Il est rare d’entendre en France aussi peu de réactions à propos d’un prix Nobel d’économie. Il faut dire que ses ouvrages n’ayant pas été traduits en français, peu de monde avait entendu parler de lui…
Certains journalistes, apprenant qu’il était spécialiste des inégalités et de la pauvreté, ont pensé avoir affaire à un nouvel ennemi des riches et à un défenseur de la redistribution et de l’intervention étatique… En réalité, Angus Deaton est un observateur neutre du monde économique, mais très attentif au comportement des individus et des ménages.
Dans son dernier ouvrage, The Great Escape (Princeton University, 2013), sans nier les inégalités, il préfère en décortiquer les statistiques et se pencher sur leurs vraies causes. Tout d‘abord, il attire l’attention sur le fait que les différences entre les revenus doivent être calculées après impôts en incluant les redistributions, et non pas en-deçà, car les transferts sociaux font baisser les différences entre les déciles. Ensuite, il fait remarquer que l’on oublie souvent le facteur de l’éducation. En effet, plus on est instruit, plus grandes sont les chances de sortir de la pauvreté. Or, malheureusement, dans de nombreuses familles on n’incite pas suffisamment les enfants à poursuivre leurs études. Deaton rappelle aussi que les inégalités entre les hommes et les femmes et entre les groupes ethniques (noirs, latinos, blancs) ont baissé ces 30 dernières années. Il existe effectivement le fameux 1 % des plus riches. Mais la mobilité de cette classe sociale est très forte, sans compter que les sources de richesses ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’il y a un siècle. Rappelons en passant que Thomas Piketty calcule l’évolution des richesses détenues par le 1 % depuis 1913 et jusqu’en 2011. Hier, les plus riches étaient des rentiers, aujourd’hui, ce sont des entrepreneurs. Les inégalités sont-elles condamnables en soi, s’interroge Angus Deaton. Quel revenu serait-il estimé suffisant pour des individus qui ont changé l’histoire de l’humanité ? Pour un Steve Jobs, un Bill Gates ou un Larry Page ? Peut-on mesurer leur contribution à notre bien-être ? Le prix Nobel d’économie semble accepter un certain niveau d’inégalités dans les Etats démocratiques, où tout le monde a sa chance. Dans les pays libres, les inégalités sont en effet l’une des conséquences du progrès et de l‘innovation.
Mais la grande différence avec Thomas Piketty, c’est que Deaton considère, à juste titre, que nous vivons une époque de prospérité sans précédent. « Life is better now than at almost any time in history » : c’est la première phrase de son ouvrage, The Great Escape. Nous n’avons jamais été aussi riches et en bonne santé qu’aujourd’hui, et cela est vrai pratiquement pour tout le globe, à l’exception de quelques pays comme la Corée du Nord, Cuba, et certains pays africains. En 1981, 50 % des individus habitant dans les pays en voie de développement gagnaient moins d’1 euro par jour. Ce pourcentage a baissé de 33 points en 2012 : seulement 17 % des personnes vivant dans les pays en voie de développement gagnent moins de 1 dollar par jour. Plus de la moitié des personnes, considérées comme pauvres dans le monde, peuvent vivre de nos jours jusqu’à 73 ans. Presque 2 Mds d’individus, dont la majorité vit en Chine et en Inde, sont sortis de la pauvreté et font désormais partie des classes moyennes. Et même si l’Afrique sub-saharienne est un peu à la traîne, le phénomène est mondial.
Alors que Piketty parle d’accumulation des richesses et de hausse des inégalités, Deaton, lui, vante l’industrialisation, la mondialisation, l’entrepreneuriat, l’innovation et le progrès humain.
3 commentaires
Encenser les prédateurs ?
"Pour un Steve Jobs, un Bill Gates ou un Larry Page ? Peut-on mesurer leur contribution à notre bien-être ? …"
Les "logiciels propriétaires" sont un mal absolu pour l'humanité
Les logiciels ne sont que des moyens mathématiques et sont la propriété de l'humanité (Biens communs comme tout savoir scientifique) : ils ne peuvent être commercialisés sous peine de détruire l'harmonie entre les individus et les peuples.
consulter par exemple : " https://www.fsf.org/?set_language=fr "
Nicolas Fouquet bat Bernard Tapie par KO au 1er round
Petite anecdote qui va montrer combien Monsieur Deaton a au moins du bon sens et une certaine honnêteté, ce qui ne semble pas la caractéristique majeure de Monsieur Piketty.
Visitant par curiosité ce week-end le château de Vaux-le-Vicomte, demeure de N.Fouquet, ministre des finances déchu de Louis XIV, j'ai appris avec intérêt que 18.000 personnes ( oui dix huit mille !) avaient travaillé à la réalisation du jardin ! Si je transcris en Piketty-land, il en faudrait aujourd'hui 20 ou 30.000 à M. Sapin pour faire la même chose, puisque les inégalités augmentent ! Et les descendants de Mr, ou plutôt de Madame Fouquet posséderaient toute la France puisque la rente se transmet, se maintient et s'augmente indéfiniment !
Quant au calcul d'écarts avant les redistributions (alors pourquoi les fait-on ?) que l'on corrige ensuite par de nouveaux prélèvements (Tiens, cela marche maintenant ?) c'est proprement ubuesque. Et on écoute ce Monsieur ?
Beaucoup plus grave, on le croit et on en induit des politiques et des votes !
On peut mieux faire Madame la Marquise !
Pour Deaton, tout ne va pas trop mal donc aucune nécessité d'améliorer les choses alors que selon Piketty il y a encore de la marge pour que plus de gens vivent mieux.