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L’Europe a tort de s’isoler dans ses valeurs

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François Hollande, Jean-Claude Juncker et Angela Merkel ont laissé des technocrates à courte vue durcir inopportunément l’attitude de l’Europe envers Londres (source : dpa). Angela Merkel a rencontré le président russe Vladimir Poutine à Sotchi le 2 mai ; rien n’en est ressorti, les relations entre l’Union européenne et la Russie restent tendues. La plupart des pays de l’UE sont aussi membres de l’OTAN, avec laquelle la Russie a des rapports encore pires que tendus. Il est évident que les pays de l’Ouest ont engagé une « guerre hybride » avec la Russie – un affrontement dans lequel la propagande, les sanctions économiques, les cyber-attaques et la déstabilisation ciblée de procédures internes remplacent la guerre traditionnelle. Cependant, le poids de la Russie rend inévitables les efforts de coopération si l’on ne veut pas que la situation internationale dégénère.

Une arrogance qui ne mène à rien

Les relations de l’UE avec la Turquie, excellentes pendant longtemps, sont également devenues exécrables. Ses efforts pour rejoindre l’Europe se sont heurtés à des atermoiements sans fin, les pays membres exigeant d’Ankara des réformes et mesures pour ceci et pour cela, afin prétendument de rendre le régime compatible. En réalité, ils n‘en voulaient pas. Finalement, la Turquie en a pris son parti. Rejoindre l’UE ne l’intéresse plus, alors que l’Europe a encore besoin de ce voisin de poids, partenaire commercial et membre de l’OTAN, proche de tous les Etats du Moyen Orient et d’Asie centrale, qui joue un rôle majeur dans la zone de la Méditerranée orientale et de la Mer noire. Les récents événements ne s’harmonisent pas vraiment avec le système de valeurs dont l’Europe se réclame, il y a de bonnes raisons pour lui refuser son ticket d’entrée, mais la traiter avec arrogance, la marginaliser pour la « « punir » serait contre-productif.

Un Brexit gangrené

Dans deux ans, le Royaume-Uni ne fera plus partie de l’UE, tout en restant un partenaire important de la communauté européenne. Il a son rôle dans les relations internationales et entretient des liens particuliers avec un grand nombre de pays à travers le Commonwealth. Dans la version dure du Brexit, ces atouts seraient perdus pour l’UE. Il est donc essentiel de maintenir de bonnes et étroites relations.
Or, c’est mal parti. Les négociations avec Londres, approuvées unanimement par les membres du Conseil européen (à l’exception évidemment de l’intéressé) ont un caractère hargneux qui laisse mal augurer de l’avenir. Et pour comble, il s’avère que les attentes du Royaume-Uni sont tout à fait irréalistes. Les deux parties restent hélas droites dans leurs bottes. Le seul espoir est que la réalité des affaires prenne le pas sur l’entêtement technocratique.

Trump : un dédain stérile

Autre partenaire de l’Europe, plus important encore : les Etats-Unis. L’élection du président Trump a suscité quelques commentaires insultants dans les capitales européennes, Paris et Berlin, en particulier, imbues d’une prétendue supériorité morale et intellectuelle. Pas très efficace, lorsqu’il s’agit d’établir des relations avec le chef d’un Etat qui était, et restera, au moins pendant quatre ans, le principal interlocuteur de l’Europe en matière de commerce et de défense. Dans le cas du président Donald Trump, ce camouflet ne sera peut-être pas si catastrophique, dans la mesure où il fait preuve d’une grande capacité à oublier.

Dans le domaine des affaires étrangères et de la sécurité, l’Europe dépend plus des Etats-Unis que l’inverse. Ses habitants comme ses dirigeants politiques ont eu la même attitude, hostile et condescendante, envers le président George W. Busch, et cela même avant le début de la guerre d’Irak ; or le président Bush considérait l’Europe comme un partenaire essentiel. Le président Barack Obama, par contraste, était le chouchou des élites européennes alors qu’il ne manifestait qu’un intérêt très relatif envers « le Vieux Continent ». Durant sa campagne, Donald Trump, lui, a soulevé le problème de la sécurité, demandant à l’Europe de renforcer les mesures de protection et de défense. Son administration, très impliquée dans ces questions, l’a appuyé en faisant pression sur les alliés européens membres de l’OTAN. Rien de plus légitime. Il n’empêche : le sentiment anti-Trump reste très vif.

L’Union européenne ne devrait pas se mêler de principes moraux

On rend souvent l’Europe responsable du fait que les choses ne vont pas bien. C’est en faire un bouc émissaire facile. Bruxelles ne fait qu’appliquer les décisions transmises par les Etats membres et ce sont eux qui portent la responsabilité du pétrin dans lequel l’Europe se trouve actuellement. Mais quand la responsabilité est partagée, elle se dilue, et il devient malaisé de blâmer quelqu’un en particulier. Raison pour laquelle l’UE devrait laisser aux gouvernements nationaux le soin de faire respecter les grands principes éthiques, pour se consacrer à ce qui est, en revanche, clairement de son ressort : réglementer le commerce, assurer la sécurité des Etats membres et la stabilité de l’ensemble, se préoccuper de la stabilité et des intérêts de l’Europe, des problèmes humanitaires, voilà ce sur quoi elle devrait se focaliser, mais sans vouloir imposer à des pays réticents des « valeurs » qu’elle estime universelles, opinion qui n’est pas partout partagée.

L’Europe est vulnérable

Malheureusement, l’attitude des Etats-Unis est assez semblable. Elle diffère cependant sur trois points : l’Amérique est la plus grande puissance militaire du monde, son économie dépend moins des échanges commerciaux et deux océans la séparent des points chauds de la planète. L’Europe, péninsule coincée entre les énormes étendues de l’Eurasie et de l’Afrique, hautement dépendante du commerce, des exportations tout comme des importations de matières premières et d’énergie, est vulnérable dans sa défense et sa protection.

Dans le passé, les Etats-Unis se sont bâtis en acceptant d’intégrer des systèmes locaux différents, en respectant leurs alliés et en essayant de comprendre comment jouaient les autres dans le monde. C’est avec l’administration Clinton (1993-2001) que Washington a enfourché la grande cause du « leadership des valeurs », portée à son apogée durant les deux mandats de Barack Obama (2009-2017). Elle a valu au pays de s’aliéner des alliés, ou du moins d’instituer un doute sur sa fiabilité : là est la racine de beaucoup de tendances à la déstabilisation et à l’isolement observées aujourd’hui dans le monde.

Cette posture de suprématie morale, aux Etats-Unis et en Europe, n’isole pas l’Ouest pour autant. Mais elle a contribué au rapprochement de la Russie et de la Chine et a très fortement incité Pékin à rendre la Chine économiquement, politiquement et militairement active dans des endroits-clés du monde.
Revenir à l’isolationnisme serait, pour les Etats-Unis et pour le monde, une démarche négative à long terme. Mais pour l’Europe, ce serait aussi préjudiciable que dangereux à court terme, et, à long terme, dramatique, peut-être fatal. Un vieil adage allemand dit : « viel Feind, viel Ehr », « beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur ». Une attitude stupide qui n’a pas porté chance à l’Allemagne autrefois. L’arrogance des Européens aujourd’hui pourrait les mener aux mêmes résultats : la faillite dans l’isolement, sans aucun honneur.

Cet article a été publié en anglais par Geopolitical Intelligence Services :
Opinion: ‘Values’-driven policies, Europe’s road to isolation

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