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Essor et déclin de la Trussonomie

Cet article est extrait du Journal des libertés n°20 (printemps 2023)

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Dans cet article, le professeur Kevin Dowd revient sur l’éphémère administration Truss au Royaume-Uni. Il affirme qu’elle et son chancelier, Kwasi Kwarteng, ont fatalement sapé leur propre politique économique en ignorant la viabilité budgétaire en dépit d’avertissements clairs. Ce faisant, Truss et Kwarteng ont fait reculer plutôt que progresser les réformes du marché libre dont le Royaume-Uni a tant besoin[1].

Le 8 juillet de l’année dernière, le Premier ministre britannique Boris Johnson démissionnait de son poste de chef du Parti conservateur après qu’une révolte au sein du cabinet — qui faisait suite à une série de scandales éthiques — ait rendu sa position intenable. Une élection s’est alors tenue au sein du parti afin de désigner le successeur de Boris Johnson au poste de Premier ministre. Les résultats, proclamés le 5 septembre, plaçaient en tête celle que l’on présentait comme « la future Margaret Thatcher » : Liz Truss.

Dès le lendemain, la Reine invitait Truss à devenir Premier ministre et cette dernière annonçait immédiatement « un plan audacieux pour faire croître l’économie grâce à des réductions d’impôts et des réformes » ainsi qu’ « une action [en fait, un plafonnement des prix] dès cette semaine pour régler le problème des factures d’énergie ». Le même jour, elle nommait son nouveau chancelier de l’Échiquier, Kwasi Kwarteng, un libre-échangiste respecté, titulaire d’un doctorat de l’Université de Cambridge avec une thèse sur « la Grande Refonte des Pièces de 1696 ».

L’action de ce nouveau gouvernement était interrompue deux jours plus tard par le décès soudain de la reine Élisabeth, le pays entamant une période de deuil national qui s’est achevée le 20 septembre. Le nouveau gouvernement annonça alors la mise en place d’un « mini-budget » d’urgence afin de définir les contours de son programme économique.

Ce qui suivit illustre parfaitement ce qu’il ne faut pas faire si l’on désire promouvoir un programme libéral. C’est un véritable cas d’école qui mérite d’être médité pour éviter que de futurs décideurs politiques ne répètent les erreurs commises par Truss et Kwarteng ; erreurs qui les ont finalement tous deux poussé à la chute. Sur le fond l’erreur est simple. Certes, les réductions d’impôts étaient raisonnables, mais elles auraient dû être plus que compensées par d’importantes réductions des dépenses publiques afin de réduire le déficit budgétaire et de prouver par la même occasion que le nouveau gouvernement optait pour une politique budgétaire responsable. On fera remarquer que depuis longtemps les gouvernements britanniques successifs ne faisaient référence à la responsabilité budgétaire que pour mieux la trahir, mais il était tout de même imprudent — surtout pour un gouvernement qui prône l’économie de marché — d’ignorer cette question. C’est ainsi que les donneurs de leçons prétentieux se sont vengés d’un gouvernement qui s’est précipité sur un mur budgétaire qu’il n’a pas su apprécier à sa juste hauteur alors qu’il se trouvait juste sous son nez.

Dans cet article, je commencerai par donner une vue d’ensemble et une chronologie des événements qui ont conduit à l’annulation du mini-budget et à la chute de Madame Truss. Je reviendrai ensuite sur ce qui qu’il aurait fallu faire.

Le mini-budget et la réaction du marché

Kwarteng a présenté son mini-budget au Parlement le vendredi 23 septembre. Il s’agissait principalement de mettre en place un onéreux plafond pour les prix de l’énergie ainsi qu’un ensemble de réductions d’impôts destinées à stimuler la croissance économique.

La nouvelle fut très mal reçue par les marchés financiers. Pour citer le commentateur de Bloomberg, Simon White[2] :

Le « mini budget » britannique d’aujourd’hui a provoqué une déroute de la livre sterling et des gilts [obligations d’État britanniques] …. La combinaison d’énormes promesses de dépenses publiques et de réductions d’impôts nécessitera une augmentation significative des emprunts britanniques… La Banque d’Angleterre se trouve maintenant dans un dilemme semblable à celui des pays émergents … Les déficits jumeaux [budget et balance des paiements] s’élèvent actuellement à plus de 250 milliards de livres sterling — un énorme montant de capital … C’est supportable en temps normal, mais lorsque la croissance est faible et que la volatilité macroéconomique est élevée, c’est profondément problématique. Le gouvernement britannique et la Banque d’Angleterre doivent réfléchir rapidement afin d’éviter une nouvelle crise de la livre sterling.

Ils ne l’ont pas fait et, le lundi suivant, la livre s’est effondrée à un niveau record par rapport au dollar, à peine plus de 3 cents au-dessus de la parité.

Les réactions des journalistes spécialisés et de nombreux hommes politiques à ce mini-budget ont été, à quelques exceptions près, hostiles et mal informées ; à tel point que je me demande si le Royaume-Uni n’est pas devenu une idiocratie. Il y a eu bien sur les indignations prévisibles de la gauche pour laquelle les réductions d’impôts ne profitent qu’aux riches, mais la critique la plus surprenante est venue de l’ancien banquier de Goldman Sachs et serviteur des visions du cercle de Davos, Rishi Sunak. Ce dernier, qui est aussi ancien chancelier conservateur et dauphin de Truss dans la course à la direction du parti, avait affirmé tout au long de sa campagne que les réductions d’impôts proposées par Mme Truss étaient mauvaises parce qu’elles n’étaient « pas financées ». Cette affirmation mérite que l’on s’y arrête un instant. Elle revient à dire que le gouvernement ne devrait réduire les impôts qu’à condition d’avoir préalablement accumulé un fonds permettant de financer cette réduction ! Et, comme le précédent gouvernement Sunak n’avait pas constitué un tel fonds, en toute logique (Sunakienne !), Kwarteng ne pouvait pas se permettre de réduire les impôts. On notera que cette perle de sagesse fiscale émanait de ce même chancelier qui, tel un marin ivre, n’avait eu de cesse d’accroître les dépenses publiques tout au long de son mandat (marqué par le Covid) et laissé les finances publiques dans l’état de ruine où Truss et Kwarteng les ont trouvées. Comme si sa propre prodigalité n’était en aucune façon responsable de la crise de confiance fiscale que traversait à présent l’économie britannique et que tout était de la faute du nouveau gouvernement… L’hôpital se moque de la charité.

« La fenêtre d’Overton est [désormais] si étroite dans les médias que tout conservateur qui se lancera dans une baisse des impôts sera pris pour un dérangé », observe Tim Stanley dans le Daily Telegraph du 3 octobre. Il poursuit :

La facture la plus élevée a été celle du plafonnement des prix de l’énergie (60 milliards de livres), tandis que les mesures relatives à la National Insurance [qui couvre en particulier les retraites] et à l’impôt sur les sociétés n’étaient pas réellement des réductions d’impôts mais plutôt des revirements. Le choc qu’a constitué l’abolition du taux le plus élevé [la tranche maximale à 45 % de l’impôt sur le revenu, n’était de fait] qu’une goutte d’eau dans l’océan, avec seulement 2 milliards de livres. Cela représente environ deux Gary Linekers et un yacht royal.

Tim Stanley poursuit en critiquant « les boussoles politiques [qui] n’existent pas pour indiquer la position des hommes politiques mais pour délimiter une zone d’acceptabilité dans notre discours […]. Si l’on s’en éloigne d’un pouce … on est taxé de fou ».

Au cours de la semaine qui suivit ces annonces, le marché des obligations d’État est devenu de plus en plus instable, la crise atteignant son paroxysme dans la matinée du mercredi 28 septembre, lorsque le marché des obligations d’État à long terme s’est effondré. Pour citer le Financial Times :

« À un moment donné ce matin, j’ai craint que ce ne soit le début de la fin », a déclaré un banquier londonien de haut rang, ajoutant qu’à un moment donné, mercredi matin, il n’y avait plus d’acheteurs pour les gilts britanniques à long terme. « Ce n’était pas tout à fait un moment Lehman. Mais on s’en est approché ».

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