Voici presque 15 ans déjà ( le 10 mai 2000 ) que le Conseil d’Orientation des Retraites (COR par abréviation) a été créé et cette décennie et demie mérite bien un premier bilan. Le site de présentation du COR, qui reprend pour l’essentiel l’article 6 de la loi du 21 août 2003, définit ainsi les missions actuelles de l’institution:
– décrire les évolutions et les perspectives à moyen et long terme des régimes de retraite obligatoires au regard des évolutions économiques, sociales et démographiques, en élaborant, au moins tous les cinq ans, des projections de leur situation financière ;
– apprécier les conditions requises pour assurer la viabilité financière à terme de ces régimes ;
– mener une réflexion sur le financement des régimes de retraite susmentionnés et en suivre l’évolution ;
– participer à l’information sur le système de retraite et les effets des réformes conduites pour garantir son financement ;
– suivre l’ensemble des indicateurs concernant la situation des retraités, notamment le niveau de vie relatif des retraités, les taux de remplacement, les écarts et inégalités de pensions des femmes et des hommes.
Or il faut reconnaître que le Conseil d’Orientation des Retraites, qui n’a pratiquement aucun véritable équivalent à l’étranger (le Comité d’étude sur le vieillissement qui existe en Belgique a une compétence et une autonomie nettement plus restreintes au sein du Conseil Supérieur des Finances), ne s’est acquitté que très inégalement de cet ambitieux challenge. Si l’on peut admettre que le volet descriptif de la situation des différents régimes de retraite a été à peu près correctement rempli, leur étude prospective et le contrôle de leur viabilité à long terme, tout comme la garantie de leur financement posent déjà davantage de problèmes. Enfin si on ose se pencher sur la cohésion du système de répartition, la solidarité entre ses régimes et surtout le respect de l’équité entre les retraités, qui faisaient partie de l’ordre initial de mission, on reste fort loin du compte. A l’origine en effet, déplorant le désordre qui régnait tant dans les analyses que dans les prévisions, les créateurs du COR voulaient doter le pays d’une chambre de diagnostic, de réflexion, d’étude et de prospective qui permette aussi objectivement, sereinement et méthodiquement que possible de poser les problèmes actuels et d’engager utilement les débats à venir sur les retraites. Or aujourd’hui, rapport après rapport, l’image du COR est loin d’être aussi positive et ses détracteurs y voient volontiers le bastion avancé de plusieurs lobbies – souvent puissamment syndiqués – du secteur public, bien décidés à perpétuer le plus longtemps possible les avantages et privilèges de leurs ressortissants. Et de fait, tel qu’il est constitué, tel qu’il s’organise, tel qu’il travaille, le COR -qui navigue sans s’en soucier en plein conflit d’intérêt- prête largement le flanc à la critique au regard tant d’une certaine exigence de démocratie sociale, que de l’efficacité et de la pertinence de certaines de ses méthodes de travail.
• Déficit démocratique
• Pas d’équivalent à l’étranger
• Absence de retraités parmi ses membres
• Fonctionnarisation des membres et surreprésentation du secteur public
• Trop importante présence des syndicats
• Des méthodes de travail peu convaincantes
• Conflit d’intérêts
• Des pistes pour réformer le COR
I – UN DEFICIT DEMOCRATIQUE CONSTERNANT
01 – La création du COR a été entachée d’un péché originel. Car c’était en 2000 un véritable scandale – qui n’a pourtant choqué personne dans une majorité socialiste d’ordinaire si prompte à vanter les vertus du dialogue social – que d’écarter complétement les retraités de l’instance où s’esquisse souvent une bonne partie de leur sort. Avec environ 16 millions de bénéficiaires directs ou indirects, les retraités représentent le quart de la population totale de la France, plus du tiers de ses électeurs, mais ils n’ont pratiquement droit à aucune place dans l’instance chargée de réfléchir à leur sort. Même le Défenseur des droits expressément saisi en juillet 2013 de cette discrimination manifeste s’est estimé incompétent, signant là que dans notre République, il y a des droits qui, manifestement et en dépit de leur importance ou peut-être parce qu’ils sont un peu moins voyants, comptent beaucoup moins que d’autres. Ainsi après avoir été écartés tout autant du COR que des fruits de la croissance, nombre de retraités regardent tristement sombrer peu à peu et dans différents arrangements subalternes la garantie de pouvoir d’achat qu’on leur avait solennellement promise. Et près de 15 ans après la création du COR par la Gauche, mais aussi après plus de dix ans gouvernement de Droite, les retraités se voient toujours, tels des incapables majeurs, interdire toute représentation digne de ce nom au Conseil chargé d’éclairer et de préparer leur avenir.
Certes, on pourra encore objecter – et l’argument ne manque pas de poids – que si l’on observe la moyenne d’âge des membres du Conseil, une bonne partie d’entre eux risquent d’être plus sensibles aux avantages de leur prochaine retraite qu’à la limitation des cotisations et des durées d’activité des actifs. Mais il n’est pas sain de placer même à leur insu des gens en plein conflit d’intérêt , en comptant sur leur seul sens de l’intégrité et du dévouement pour qu’ils demeurent rigoureusement de marbre par rapport à toute disposition susceptible de les concerner dans un très proche avenir Dans le cas inverse et fort probable où l’on ne pourrait garantir absolument une telle abnégation, il serait sans doute infiniment plus clair que le COR comporte officiellement dans ses rangs une représentation spécifique et raisonnable des retraités, plutôt que de tabler sur les éventuels contorsions et états d’âme des plus âgés de ses membres afin d’obtenir par raccroc une sorte d’équilibre bancal et rigoureusement inavouable entre actifs et retraités.
02 – Cette exclusion sans appel des retraités « ès qualités » s’aggrave encore d’un autre abus: la surreprésentation manifeste du secteur public, puisque les retraités comme la population active relevant de ce secteur se situent – selon les décomptes, entre le quart et le cinquième des effectifs nationaux, alors qu’au sein du Conseil, à travers les diverses représentations administratives, syndicales, parlementaires et autres, les agents publics cumulent en fait nettement plus de la moitié des 39 sièges. Avec en sus la Présidence de l’institution dévolue à un Inspecteur Général des Affaires Sociales qui – sans que l’homme soit le moins du monde en cause – ne paraît pas le mieux placé pour arbitrer équitablement les équilibres fondamentaux entre le secteur public démographiquement très minoritaire et financièrement très lourdement déficitaire auquel il appartient et le secteur privé auquel depuis longtemps déjà les pouvoirs publics réservent obstinément une représentation numériquement indigne, tout en lui assignant (rappelons notamment la réforme Balladur de 1993 avec ses 25 meilleures années qui ont soigneusement épargné le secteur public ) à travers l’exigence d’équilibre l’essentiel des sacrifices dans les réformes.
03 – Troisième grief: la place démesurée réservée aux syndicats de salariés (10 sièges, soit plus de 25% de l’effectif du Conseil), dont la représentativité générale en adhérents directs n’excède pourtant guère 7 à 8% des effectifs salariaux français, avec en plus une prédominance affirmée dans le secteur public. Comme toujours en France, les 92% de non-syndiqués, laissés à quai, sont des ilotes privés d’existence sociale… sans que cela choque le moins du monde des politiques qui n’ont constamment à la bouche que les mots de justice, de représentation et de concertation.
04 – Les trois griefs qui précédent aboutissent inéluctablement à placer le COR au centre d’un triple conflit d’intérêt généralisé. En effet: – en excluant toute représentation des retraités « ès qualités », le COR ne réunit donc que des actifs. Or on sait qu’en matière de retraite, il existe en tout et pour tout trois leviers d’ajustement: le taux des cotisations, la durée d’activité et le montant des pensions. Comme les deux premiers sont aux mains des actifs et que les retraités n’ont pas voix au chapitre pour le dernier, on réalise rapidement qu’une institution uniquement composée d’actifs (employeurs, salariés et indépendants) aura un penchant tout à fait naturel à freiner toute initiative destinée à charger la barque des actifs, ce qui a terme retentira inévitablement sur le montant des pensions (cf. l’épuisement actuel des « réserves » des retraites complémentaires Arrco et Agirc du secteur privé). – en réservant au secteur public la majorité des postes de conseillers, alors que le secteur public ne représente guère plus que le cinquième ou le quart de la population active, on peut légitimement s’attendre – et c’est bien ce qu’on observe – à ce que cette supériorité du nombre réduise au minimum l’effort requis du secteur public, pour faire peser l’essentiel de la charge sur le secteur privé, auquel en sus on impose des délais d’adaptation infiniment plus brefs que ceux souvent fort longs consentis au secteur public; – en observant que la représentation syndicale des salariés comporte des titulaires spécialisés dans les questions de retraite, on ne peut s’empêcher de relever une contradiction supplémentaire, puisque les syndicats n’ont normalement vocation à s’occuper que des actifs, l’adhésion syndicale impliquant ordinairement l’exercice d’une activité professionnelle précisément couverte par les statuts et la spécialité du syndicat. Du fait de ce partage singulier et contre nature , la représentation syndicale se trouve elle-même en porte-à-faux ne pouvant prétendre au sein d’un même cadre et d’une même institution simultanément défendre les actifs et les retraités, puisqu’on l’a vu, ces deux populations ont des intérêts souvent divergents et même parfois parfaitement contradictoires.
Dans ces conditions, le COR a indéniablement besoin d’un rééquilibrage où la juste représentation des uns et des autres aboutisse à un équilibre tel qu’aucune faction ne puisse prendre de véritable ascendant sur l’autre et qu’un pluralisme de bon aloi estompe définitivement tous ces conflits d’intérêts, dont le Conseil n’a même pas conscience et qui pourtant qui ravagent sournoisement son image, notamment auprès de tous les retraités exclus de son enceinte.
05 – Il n’est guère étonnant au vu des observations précédentes que le COR nourrisse plus qu’ un penchant marqué pour le maintien des privilèges publics: le précédent Président du COR objectait même que la mise en évidence et la résorption progressive de ce contraste entre les avantages du public et les sujétions du privé ne faisaient pas officiellement partie de la mission du COR. Et pour mieux enfoncer le clou, il soutenait – vieille rengaine des agents publics – que l’écart résultant tiendrait davantage du ressenti que de la réalité et qu’en outre ce sujet qui fâche risquerait d’altérer la parfaite sérénité des débats au sein du COR. De même et comment s’en étonner alors que la fonction publique flatte plutôt l’obéissance que l’indépendance, on a noté à plusieurs reprises une proximité très nette du COR avec la plupart des positions gouvernementales. Il est vrai par exemple que le Conseil est tenu de reprendre les projections économiques retenues par le Gouvernement dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Mais plusieurs observateurs ont relevé en outre (cf. notamment infra la critique de l’Association « Sauvegarde Retraites) que les avis du COR servent souvent à annoncer et à tenter de dédramatiser les réformes les plus impopulaires.
On aurait certes pu en rester là, en déplorant que, du fait de sa représentation largement biaisée, le COR se retrouve constamment en conflit ouvert d’intérêts sur les retraites publiques. Mais le Conseil lui même a encore aggravé ce handicap par l’inadéquation d’une partie de ses propres méthodes de travail.
II -DES METHODES DE TRAVAIL PEU CONVAINCANTES
06 – Curieusement et depuis sa création, le COR n’a apparemment jamais songé à créer une banque publique de données statistiques et autres en accès ouvert sur les retraites en France et à l’étranger en rassemblant, en organisant et en synthétisant sur un seul site sa luxuriante documentation statistique nationale et internationale . Ceci éviterait pourtant des batailles de chiffres stériles provenant à la fois du décalage de sources dont la fiabilité est loin d’être toujours assurée et trop souvent aussi du long délai (souvent deux ans et plus) que l’on observe entre les périodes de référence des observations et la date de publication des travaux s’y rapportant. En outre, cette banque de données – qui soulignerait notamment la part croissante de l’impôt dans le financement des retraites publiques – aurait le mérite de renforcer sensiblement la qualité et le sérieux des travaux externes sur les retraites, tout autant lorsqu’ils viennent conforter que lorsqu’ils battent en brèche les conclusions du COR lui-même.
07 – On reste stupéfait que durant presque 15 ans, le Conseil soit parvenu à éviter toute comparaison sérieuse et exhaustive entre les régimes publics et privés, alors que le rapprochement entre les deux types de régimes devient de plus en plus une revendication populaire, majeure et d’évidence, au fur et à mesure que le secteur privé s’aperçoit que la balance est loin d’être égale et qu’il supporte seul la plupart des sacrifices exigés. Un exemple parmi cent autres? On sait que contrairement à la présentation officielle qui préfère simplifier les choses, il n’existe pas en France que deux systèmes de retraite, le plus commun par répartition, l’autre plus confidentiel et souvent optionnel par capitalisation. En réalité, il existe un troisième système de retraite propre au secteur public, mais sur lequel tous ses représentants gardent obstinément une discrétion de bon aloi. C’est le système de retraite par ponction budgétaire, puisqu’étant les seuls à échapper au principe d’équilibre, les régimes publics sont artificiellement et abusivement maintenus à flot par diverses subventions d’Etat, qui totalisent chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros et qui ne cessent de croître à une allure fort inquiétante. Or le COR a toujours refusé notamment pour la fonction publique d’Etat de s’intéresser sérieusement à ce financement exorbitant et dérogatoire, en osant arguer de l’équilibre artificiel qu’il procure aux systèmes publics pour écarter toute recherche et toute discussion sur la manière dont il est obtenu et sur l’entorse ouverte qu’il représente au principe d’équité et d’autofinancement. Pourtant à l’intérieur même du compte d’affectation spéciale par lequel l’Etat finance les retraites de ses propres fonctionnaires, on aurait pu parfaitement poser – ne serait-ce qu’une fois en quinze ans – la question d’une analyse fine de ces sommes pour distinguer ce qui relève de la contribution normale de tout employeur de ce qui correspond à une subvention spécifique (et croissante!) destinée à combler le véritable « trou » du système des retraites de la fonction publique. Manifestement et comme le prouve encore le rapport annuel de 2014 (cf notamment p. 34), l’équité intergénérationnelle ou la parité entre les hommes et les femmes intéressent bien davantage le COR que l’équité entre les retraités d’une même génération selon qu’ils relèvent du public ou du privé. Ce sujet pourtant central demeure une nouvelle fois tabou et on a même vu qu’il a été discrètement « exfiltré » de la mission du COR, alors que – la veille sur ce point précis fait pourtant partie de l’attente de la plupart des Français convaincus de la profonde injustice du système, – de plus en plus de voix s’élèvent pour exiger à juste titre l’unification et la parité de tous les régimes. – la mission actuelle intègre toujours officiellement une réflexion sur le financement des régimes de retraite.
08 – Dans sa vision du long terme, les projections du COR – et cela lui a été souvent reproché – ont presque toujours fait l’objet d’un optimisme indéfectible. Raison de plus pour saluer l’effort que traduit le dernier rapport publié en décembre 2014 et qui pour la première fois fait entrer dans le champ de la réflexion prospective des hypothèses nettement moins favorables que celles qui étaient jusqu’ici privilégiées, en admettant notamment que le chômage puisse demeurer durablement à un haut niveau (jusqu’à 10% de la population active), avec une croissance en berne (1% en rythme annuel). Après tant d’années d’optimisme officiel, allons même un peu plus loin en soutenant l’excellente suggestion de l’IFRAP en faveur de la conception et de la mise au point d’un ou plusieurs « stress tests » inspirés des scénarios élaborés pour les banques. Mais la prudence est évidemment de mise car certains auteurs étaient allés jusqu’à accuser le COR de noircir à loisir le présent et l’avenir immédiat pour redonner l’espoir sur les horizons lointains, personne selon eux n’étant capable d’apercevoir aujourd’hui la sortie du tunnel. Le Conseil s’était naturellement inscrit en faux contre ces allégations, en avançant pour sa défense qu’il ne sert à rien de paniquer le lecteur, ni de décourager ce que l’on continue à appeler les forces vives de la Nation. On verra donc dans les années qui viennent si la nouvelle approche prospective correspond à un véritable changement de cap dans le travail du COR, si les critiques marquées du Haut Conseil aux Finances publiques quant à la sincérité des chiffres gouvernementaux lui procurent davantage d’autonomie, voire même un brin d’audace scientifique ou si , au contraire, les nouvelles hypothèses ne correspondent qu’à une embardée sans lendemain.
09 – Par ailleurs, comme si le corset de sa mission le gênait, le COR pâtit depuis l’origine d’un défaut lancinant de sens et d’initiative critiques, en passant à côté de nombre de problèmes qui préoccupent les Français. Ainsi, voici quelques années, comme on le pressait pour savoir pourquoi le COR ne s’était pas intéressé de plus près aux disparités qui opposent le secteur public et le secteur privé, son Président n’a-t-il pas un jour répondu très sérieusement que c’était sans doute parce que personne ne le lui avait clairement demandé! De même, à l’heure de l’informatique généralisée, on reste stupéfait que ce soit encore la notion archaïque et plus ou moins approximative de trimestre d’activité qui scande le temps des retraites, alors qu’on dispose depuis plusieurs décennies pour chaque mois et pour chaque année de données horaires infiniment plus strictes et plus précises. Pourquoi donc le Conseil n’a-t-il jamais entrepris non plus de réexaminer activement le bien fondé de la classification des métiers dits actifs de la fonction publique, alors que l’essentiel de la classification remonte au milieu et à la fin du 19ème siècle, période depuis laquelle même dans la fonction publique les conditions d’exercice des métiers ont quelque peu évolué? Pourquoi aussi le personnel infirmier, dont la tâche est au moins aussi pénible en cabinet ou en clinique qu’à l’hôpital public, voit-il son statut radicalement diverger, sa date de départ en retraite s’allonger de plusieurs années, son taux de remplacement fléchir selon qu’il exerce au sein d’hôpitaux publics ( cas du personnel ayant majoritairement opté en 2011 pour le maintien de son régime de retraite avec départ largement avant 60 ans) ou de cliniques privées ou pire encore qu’il pratique en libéral? Accessoirement encore, pourquoi pour prendre en compte la pénibilité privée, n’a-t-on pas privilégié une approche globale équivalente à celle fort simple et fort protectrice dont les fonctionnaires ont si bien su se doter depuis longtemps? Enfin, comment est-il possible qu’au sein de cette nombreuse assemblée personne n’ait lancé à temps les alertes nécessaires pour éviter que plusieurs caisses de retraites puissent se trouver dans l’incapacité prolongée de verser leurs pensions – ou même de simples acomptes – à des nouveaux retraités, ainsi privés de ressources pendant des périodes qui peuvent atteindre de très longs mois, alors qu’aux dires des spécialistes ce défaut de payement – qui attente gravement à l’égalité de traitement entre tous les retraités – était parfaitement prévisible (d’ailleurs pour être juste, la sphère publique s’est montrée extrêmement discrète sur cette carence)?
10 – Enfin, le COR a une vision très centralisatrice et très monolithique de l’avenir: la sienne et il semble bien que certaines opinions minoritaires, pour peu qu’elles aient affirmé quelque conviction qui n’ait pas eu l’heur de plaire, n’aient pu prospérer durablement au sein du Conseil. Or il serait temps que les travaux de cette assemblée s’ouvrent raisonnablement en interne au sain principe du contradictoire et de la discussion. On commencerait par exemple et tout simplement par recenser et publier le détail des opinions minoritaires qui doivent bien exister dans une assemblée de 39 personnes. Notamment on peine à croire que la toute petite poignée de membres issus du secteur privé ( si, si, il en reste quand même quelques-uns! ) adhèrent sans réticence aucune à un certain nombre de conclusions quelque peu « orientées », ou à l’inverse au maintien pesant d’un certain nombre de « blancs » directement dus à la volonté affirmée du COR de ne froisser en rien son oppressante majorité publique.
CONCLUSION
Sans nier du tout son intérêt pour une approche apaisée d’une question qui va nourrir dans les prochaines années une actualité aussi brulante que durable (puisque tout le monde sait que la dernière réforme de 2013 n’était qu’un aimable intermède pas vraiment à la hauteur des enjeux et que de sombres nuages s’accumulent sur les retraites complémentaires des salariés du privé), il serait temps que le COR:
01 – voit sa mission élargie à l’ensemble des problèmes de retraite qui se posent et notamment à l’équilibre général du financement des régimes dans la perspective d’une unification progressive impliquant d’abord la réduction, puis la suppression des subventions aux retraites du secteur public. Naturellement cet élargissement ne saurait être confié à d’autres comités, dont la composition exclusivement fonctionnariale ( c’est ainsi que depuis plusieurs trimestres, le Comité de suivi des retraites se passe très bien du jury populaire prévu par la loi) exclut toute légitimité démocratique.
02 – comprime drastiquement l’excès de sa représentation publique qui le fait considérer soit comme le haut protecteur des pensions du secteur public, soit comme le porte-parole officieux des projets de réformes gouvernementales et parfois même comme les deux à la fois. En outre on a vu qu’avec ce déséquilibre flagrant, le COR se trouve ouvertement en conflit d’intérêts, puisque la majorité de ses membres ont un intérêt éminent à ce qu’aucun des avantages des pensions publiques ne soit remis en cause, à ce que les réformes touchant le secteur public soient différées le plus tard possible et que leur impact réel soit toujours étroitement cantonné, voir quasiment annulé par les compensations généreusement accordées (voir notamment la réforme en trompe-l’oeil et excessivement onéreuse, des retraites SNCF, GDF, EDF etc).
03 – renforce sensiblement la représentation du secteur privé qui, largement majoritaire dans la démographie économique du pays, ne peut demeurer aussi abusivement minoritaire au sein d’une telle institution;
04 – réserve d’urgence à la représentation des retraités la place qui leur revient – disons par exemple un quart des sièges, les trois autres quarts allant le premier aux assurés, le second aux employeurs et le dernier enfin à un collège réunissant des personnalités qualifiées et quelques représentants de l’Etat à la fois arbitre et tutelle – dans le fonctionnement démocratique d’un Conseil qui ne peut prétendre promouvoir le dialogue social en chassant de son enceinte et comme de vulgaires sans-droits les plus naturels de ses interlocuteurs;
05 – admette dans ses rapports et dans ses communications la formulation et la publication d’avis minoritaires indispensables pour bien comprendre le fonctionnement interne du Conseil et les enjeux de certaines questions;
06 – révise profondément ses méthodes de travail – en se dotant dans les meilleurs délais d’une banque publique de données soigneusement organisée et vérifiée, régulièrement tenue à jour et dans laquelle pourraient utilement puiser tous ceux qui conduisent une réflexion ou des recherches sur les retraites; – se montre résolument plus curieux, plus critique, plus incisif et plus directif dans l’examen comparatif des règles et des situations qui régissent si différemment et souvent si injustement le public et le privé et qu’il privilégie systématiquement une approche contradictoire et synthétique des différents régimes. Ceci afin de faciliter l’élaboration, la mise en place et le suivi rapproché de politiques visant à la réduction rapide des inégalités de tous ordres, dans la perspective de l’unification de l’ensemble des régimes qui correspondait d’ailleurs à la volonté originelle – mais soigneusement étouffée – des pères fondateurs de la Sécurité sociale.
Comment le COR, pour de simples raisons d’affinités publiques, pourrait-il risquer plus longtemps encore d’apparaître comme un obstacle à toute réforme systémique, alors qu’il devrait en être dans l’intérêt général le principal soutien? – recentre une plus grande partie de son intérêt sur les court et moyen termes par rapport à des projections plus lointaines , mais dont l’ambition et l’échéance excèdent visiblement à la fois les performances des outils actuels de prévision, les compétences de leurs utilisateurs et les données disponibles. C’est ainsi sans doute qu’un effort soutenu dans la rapidité d’établissement et de collecte des données permettrait de raisonner utilement sur les données de la dernière année civile close, plutôt que sur les chiffres de celle qui la précède, voire même selon un vocable délicieusement suranné, mais familier au secteur public, sur les résultats de l’antépénultième!
C’est à ces conditions et à ces conditions seulement que le COR pourra prétendre assumer enfin le rôle dont il n’aurait jamais dû se départir: un lieu d’étude, de réflexion, de proposition et de concertation accessible à toutes les parties impliquées et dont l’autorité et l’impartialité soient telles que les mesures suggérées participent de l’évidence et des concessions mutuelles et équilibrées, au lieu de mener droit aux conflits et affrontements, qui ont jusqu’ici marqué la plupart des dernières réformes entreprises. Ce n’est pas par hasard que l’Association « SAUVEGARDE RETRAITES », qui ne nourrit pourtant pas des positions extrémistes, a conclu son article du 3 avril 2013 à propos des projections du COR sur le régime spécial de la SNCF par cette charge virulente:
« Au bout du compte , les interventions et rapports du Conseil d’Orientation des Retraites, qui devraient servir de base à la réflexion nationale sur une réforme de notre système de retraites, paraissent davantage dictés par le souci de correspondre à un canevas correspondant à des préoccupations politiciennes, que par une analyse objective de la situation des retraites en France. »
Force est de reconnaître que cette critique nous semble pourtant largement fondée, tant le Conseil s’est obstiné depuis sa création à esquiver soigneusement les sujets les plus importants qui divisent – et tout notamment l’opposition public/privé – pour se focaliser sur ceux non pas mineurs, mais dont les enjeux sont pour l’ensemble des Français infiniment moindres. D’ailleurs, certains observateurs ne se privent pas de souligner malicieusement qu’avant même d’orienter les retraites, le Conseil se trouve déjà lui-même fort orienté.
Pourtant si, nonobstant les alertes qui commencent à se multiplier, le COR persistait durablement à refuser de considérer l’urgence, la nécessité et l’ampleur des réformes qu’il doit d’abord envisager pour lui-même avant de proposer celles qui visent les retraites, la nomination hors de son seing de la Commission Moreau pour l’avenir des retraites aurait dû l’amener à réfléchir. En effet, c’est bien celle-ci (exclusivement composée d’agents publics, car il n’y en avait manifestement pas tout à fait encore assez au sein du COR!) qui a proposé au Gouvernement les pistes de la dernière réforme des retraites. Pis encore, en juin dernier à l’occasion de la récente mise en place du nouveau Comité de suivi des retraites, lui aussi exclusivement composé de personnalités relevant ou issues du secteur public ( lors du bouclage de cet article, on ne connaissait toujours pas en effet la composition du jury des 18 « quidams » tirés au sort et chargé d’accompagner les travaux du Comité), la présentation de la Ministre des Affaires sociales portait en creux comme une espèce de désaveu implicite: « Le Comité de suivi permettra d’en finir avec la navigation à vue en matière de retraite, et de procéder aux ajustements justes et nécessaires, année après année. ». Entendons-nous: il n’est pas question – bien au contraire – de nier l’utilité , ni l’originalité de la démarche du COR dans le débat sur les retraites. Mais les problèmes présentement évoqués devraient logiquement et sans plus attendre l’amener – et avec lui, les pouvoirs publics – à se poser d’utiles questions sur sa représentativité tronquée, à s’interroger sur l’orientation même de certains de ses choix, sur la pertinence discutable de certains autres, sur son efficacité largement perfectible. Enfin, le COR ne pourra indéfiniment échapper à la nécessité de redéfinir son avenir et sa mission dans une réflexion d’ensemble qui concerne tous les Français et non plus seulement le quart de ceux qui ont jusqu’ici parfaitement réussi dans le secteur public à préserver l’essentiel de leurs avantages en rejetant sur les autres – mais pour combien de temps encore ? – l’essentiel des efforts à fournir.
© Thierry BENNE
2 commentaires
Les dix défaut du COR
Bravo pour cette étude. Que faire pour que les choses changent?
Le financement par l'impôt (et le déficit) des régimes des fonctions publiques et des régimes spéciaux est d'environ 50 Milliards dont 10 pour les régimes spéciaux! Ces régimes sont en fait dans le jargon des retraites des régimes "à prestations définies". Et les bénéficiaires de ces régimes défendent les régimes par répartition. répartition de l'infinie pour les uns et du fini pour les autres, du privé!!
DRAMES AU COR
S'il une réelle volonté de faire progresser nos régimes de retraite a prévalu à la création du COR, il apparait bien à nouveau une main mise de la fonction publique sur les réformes que l'état doit assurer aux français.
C'est bien de cet anti COR dont il faut se séparer. Et de cesser aussi un renvoi permanent aux partenaires sociaux qui ne représentent qu'une très faible minorité de français.
Et cette société civile dont il est fait état fréquemment, qu'attend t elle pour se lever ???
A bientôt, de vous lire..