec le plus d’empressement les idées libérales et démocratiques. »
7 commentaires
Quelle est « notre » Europe ?
L’Europe qu’est-ce que c’est ? pour y avoir fréquenté il y a quelques longues années déjà quelques couloirs et quelques personnes y travaillant je peux affirmer que ces institutions sont avant tout une grosse école de fainéants plus que grassement payés d’une part et que dans cette institution la première des choses pour lesquelles il n’en ont que faire sont les normes Européennes. Enfin y regarder de plus près encore la vie des Députés Européens est presque la vie de rêve gros revenus petit travail si d’aventure pour certains le mot travail existe encore.
Pour moi l’Europe c’est avant tout cela. Un gaspillage phénoménal d’argent public et de détournements de fonds publics au profit d’intérêts privés de quelques salariés ( du réel) de cette institution alors on peut imaginer ce que peuvent faire les élus. Voyager à travers le monde est également une de leur spécialité en tout cas de certains salariés et élus. Et tout cela il y a une vingtaine d’années déjà alors on peut imaginer ce qui s’y passe aujourd’hui. Il me reste aussi quelque vieux souvenirs lors de la construction du Palais de Strasbourg durant lesquelles manoeuvres les gros pots de vins y étaient courants et un passage obligé. Et quelle arrogance et prétention y règne c’est une honte, mais c’est aussi cela l’administration publique.
Quelle est « notre » Europe ?
Merci pour votre article. L’ue s’est construite sur le modèle d’un presque parfait 4 ème reich. Il ne faut donc pas s’étonner de ses derives mai y mettre un terme.
Cette organisation a bénéficié d’un essai de 70 ans, qu’elle a employé comme vous l’avez si bien décrit ; mais aussi tel que commenté (mais encore..).
Il n’y a plus rien à attendre de ces institutions qui mordent les mains des peuples qui la nourrissent et qui a même su s’octroyer le droit de se servir sans attendre ses subsides.
Les dérives inhérentes au fonctionnement des administrations ont été décrites par des sociologues. Si c’est une fatalité humaine il n’est pas pour autant indispensable de laisser perdurer ces dérives et s’étendre ces fractures jusqu’à la dislocation inéluctable en l’espèce.
Son bilan est médiocre et son idéologie est désormais tellement néfaste qu’il n’yaplus rien à en attendre.
Il est grandement temps que cet essai se termine, et que cette organisation soit réformée en profondeur avec le tsunami de remerciements qui convient, pour le bien des Nations et d’une future Union européenne épanouie.
Meilleurs vœux.
Quelle est « notre » Europe ?
J’ai 2 perceptions de l’Europe
– Celle de rencontres internationales dans les années 1950 à Maria Laach, plus ou moins fiancées par Adenauer, et nous ouvrant à un rêve que les traités ultérieurs ont assez bien réalisé.
– Celle du Parlement européen en 2019, que, invité par une élue locale, j’ai eu l’occasion de visiter. J’y ai vu une pantomine de débat à 5 ou 6 députés sur le « travail des enfant dans les mines à Madagascar », suivie de l’arrivée massive des députés votant; dans la foulée, les résolutions (évidemment bidons!) et quittant les lieux aussi rapidement que les 3 ou 400 (!) visiteurs comme moi se dirigeant vers une salle à manger où nous a été servi un bon déjeuner, évidemment aux frais de la princesse Europe.
Qu’est devenue l’ambiance et l’enthousiasme de l’auberge de jeunesse animée par les bénédictins allemands assistés de responsables français dont mon professeur d’allemand, décoré à juste titre par la BRD ?
Macron le jeune saura-t-il ressusciter cette ferveur ou au moins en retrouver l’esprit ? J’en doute.
Quelle est « notre » Europe ?
En parfait accord avec Laurent. Depuis des années, je ne cesse de répéter qu’il faut sortir de cette europe de m….. qui coûte une fortune aux contribuables français, tout cela pour engraisser des fonctionnaires fainéants, incapables et parfaitement inutiles. Il faut également détruire le Palais de Strasbourg afin d’éviter toute forme de réunionnite..!
Lorsque l’on voit l’endettement de la France, ses déficits monstrueux, de grâce, arrêtons de jeter l’argent pour les fenêtres avec cette folie d’europe (avec un petit e). !
Quelle est « notre » Europe ?
Sans compter cette belle machine à distribuer des euros qu’est devenue cette « belle » UE.
Entre autre les 6 milliards d’euros généreusement donnés à la Turquie (il y a q.q. années en 2009 je pense) comme aide de pré-adhésion ! On peut compter aussi les millions d’euros distribués à certains pays de l’Europe de l’est pour la même raison.(c’est un peu comme si une mutuelle de santé vous payait une certaine somme pour vous avoir comme client!)
Il est d’ailleurs étonnant que personne ,députés ou autres médias,ne conteste la différence énorme entre la contribution de la France et ce qu’elle perçoit comme adhérente de l’UE.Pour 2022 cette contribution est estimée à une bagatelle de 26,400 milliards d’euros (deuxième contributeur derrière l’Allemagne). Différence pour la France en 2018 : 5 milliards d’euros!!!
Quelle est « notre » Europe ?
Dans une société il y a des DEVOIRS. Ainsi sont créés des DROITS afin que les devoirs puissent être pratiqués en toute équité. L’état de droit ne peut exister sous ce simple terme car c’est une forme de totalitarisme. La diversité européenne on connait et elle a été ou est largement pratiquée, donc aucune leçon à donner ou recevoir. L’autre diversité je ne veux pas la connaître, sauf s’il y a réciprocité, ce qui n’est pratiquement jamais le cas. Les SOLUTIONS sont faciles à trouver, mais les sangsues de l’UE ne l’envisagent pas comme ça. Ce serait trop simples et peu coûteux et beaucoup seraient obligés de retrouver un nouveau job pour notre plus grand plaisir d’ailleurs. Merci à Laurent, Verdun, Astérix et à tous les rédacteurs de l’IREF à qui je souhaite une meilleure année 2022.
Quelle est « notre » Europe ?
La messe est dite avec les conclusions de la propagande « présidentielle », le drapeau du reich sous larc de triomphe.
Il est déjà loin le temps du non au traité et de la présence d’esprit !
Bien à vous