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Réduction des stocks de munitions ou le sacrifice des missions régaliennes de l’Etat

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Le 24 février dernier, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a profondément bouleversé les paradigmes de la guerre avec le retour d’un conflit de haute intensité, qui s’est transformé par la suite en guerre d’usure, en plein cœur de l’Europe. Depuis la guerre Iran-Irak, dans les années 80, et la fin de la guerre froide, les conflits avaient pris la forme de guerres courtes ou de guerres subversives ne nécessitant pas l’emploi d’une grande quantité de munitions dans un temps limité et sur un périmètre restreint.

L’armée française, souvent qualifiée d’armée bonsaï pour sa qualité mais aussi pour la petitesse de sa taille, s’était adaptée à ce mouvement et a pris la forme d’un corps expéditionnaire (un modèle souvent qualifié « d’excellence échantillonnaire ») conduisant à la suppression des principaux stocks de munitions pour adopter un système à flux tendu.

Cette erreur majeure, pointée du doigt par un rapport d’une mission parlementaire de l’Assemblée nationale, s’est accompagnée de l’abandon de la fabrication de certaines munitions qui, en cas de péril, pourrait mettre en danger les chaines d’approvisionnements de nos armées.

Les stocks de munitions ont servi de variables d’ajustement depuis 2016 au détriment de la capacité opérationnelle des armées

Avec la suspension du service militaire décidée par Jacques Chirac en 1996, un mouvement de sabordage des crédits de défense, amplifié par la RGPP (révision générale des politiques publiques) instauré par Nicolas Sarkozy en 2007, avait été mis en œuvre.

Entre 2008 et 2017, les armées ont ainsi perdu 20 % de leurs effectifs, soit 50 000 militaires, ainsi que l’a déclaré devant le Parlement le général François Lecointre, ancien chef d’Etat major des armées. La politique d’achat des munitions s’est alors retrouvée pris dans un cercle vicieux : alors que son prix (notamment celui des munitions complexes) augmentait, ses budgets étaient sans cesse rognés, diminuant le nombre de munitions achetées et faisant augmenter leurs coûts unitaires.

Comme le mentionne le lieutenant-colonel Raphael Briant dans ses travaux, la commande de munitions a baissé de 40 % entre 2003 et par rapport à la cible prévue en 2025, le budget annuel dédié atteignant 248 M€ l’année dernière :

L’adoption de cette logique de flux tendu à une conséquence notable : à l’heure actuelle, la France ne dispose que d’une semaine de réserve d’obus de 155 mm, c’est-à-dire le gros calibre le plus utilisé par nos armées.

Cette organisation d’une pénurie a entrainé une conséquence encore plus néfaste : un défaut d’entrainement de nos forces armées qui n’était même plus en capacité de tirer à munitions réelle en quantité suffisante. Pire, l’achat de munitions d’entrainement peut coûter plus cher, jusqu’à cinq fois plus pour les missiles, et n’amène pas une économie budgétaire substantielle.

Par voie de conséquence, les délais de livraison des munitions ont également augmenté, ce qui, dans le cas d’une agression surprise, demeure assez anxiogène. De 10 à 20 mois sont ainsi nécessaire pour obtenir des obus de 155 mm, un délai porté 24 mois pour les missiles antichar de moyenne portée et même jusqu’à 36 mois pour les missiles air-air de longue portée METEOR et de 4 à 5 ans pour les missiles Exocet utilisés par la Marine (et qui, pendant la guerre des Malouines, avaient coulés le HMS Sheffield).

En cas de conflit de haute intensité brutalement déclaré, la France pourrait toutefois compter sur l’appui des autres membres de l’alliance atlantique dans la mesure où leurs munitions sont standardisées et interopérables. En termes de stocks toutefois, seuls les Etats-Unis n’ont pas adopté la logique de flux tendu qui montre aujourd’hui assez cruellement ses limites (de nombreux pays européens n’ont pas respecté la règle qui leur commandait de disposer d’un stock d’un mois de munitions avant la guerre en Ukraine). En 2022, le Congrès a d’ailleurs débloqué 3,8 Mds€ en ce sens, ce qui de l’aveu du chef d’état-major de l’armée américaine, risque pourtant de ne pas suffire à soutenir une guerre en Asie.

Capacités de production des industries militaires : des trous dans la raquette

Comme grande puissance militaire et troisième exportateur d’armement mondial, la France possède une capacité de production d’armement importante et assez bien résumé par le graphique suivant, cité encore une fois par le lieutenant-colonel Briant :

Pour mentionner une expression à la mode, de nombreux « trous dans la raquette » existent toutefois, notamment en ce qui concerne la production de cartouches et d’obus de petit calibre. En 1999, GIAT industries (futur Nexter) avait fermé son usine du Mans et suspendu sa production d’obus de 20 mm ainsi que de munitions de petit calibre. En 2018, l’emblématique entreprise Manhurin avait également été placé en sauvegarde et finalement vendue aux Emirats-arabes-unis.

La guerre en Ukraine et l’augmentation de la demande de cartouche rend désormais possible les espoirs d’une relocalisation de munitions de petit calibre en France. Contrairement aux actions diligentées par l’Etat s’agissant des masques de protection, le modèle serait économiquement viable de par la compétitivité structurelle des fabricants français et leur capacité à produire un modèle 6 centimes moins cher que les prix moyens du marché.

Deux incertitudes majeures font pourtant peser un risque sur ce projet : l’absence de fiabilité et de vision à long terme des pouvoirs publics et le carcan normatif qui enserre le secteur de la défense.

Le règlement européen REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of Chemicals) qui contrôle l’utilisation des substances chimiques au sein de l’Union, conduit, par exemple à allonger les délais d’enregistrement de 12 à 18 mois ne serait-ce que pour la fabrication d’une tonne d’explosif.

S’il n’apparait pas forcément opportun de reconstituer les stocks de la guerre froide, la prochaine loi de programmation militaire (qui permettra à peine d’atteindre les objectifs de l’OTAN des 2 % du PIB consacrés aux armées), devra impérativement rétablir les stocks de munitions permettant l’entrainement intensif de nos soldats. Selon le chercheur Léo Péria-Périgné, 90 % des objectifs militaires sont traitables avec des munitions simples et seulement 10 % avec des munitions complexes (plus chères) entrainant un arbitrage entre quantité et qualité, sans que la première ne soit négligée.

Il faut également recommander la mise en œuvre d’un important travail de simplifications des normes applicables aux industries de défense qui entravent leurs activités et ont pu conduire à la délocalisation de certaines productions.

La politique de réduction des stocks de munitions et de diminution permanente des budgets militaire avait été la marque de l’effacement de l’Etat régalien au profit notamment des thématiques sociales. La hausse des crédits militaires pourra très bien s’opérer dans un contexte de parcimonie budgétaire pourvue qu’elle demeure une priorité.

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6 commentaires

Roven 28 juin 2023 - 5:36

Comme tous les incapables qui n’assurent pas leur mission, ici le rôle régalien essentiel de l’État, celui-ci se disperse dans des attitudes de communication et d’intervention dans des domaines qui ne sont pas les siens. Nous sommes passés de l’État dit « stratège » à l’assistante sociale cigale incarnée par un jeune théâtreux qui ne sait que faire campagne pour se montrer à l’envi, sans rien assumer une fois qu’il est élu, sauf dépenser largement et à vue l’argent que nous n’avons pas… Y-a-t-il un homme d’État visionnaire dans ce pays ?

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Laurent46 28 juin 2023 - 5:47

Quelles sont les missions régaliennes de la République de France qui ne sont pas en déconfiture ? Donner aux autres et faire des leçons de morale au mode entier est la seule raison d’être des deux nains de jardin prétentieux des deux grandes Républiques de l’UE France et Allemagne, plus proche des derniers grands dictateurs du monde en plus d’être LGBT +++ que de régimes démocratiques. leur idéal serait une nouvelle grande guerre, l’humain n’a plus sa place dans ce nouveau camps de mer d’eux. Mais ce que le petit second couteau ne voie pas arriver c’est la première puissance militaire de l’UE qui sera l’Allemagne et cela ne rappelle rien à cet inculte profond et méprisable. Il suffit de voir son comportement pour avoir envie de vomir, même les Ukrainiens ne viennent pas en France ou en partent le plus vite possible seul les pires gueux du monde entier s’y établissent pour profiter d’un assistanat à vie et pour y établir le même régime de terreur que chez eux. Ils n’ont rien d’autre à faire et si par malheur une de ces crapule venait à se faire descendre parles forces de l’ordre le médias pourris de la République en font une victime, les Républicains une marche blanche et la famille encaisse l’argent que la République de Macron et de sa clique LGBT +++ n’a plus. Peu importe les taxes et charge vont enfler une fois de plus entre la République mafieuse et l’incompétence locale la taxe foncière est déjà en augmentation de 15 à 20% au moins pour les prochains appels de fond. Et que ces salauds qui se disent encore être Français avant tout soient punis comme il se doit.

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maxens 1 juillet 2023 - 9:53

rien a ajouter, 4 ou 5 secteurs régaliens au bénéfice de tous; santé, police, armée, justice, education, qui devraient être la priorité, mais en France on préfère distribuer des aides sociales à des profiteurs du système, qui n’en ont aucune reconnaissance, cf les émeutes

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lionel2 3 juillet 2023 - 8:45

Aucune reconnaissance ?? Vous êtes dur, regardez comme ces gentils manifestants pacifiques on protégé certains bâtiments —–> Aucune CAF n’a été incendiée 🙂 🙂

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Picot 28 juin 2023 - 12:11

Pénurie organisée : vous avez tout dit. Même chose ailleurs : santé, éducation, police, justice, etc.. Compter sur l’oncle Sam ou sur l’OTAN pour nous venir en aide en cas de conflit est un leurre. Sur le plan militaire nous devons, c’est un devoir, être souverains et indépendants.

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Lombled 28 juin 2023 - 1:12

C’est la débâcle !!!

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