En apparence, tout le monde est content : l’assurance-maladie trouve que la rémunération des médecins sur objectifs de santé publique a eu un effet « globalement positif » ; de nombreux médecins et syndicats médicaux se réjouissent de ces primes qui arrondissent leurs fins de mois ; certains médias trouvent que cela améliore la prise en charge des patients. Rares sont ceux qui s’inquiètent de l’usine à gaz ainsi construite (29 indicateurs à respecter) et du pas supplémentaire vers l’étatisation de la médecine. Comme si les médecins libéraux n’étaient pas capables de savoir ce qui est bon pour leurs patients !
Un système que l’assurance maladie juge globalement positif
Les primes versées aux médecins libéraux, en complément du paiement à l’acte, existent depuis 2012. Elles tournent maintenant à plein régime, ce qui a permis à l’Assurance maladie de présenter le 24 avril un bilan des cinq années d’application « globalement positif ». Ce bilan est passé un peu inaperçu, car présenté le lendemain du premier tour des élections présidentielles, mais il s’agit d’une question importante pour l’avenir de la médecine libérale et d’un des sujets, la santé, dont le futur Président et son gouvernement devront s’occuper.
L’assurance maladie se réjouit donc, utilisant la formule célèbre du « globalement positif », et elle souligne notamment que le système « encourage globalement une meilleure prise en charge des maladies chroniques et une prescription plus pertinente et efficiente au service de la qualité et de la maîtrise des dépenses ». Bel exercice de langue de bois.
Des indicateurs dignes d’Ubu Roi
Les médecins ont, grâce à ce système, perçu des rémunérations complémentaires, en sus du paiement à l’acte. Une prime de 4593 euros en moyenne en 2016. Cela concerne avant tout les généralistes, qui ont reçu en moyenne 6 983 euros, contre à peine 951 euros pour les spécialistes. La CSMF se réjouit et réclame l’extension de la ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique) à toutes les spécialités. Quant au syndicat des jeunes médecins (ReAGJIR) il voudrait étendre le système aux médecins remplaçants (nombreux : 11 285 actuellement), qui, pour l’instant, n’en bénéficient pas. Bref, chacun veut aller plus loin dans le système.
En quoi consiste-t-il ? L’Assurance maladie en donne la définition suivante : « La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des médecins traitants repose sur le suivi de 29 indicateurs, pour un total de 1300 points : 5 indicateurs sont dédiés à l’organisation du cabinet, 24 indicateurs concernent la qualité de la pratique médicale ». Dans la première catégorie, on trouve, par exemple, « la mise à disposition d’un justificatif comportant un descriptif de l’équipement permettant la tenue du dossier médical informatisé et la saisie de données cliniques pour le suivi individuel et de la patientèle » ou encore « la mise à disposition d’un justificatif témoignant de l’utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription certifié ». Jamais les médecins libéraux n’auraient songé à s’équiper sur le plan informatique si l’assurance-maladie ne leur avait pas fixé cet objectif !
Une usine à gaz digne de la planification soviétique
Mais il y a des prérequis, par exemple « disposer d’un équipement permettant la télétransmission des feuilles de soins conforme à la dernière version du cahier des charges publié par le GIE SESAM Vitale (il s’agit au minimum de la version 1.40 addendum 2 bis) ». Même la planification soviétique n’était pas aussi précise ! Si l’on a fait tout ce qui était demandé pour ces premiers indicateurs, ils représentent un total de 250 points, valorisés à 7 euros le point ! Dans la nouvelle Convention, « un forfait structure » devrait remplacer certains de ces critères.
Les 24 autres indicateurs portent sur la qualité de la pratique médicale. On y trouve un peu de tout : favoriser les génériques, prescrire moins d’antibiotiques, améliorer les pratiques de dépistage, la vaccination ou encore la prévention de l’obésité. A s’en tenir à la logique de l’assurance-maladie, tout d’ailleurs n’a pas été un succès et, par exemple, la baisse des pratiques de dépistage ou de vaccination se poursuit. Mais le dispositif a été reconduit et amplifié pour la période 2017-2021. Pour le directeur de l’assurance-maladie, la ROSP « ne fait plus débat » : silence dans les rangs !
Un piège mortel pour la médecine libérale
Mais l’essentiel est ailleurs. Il y a bien un problème de rémunération des médecins, en particulier des généralistes. L’assurance-maladie empêche la liberté des honoraires (les généralistes sont peu concernés par le secteur 2) et compense ensuite par des primes destinées aux médecins qui font ce que souhaite l’assurance-maladie. On enferme les médecins dans un choix simple : ou vous restez libres, et vous gagnerez moins, ou vous obéissez aux indicateurs fixés par l’assurance-maladie, et vous serez récompensés.
Il y a là une méfiance vis-à-vis de la liberté de la médecine : les médecins ne seraient pas capables de voir par eux-mêmes ce qui est bon pour la santé de leurs patients. Les organisations étatiques, elles, prétendent savoir ce qu’il conviendrait de faire. Toujours la « présomption fatale » des hommes de l’Etat, qui se croient omniscients. De plus, si certains indicateurs ne reflètent que des évidences, que tous les médecins auraient spontanément mis en œuvre, d’autres sont arbitraires et reflètent ce que la puissance publique juge pertinent.
Qui se soucie de la liberté de la médecine ?
La ROSP vient parachever la mise sous tutelle de la médecine libérale, déjà étouffée sous les honoraires bloqués, le monopole de l’assurance-maladie et la bureaucratie, en plaçant les médecins devant un dilemme simple : ou vous voulez rester libres, y compris de vos prescriptions, et vous serez pénalisés sur vos revenus, ou vous voulez une rémunération décente, et il faudra vous soumettre aux ukases de l’assurance-maladie. On sait comment évolue ce type de système : on perd d’abord sa liberté et ensuite la puissance publique serre les boulons et la rémunération supplémentaire se réduit peu à peu comme peau de chagrin. Mais qui se soucie, à la veille du second tour des élections, de la liberté de la médecine ?
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UNE PHARMACO-VIGILANCE À RETARDEMENT
On est étonné qu'une analyse si fine des critères d'une bonne gestion "encadrée" de la médecine libérale ne trouve pas son pendant auprès des organismes de pharmaco-vigilance, qui ne cessent de défrayer la chronique par le dépistage extrêmement tardif des effets toxiques de certains médicaments à risques.
Il a fallu parfois que certaines molécules sévissent durement pendant plusieurs dizaines d'années en multipliant, par centaines ou par milliers et même parfois plus, décès et accidents graves pour que les autorités se saisissent enfin de problèmes, pour lesquels trop souvent en France ou à l'étranger des lanceurs d'alertes avaient depuis longtemps appuyé sur le bouton rouge .
Manifestement le Ministère de la Santé qui sait si bien encadrer par le menu la pratique médicale des généralistes, éprouve les pires difficultés à rendre efficaces des organismes qui, sous sa direction ou sa tutelle, par leurs atermoiements, par leur incroyable lenteur, donnent au public l'impression désagréable et répétée d'une redoutable pharmaco-somnolence.
Après tout dans une sorte de juste retour des choses, on pourrait peut-être demander aux médecins généralistes – et nul doute que certains le feraient bénévolement – de concourir à l'établissement du cahier des charges d'une pharmaco-vigilance réactive, comportant notamment l'évaluation précise des autorités en cause et de leurs responsabilités, avec bien entendu la modulation en conséquence de leurs rémunérations et de leurs carrières.