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Plaidoyer pour un encadrement du droit de grève

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Le monde d’après ressemblera terriblement à l’ancien. Le président Macron a annoncé que les Français devront faire des efforts pour relancer l’économie du pays. A la SNCF et à ADP, Aéroports de France, ce sont les syndicats qui ont montré le plus d’enthousiasme. Ils ont déposé un préavis de grève pour le 1er juillet, avec des revendications familières : plus d’embauches, hausses de salaires. Le secteur du transport ayant été l’un des plus impactés par la crise, leur mouvement social témoigne non seulement d’un manque de respect envers toutes les personnes qui y travaillent, mais représente une menace pour sa survie. Ces mobilisations envoient une nouvelle alerte sur le niveau de déconnection des syndicats et sur le flou juridique qui entoure le droit de grève.

Un droit de grève mal défini, qui laisse le champ libre aux grévistes

D’un point de vue constitutionnel, le droit de grève est garanti par le préambule de la constitution de 1946 à l’alinéa 7. Il dispose que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Or l’arsenal législatif sur la question est presque inexistant. Les jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d’État, éparses et contradictoires, ne favorisent pas son encadrement.

Depuis 1971, par décision du Conseil constitutionnel, le droit de grève a valeur constitutionnelle. En 1979, le Conseil a admis que la nécessité d’assurer un service public minimum pouvait limiter ce droit. C’était une décision primordiale, mais elle n’a pas été traduite dans une loi susceptible d’encadrer plus clairement le droit de grève. Il a fallu pour cela attendre 2007 : pas de service minimum imposé, mais les organisations syndicales étaient désormais tenues de déposer un préavis d’au moins 48 heures. Il était aussi question de faciliter le dialogue social afin de limiter le recours à la grève au maximum. Un texte de cette nature aurait certainement pu être pleinement effectif en Allemagne ou dans des pays scandinaves, qui ont tous une culture du dialogue syndical très forte. Mais en France, c’est la grève qui est la norme et le dialogue, l’exception. Finalement, la situation n’a que peu évolué pour les usagers depuis cette loi.

Ce flou s’accompagne d’une certaine frilosité, de la part du juge judiciaire, à condamner les abus des syndicats. Le sabotage, l’intimidation et l’entrave à la liberté de travailler sont pourtant illégaux mais le paravent du droit de grève est toujours brandi par les syndicats, un droit considéré comme absolu et qui les a largement protégés des condamnations.

En droit français, il n’existe pas de distinction entre grève professionnelle et grève politique. En premier lieu parce qu’elle s’avère complexe sans une définition par la loi – ainsi la Cour de cassation a-t-elle adopté des jurisprudences contradictoires selon la chambre qui était amenée à statuer. En second lieu parce que trancher entre ces deux motifs, en droit social français, demanderait un certain courage politique.
Un mouvement de grève en opposition à une réforme des retraites ou à une réforme de l’assurance chômage, par exemple, ne relève pas d’une cause professionnelle, mais bien politique. Ce ne sont ni les chômeurs ni les retraités qui manifestent mais les actifs, ce qui contrevient à l’idée même du droit de grève permettant à tout salarié de s’opposer à son employeur et faire valoir des revendications salariales. Lorsque les syndicats de la SNCF ou de la RATP manifestent contre la réforme des retraites, ils ne s’élèvent pas contre un employeur mais bien contre l’Etat, et leur mouvement social sort donc de la qualification « droit de grève ».

Tous ces éléments octroient un sentiment d’impunité aux syndicats, dont certains n’ont pas hésité à couper le courant de quartiers entiers, dans des grandes villes, pendant les manifestations contre la réforme des retraites entre décembre 2019 et février 2020. En droit, cela s’apparente à de la mise en danger de la vie d’autrui et à du sabotage. Le juge ne s’est pas montré du même avis. Ces mêmes syndicats ne représentent à peine 8% des salariés dont la grande majorité travaillent dans le secteur public. Par ailleurs, qu’elle est leur légitimité à manifester contre la main qui les nourrit, ils touchent chaque année des millions d’euros de subventions publiques.

Nos propositions pour un encadrement législatif du droit de grève

1- Le droit social doit faire la distinction entre ce qui relève de la grève professionnelle et de la grève politique. Les grèves contre des projets de réformes discutés au Parlement ou en Conseil des ministres doivent être rendues illégales. Au Royaume-Uni, en Allemagne et dans la plupart des pays européens, ce type de manifestations est interdit afin d’éviter qu’à chaque réforme d’envergure le pays ne soit pris en otage. Le recours à des grèves politiques peut valoir à leurs auteurs un licenciement ou des sanctions pécuniaires. Le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe autorise les États à interdire les grèves politiques sans que cette interdiction ne soit assimilée à une atteinte aux droits fondamentaux.

2- La notion de service public essentiel doit être inscrite dans la loi. Ce qui suppose que soient énoncées des restrictions au droit de grève, motivées par la nécessité d’assurer la communauté de vie, le maintien des libertés d’entreprendre, de travailler et de circuler. Il faut aussi prévoir des aménagements : ainsi, dans le secteur des transports et des services publics essentiels, le respect d’un préavis de dix jours laissant aux organisations syndicales et à la direction le temps de négocier, sous peine que la grève soit annulée par le juge.

3- Au nom de l’intérêt collectif, un service minimum doit être institué au niveau national, il existe déjà au niveau de la fonction publique territoriale depuis la loi de réforme de la fonction publique de 2019. Sur le modèle de ce que prévoit la loi italienne, un service d’au moins 80% doit être assuré aux heures de pointe (6h30-9h30 et 17h-20h) et d’au moins 50% le reste de la journée. Dans les secteurs sensibles qui relèvent de l’ordre public ou de la sécurité nationale (prisons, aiguilleurs aériens), la grève doit être strictement limitée et l’on doit pouvoir recourir à des militaires ou à du personnel réserviste afin d’assurer le maintien de ces services essentiels.

4- La durée de la grève doit faire elle aussi l’objet d’un encadrement légal, la grève illimitée ne poursuivant qu’un but politique et non professionnel. Sur le modèle de l’Italie, un délai incompressible de 20 jours doit être instauré entre deux préavis de grève, dans le même service public essentiel sur le même territoire.

5- Afin de respecter la notion de démocratie en entreprise, une demande de grève par un syndicat doit respecter certains critères : le ou les syndicats en question doivent représenter au moins 50% des salariés de l’entreprise ; la grève doit faire l’objet d’un vote à bulletin secret au sein de l’entreprise et la décision de faire grève doit refléter la volonté de la majorité et non celle d’une minorité.

La situation budgétaire de l’Etat, au sortir de la crise, va nécessiter des réformes fortes afin de répondre à l’impératif de réduction de dette publique et de déficit. Elles se heurteront sans nul doute à l’opposition des syndicats, qui maintiennent un puissant pouvoir de nuisance. L’encadrement du droit de grève apparaît comme un impératif préalable à toute réforme d’envergure, au risque sinon de voir le pays bloqué par une minorité radicale. Les quelques réformes au niveau de la fonction publique territoriale et la loi de 2007 demeurent encore bien faible pour éviter le blocage des infrastructures essentielles du pays.

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2 commentaires

MIDLER 1 juillet 2021 - 7:53

Plaidoyer pour un encadrement du droit de grève
Merci de ces propositions de bon sens qui auraient dû être appliquées depuis longtemps. Il en manque une: l’interdiction de payer ou de récupérer les jours (ou heures) de grève sous quelque prétexte que ce soit.

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Gabriel IREF 1 juillet 2021 - 12:13

Plaidoyer pour un encadrement du droit de grève
Merci pour votre commentaire
Cela va sans dire évidemment. Le paiement des grévistes a été effectif par le passé mais aujourd’hui il n’est plus d’actualité. Cependant, les syndicats organisent des caisses de grèves avec l’argent des subventions donc avec l’argent du contribuable, ce qui est aussi un problème. En tout cas aujourd’hui les entreprises ne payent plus les grévistes et c’est normal

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