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Une harmonisation des impôts sur les sociétés est-elle en train de voir le jour (pour notre plus grand malheur) ?

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Les pouvoirs que détiennent les États modernes auraient fait pâlir de jalousie un Louis XIV ou un Napoléon. Mais ces États modernes surpuissants ont un talon d’Achille : la concurrence que leur font les autres États, intolérable à leurs yeux car ils savent que dans un vrai contexte concurrentiel ils ne pourraient plus jouer avec leurs sujets sans risquer de les voir prendre la poudre d’escampette. Il faut donc couper les ailes à la concurrence ; en particulier en matière fiscale ! C’est précisément ce qui est en train de se passer avec l’imposition des sociétés.

A l’époque où il assumait les fonctions de Commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici l’affirmait: « Le futur de l’impôt sur les sociétés ne peut pas être unilatéral, national ou régional ». Il sera donc mondial. Le même impôt pour tous. Fini la concurrence.

La crainte de voir fondre son assiette fiscale a toujours habité nos dirigeants. On peut les comprendre : quoi de plus triste que de voir « ses » contribuables « passer à l’ennemi » ? Cette menace appellerait une réaction de bon sens — celle que l’on aurait sans doute choisie dans un contexte concurrentiel de marché — , qui consiste à rendre le pays plus attrayant, soit par des baisses d’impôts, soit en offrant des services bien supérieurs à ceux des concurrents. Mais un gouvernement doté d’un pouvoir de coercition a tendance à faire l’inverse et ainsi réveiller de « mauvais » instincts, provoquant la fuite de contribuables vers des Etats souverains trop heureux de les accueillir, attitude que l’on  s’empressera de qualifier de « concurrence déloyale ». De même qu’on s’empressera de qualifier de frauduleuse l’évasion fiscale (j’aime l’expression !) pratiquée par ces mauvais sujets, fraude contre la loi (même si cela n’en est pas une) mais aussi faute morale, alors qu’il ne s’agit la plupart du temps que de fuir un enfer fiscal pour un pays aux pratiques plus normales.

Revenons-en à cette marche vers l’harmonisation mondiale de l’impôt sur les sociétés. Dès 1981, le Trésor américain exprime ses inquiétudes dans un rapport intitulé : « Les paradis fiscaux et l’usage qu’en font les contribuables américains ». En 1998 c’est au tour de l’OCDE de publier son fameux rapport sur « La concurrence fiscale dommageable ». Ainsi, le thuriféraire de la concurrence, l’apôtre du marché, semble changer de religion. La concurrence entre les individus et les entreprises : oui ! La concurrence entre les États : non ! Depuis, l’institution basée à Paris n’a eu de cesse d’œuvrer à la réalisation de ce grandiose projet. Et les initiatives sont nombreuses. En 2012 le projet est reformulé sous forme d’acronyme, la « BEPS » — pour Base Erosion and Profit Shifting. Il faut écraser les BEPS (qui déplacent leurs profits vers les paradis fiscaux) comme on écrase les cafards. En mars 2018, la Commission européenne, qui dans cette affaire travaille main dans la main avec l’OCDE, suggère que l’on instaure une taxe internationale sur les services numériques (la « taxe GAFA »). La proposition, ne recueillant pas un soutien suffisant de la part des États membres de l’Union, sera finalement abandonnée. Mais près de la moitié des États membres, dont la France en 2019, vont utiliser leur souveraineté en matière fiscale (parfois c’est commode !) pour mettre sur pied au niveau national cette fameuse taxe GAFA.

Cette floraison de taxes nationales sur le digital a donné un nouvel élan au projet d’harmonisation fiscale de l’OCDE. (On peut d’ailleurs penser que c’était là précisément ce que cherchaient les pays qui ont instauré une taxe GAFA sur leur territoire.) C’est ainsi qu’en 2021, l’OCDE a mis sur la table une proposition « à deux piliers » visant essentiellement l’imposition des grandes multinationales ; proposition aujourd’hui appuyée par les gouvernements de 138 pays. Quels sont ces deux piliers ?

  • Le premier prévoit que les multinationales paient une partie de leurs impôts sur les bénéfices dans les pays où elles réalisent une partie de leur chiffre d’affaires (et plus seulement dans le pays où la maison mère est domiciliée). Cette nouvelle règle s’appliquera uniquement aux entreprises dont les revenus dépassent 20 Mds d’euros (et, dans 7 ans, seulement 10 Mds) et dont la rentabilité est supérieure à 10%.[1]
  • Le second pilier établit une taxe minimale de 15% sur les bénéfices des sociétés dont les revenus sont supérieurs à 750 millions d’euros. Elle ouvre la possibilité pour un pays de taxer plus fortement une multinationale dont les filiales ne seraient pas suffisamment imposées et oblige au partage avec tous les pays parties prenantes à la convention des données financières relatives à la multinationale.

Après des mois de négociations et une résistance farouche des gouvernements polonais et hongrois, l’UE a accepté à l’unanimité de mettre en œuvre le deuxième pilier (taux d’imposition minimum). Les pays membres doivent introduire la directive européenne dans leur législation nationale d’ici la fin de cette année 2023. Les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 750 millions d’euros — multinationales ou pas — commenceront à payer le taux minimum de 15 % à partir de 2024. Au 30 mai 2023, 11 pays hors Union européenne avaient présenté des projets de loi ou adopté des lois définitives intégrant les règles du deuxième pilier. Le Japon, la Corée du Sud et d’autres grandes économies font partie de ce groupe.

Pendant ce temps, le premier pilier (qui vise à réattribuer des recettes fiscales pouvant aller jusqu’à 200 Mds de dollars) doit parcourir un chemin beaucoup plus difficile et son sort repose en large partie sur la décision finale des Etats-Unis qui semblent tergiverser.

Alors, une harmonisation de l’imposition des sociétés est-elle en train de voir le jour ? Cela semble en bonne voie. Tout est fait pour tordre le cou aux « paradis fiscaux ». Doit-on s’en réjouir ? Non et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour un pays comme la France, les recettes fiscales liées au pilier 2 pourraient au mieux, selon des estimations optimistes, atteindre 3,8 Md € en 2024, ce qui serait négligeable par rapport à l’abysse de nos déficits. Combien y perdrons-nous en revanche par suite de l’affaiblissement de nos multinationales ou de leur transfert de diverses activités ? Par ailleurs, le coût du capital augmentera. On substitue des investissements publics à des investissements privés en quelque sorte ; et nous connaissons la capacité des États à bien gérer l’argent des contribuables…

La situation désespérée des finances publiques de nombreux gouvernements et le désir de régner sur le monde qui anime certains bureaucrates conduisent à des politiques inefficaces et liberticides. Il est temps d’arrêter le massacre.

 

Pour en savoir plus sur l’évolution de ces projets d’imposition mondiale le lecteur peut consulter l’étude « Centralization and global schemes » du GIS d’où sont tirées certaines des données présentées ici.


[1] Sont ainsi concernés les géants du numérique (tous américains) mais également d’autres secteurs (Nike, Coca-Cola, …) et d’autres continents (en Europe : LVMH, Nestlé, Heineken…). De façon surprenante, ce premier pilier ne s’applique pas aux industries extractives et aux services financiers réglementés.

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