La LPM adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire et sur l’Alliance atlantique.
En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé « Vers l’armée de métier », sur l’état de l’armée française et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies. À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.
Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.
En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.
Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».
Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État
En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire. Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.
À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. L’armée a, en fait, été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.
Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes ou la mécanique aéronautique.
En vingt ans, les équipements ont également fondu. L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.
Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines comme celui des drones ou des stocks de munitions.
Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030
Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse. Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…
La loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 Mds€ consacrés aux équipements contre 172 pendant la période de la précédente loi.
Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui-feu).
Autre exemple : la marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la 2e ZEE (zone économique exclusive) mondiale…
Il est patent que le Gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 Mds€), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 Mds€) et ce au détriment du combat direct.
Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.
En somme, la LPM adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du 21ème siècle. Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine LPM en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».
[1] Dont le titre était : « Une invasion est-elle encore possible ? ».
7 commentaires
Malheureusement vous avez raison, mais tant que certains politiciens ne penseront cas leurs réélection avant de penser à la France,nous serons toujours dans cet optique de bien pensant
La dissuasion nucléaire n’est certainement pas une ligne Maginot! Elle ne s’use vraiment d’ailleurs que si l’on ne s’en sert pas… Non pas que nous devrions entrer en guerre, mais nous devrions revenir à des essais réels comme s’apprêtent à le faire Russes et Américains.
Pour le reste, il ne faut pas confondre entre défense civile (protection de la ZEE des prédations par exemple) de la défense militaire qui est un peu différente. J’avais écrit, en 2007, un ouvrage intitulé « Logique de Défense: 30 idées en 200 pages ». Il n’a pas vieilli! Quant aux menaces d’invasion de notre pays, elles sont absolument nulles en métropole, la menace est économique dans les départements et territoires d’outre-mers et, effectivement, nous nous faisons sortir de notre zone d’influence en Afrique de l’ouest, mais pas pour des raisons de faiblesse militaire, chacun ne pourra, hélas, qu’en convenir.
Après l’emploi des bombes lâchées sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, l’impact psychologique est resté gravé dans l’inconscient humain pour quelques décennies.
Mais aujourd’hui qu’en reste t’il ? Après plusieurs menaces de guerres nucléaires non-aboutis, la crainte s’est peu à peu diluée, et plus personne n’y croit. Le danger viendra plus certainement de ces pays émergeants qui disposeront de l’arme, et n’hésiteront pas à en faire usage, souvenons-nous des « Twinns Tower » à New York qu’ils ont détruit en 2001.
Conservons donc notre avantage avec cette arme nucléaire toujours dissuassive malgré tout, mais ne délaissons pas, comme il se fait depuis quelques années, le reste de notre armée qui pourrait se retrouver dans la situation de ceux de 1940…
La seule solution pour la France est de supprimer l’ENA, cette poule pondeuse d’ABRUTIS
Non , la force nucléaire n’est pas dissuasive .Supposons une hypothèse :la Russie nous attaque avec des armes conventionnelles et nous dit : Isi vous utilisez l’arme nucléaire nous le ferons aussi !!!!!
Et voilà , égalité ,balle au centre .
Et vous croyez qu’un petit jeune comme MAcron oserait appuyer sur le bouton rouge ?????
Une question intéressante : combien de nos précieux avions de transport (C130, A400M) dorment-ils dehors ?
Réponse : la majorité…
Il serait temps de construire de quoi les protéger du soleil et des intempéries, histoire de de limiter certaines actions de maintenance et de ralentir leur vieillissement…
Faut il réellement s’étonner de cette situation ? J’ai le souvenir de la sortie fracassante du général de Villiers, alors chef d’Etat-Major des armées, s’opposant à Macron qui lui rognait ses crédits. Dès lors que l’autorité militaire est confiée à des gamins qui n’ont même pas fait leur service national : Macron, Beaune, des gens qui n’ont pas pris la mesure du danger comme le note l’excellent article de Romain Delisle. Comme en 1934, nos « stratèges » ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Les 3 armes ont été déshabillées pendant que d’autres domaines ministériels (dont certains ne semblent pas être d’une grande efficacité) ont mangé les économies faites sur le dos des militaires.
Il est à souhaiter que la guerre ne soit pas à nos portes dans les prochains mois car nous pourrions bien faire les frais d’un « blitz » à cause de l’impéritie de nos gouvernants…