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« Comprendre le poutinisme », par Françoise Thom

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Pour ce week-end, à cause d’une actualité extrêmement inquiétante, nous vous proposons deux ouvrages afin de comprendre ce qui se passe. Le premier, nous en avons déjà parlé lorsqu’il est sorti en 2018, est une explication claire et argumentée de l’idéologie poutiniste. Françoise Thom est l’une des meilleures spécialistes de la Russie et elle avait tiré le signal d’alarme en montrant pourquoi Poutine est un danger pour le monde entier. On peut aussi lire ses chroniques régulières sur l’excellent site Desk qui traite de l’actualité russe. Le deuxième est le manifeste prophétique de Vladimir Volkoff. Si les politiques les avaient écoutés…

 

A l’heure où Emmanuel Macron rencontre Poutine et où la commission d’enquête sur le vol MH 17 confirme ce qu’on soupçonnait déjà, c’est-à-dire la responsabilité russe, il est utile de se plonger dans les mécanismes du poutinisme, d’autant plus qu’il bénéficie en France d’un inquiétant sentiment de sympathie dépassant largement les clivages politiques. Françoise Thom, qui a déjà écrit plusieurs livres sur la Russie et le communisme ainsi qu’une remarquable biographie sur le sinistre personnage Beria, nous décrit avec beaucoup de pédagogie l’ascension de Poutine et nous aide à comprendre ses racines.

Le poutinisme est d’abord un mélange de communisme, de russisme et de capitalisme d’Etat et mafieux. On ne peut pas saisir la société russe de nos jours sans bien appréhender le fonctionnement du régime communiste et son système répressif. Un Russe sur quatre a connu la détention et cette situation a imprégné fortement la société. L’idéologie, le langage, le comportement de la pègre ont contaminé le monde russe et le tissu social. La société s’est structurée en plusieurs grands corps : les bureaucrates, les politiques et les mafieux sans qu’il y ait une séparation parfaite entre les trois. Chacun a besoin de l’autre car tous sont des prédateurs et leur but est de s’enrichir. Les connivences étaient déjà actives sous le communisme mais sans les possibilités de faire fortune comme aujourd’hui.

A la chute de l’URSS, il fallait mettre la main sur les grands groupes industriels de matières premières et sur le magot du parti, 50 Mds de dollars. Les anciens apparatchiks, les officiers du KGB et les nouveaux politiques se sont fait la guerre pour accaparer le pouvoir et l’argent. Au début, Boris Eltsine canalise tant bien que mal ces batailles mais la maladie l’oblige à céder le pouvoir et, à la grande stupéfaction du pays, il nomme (août 1999) Vladimir Poutine au poste de Premier ministre. Crédité de seulement 1 % dans les sondages, Poutine était un inconnu mais qui avait agi efficacement dans les coulisses. Dans les « affaires » à Saint-Pétersbourg, il était lié à la célèbre mafia de Tambov qui contrôle le port. En 1991, il réalise un énorme coup : il réussit à mettre la main sur la Banque Rossia, fondée en 1990, où était déposé l’argent du Parti. Parallèlement, il met en place l’opération « nourriture en échange de matières premières » (un troc avec les pays européens pour importer des denrées en échange de livraison de bois, de métaux, de pétrole…). Une Opération qui lui rapporte environ 100 millions de dollars tandis que les habitants de la ville continuent de faire la queue pour se procurer des denrées alimentaires. Il sera aussi à la tête de la commission des jeux et grâce à ses copains du KGB (lui-même en étant un ancien officier), il réussit à se débarrasser de quelques mafieux encombrants. Il prend le contrôle du marché de l’essence et devient consultant d’une société immobilière germano-russe qui, en réalité, blanchit l’argent d’activités criminelles, comme l’a révélé la Police fédérale criminelle allemande en 1999. Les révélations des Panama Papers en 2016 confirmeront le fait que Poutine a expatrié une partie de sa fortune dans des comptes offshore sous le nom d’un homme de paille, son ami d’enfance le violoncelliste Sergueï Roldouguine. Remarqué par Pavel Borodine, le compagnon de bouteille de Boris Eltsine, Poutine arrive à Moscou, lance une nouvelle société de construction de datchas et gagne les faveurs d’Eltsine qui voit en lui un excellent organisateur et un bon arbitre au milieu des oligarques et autres mafieux. « Il y a trois moyens d’agir sur les hommes, a-t-il déclaré en 2000. Le chantage, la vodka et la menace d’assassinat ». Il suivra à la lettre ces préceptes en rajoutant la propagande au travers des médias et internet.

 

Etat, corruption, apparatchiks et anti-occidentalisme

Le programme politique de Poutine se réduit à une vision très simpliste du monde. D’un côté la Russie, de l’autre ses ennemis. En parlant de la Russie comme d’un pays assiégé en permanence par des ennemis imaginaires, il renforce le sentiment nationaliste et fait oublier à la population les problèmes quotidiens. Sur le plan national, il centralise tout et nomme tous les notables dans tous les coins de la Russie, ce qui va amplifier l’arbitraire et la corruption. Les députés ne sont que des serviteurs du pouvoir et toute opposition est étouffée rapidement. Un département de l’Information centralise… l’information et met la main sur tous les médias. Dans le domaine économique, les premières mesures (en 2000) sont plutôt bénéfiques avec la mise en place d’une flat tax à 13% et la baisse de l’IS de 35 à 23%. La Russie connaîtra d’ailleurs une période d’embellie économique jusqu’en 2004, grâce aussi à la hausse du prix du pétrole. En même temps, les oligarques trop audacieux sont écartés, tel Mikhaïl Khodorkovski arrêté en 2003. Ce dernier voulait soutenir aussi quelques partis d’opposition (pour créer un parti, il faut avoir au minimum 50 000 membres !) en vue des élections de 2004. Mais toute l’économie est aux mains de l’Etat et des oligarques : sur 132 millions de Russes, 100 millions travaillent directement ou indirectement pour l’État ! La corruption aurait représenté environ 316 Mds de dollars en 2005, 10 fois plus qu’en 2001. Contrairement aux prévisions du pouvoir, l’économie russe est touchée de plein fouet par la crise de 2008 : le PIB chute de 7,9% en 2009 et l’embellie économique n’est jamais revenue dans un pays qui dépend de l’exportation de matières premières. Il suffit de voir quelles sont les 10 premières entreprises… Les Russes sont inquiets et nombreux sont ceux qui partent à l’étranger, de jeunes étudiants comme de grandes fortunes (début 2017, on estime à 1 233 Mds de dollars les actifs russes à l‘étranger, ce qui représentait alors trois fois plus que les réserves de l’Etat russe en devises).

 

Ni islamisme, ni poutinisme

Assassinats d’opposants (Litvinenko), de journalistes (Anna Politkovskaia), le pouvoir du Kremlin est impitoyable et règne comme au temps de l’URSS (les avions civils abattus et les empoisonnements faisaient aussi partie de la panoplie soviétique). Le même sentiment anti-occidental dirige les actions de Poutine à l’international, il a réussi à faire croire qu’il serait un rempart à l’islamisme. En fait, il suit la doctrine de l’« eurasisme » (l’alliance de l’orthodoxie et de l’islam contre l’Occident) dans les relations internationales comme en interne (tout le Caucase du Nord s’est réislamisé sous son règne).

 

L’autocrate du Kremlin bénéficie d’une aura inexpliquée dans les pays des droits de l’homme. Françoise Thom montre, grâce à des exemples concrets et des arguments irréfutables, que ce personnage est en fait un des pires ennemis de l’Occident. La propagande gagne du terrain grâce au travail très efficace des nouveaux médias russes installés en Occident, grâce aux hackers et à la désinformation. L’Occident doit défendre ses valeurs contre cette offensive. Ni islamisme, ni poutinisme.

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3 commentaires

TIBI 5 mars 2022 - 8:06

 » Une aura inexpliquée « , selon cet excellent article de Françoise Thom ? Le mal est toujours tapi dans l’ombre, converti en bienveillance par tous.
Il agit en bienfaiteur apparent de l’humanité et convaincu par sa malfaisance inconsciente même.

Cette fois, c’est clair : une mafia délétère nous menace,  » ni islamisme, ni poutinisme « , ni angélisme !

Mais comment en sortir alors ? Selon certains, il nous faudrait un Brutus ou un Saint-Georges. Il est peut-être déjà né.
Sinon, le mal périra dans le brasier par lui-même allumé…

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Alex 5 mars 2022 - 5:19

Poutine est juste un voyou, un truand, prêt absolument à TOUT !

Et il est persuadé que nous ne bougerons pas.

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THIERRY C. 6 mars 2022 - 2:39

Vous nous parlez d’un homme qui régente tout depuis une salle de commandement dans un palais bien gardé, qui décide du sort des habitants arbitrairement et les prive de libertés essentielles, qui a concentré toute la puissance médiatique et impose ses propres images, qui a bradé des entreprises innovantes et dilapide des richesses nationales à son profit, qui met à l’amende et embastille tout opposant même pacifique, refusant tout débat avec qui que ce soit et ce même en période électorale, …
Vous le situez à Moscou. Vous n’en voyez pas ailleurs. Avez-vous consulté un ophtalmologiste ?

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