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Les préjugés persistants d’André Comte-Sponville à propos du capitalisme et du rôle de l’entreprise privée

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Dans un entretien globalement fort intéressant donné à L’Express (2 mars 2023) à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, La Clef des champs et autres impromptus (Paris, PUF, 2023), le philosophe André Comte-Sponville prouve néanmoins une fois de plus qu’il ne comprend pas vraiment ce qu’est le capitalisme libéral. Une fois de plus car il en avait déjà donné la démonstration dans un livre paru en 2004, Le Capitalisme est-il moral ? (Albin Michel), question à laquelle il répondait qu’il n’est ni moral ni immoral mais amoral. Certes, le capitalisme n’est pas toujours parfait, dans la mesure où ce n’est pas une utopie. Mais l’économiste Pascal Salin nous a montré qu’il est, contrairement à ce que nous dit André Comte-Sponville, le seul système économique moral, dans la mesure où il se fonde sur le respect intransigeant des droits de propriété de l’individu.

Du constat de l’échec des sociétés socialistes… 

Insistons d’emblée sur le fait qu’André Comte-Sponville est un philosophe ayant signé des ouvrages tout à fait intéressants, tel son Petit Traité des grandes vertus (1995), pour lequel il reçut le prix La Bruyère de l’Académie française. Mais si ce penseur adepte d’Épicure, des Stoïciens et de Montaigne présente le mérite de réfléchir librement loin de toute systématisation philosophique, sa vision du capitalisme et du rôle de l’entreprise nous semble critiquable à plusieurs égards. Certes, il constate que les sociétés socialistes que l’on a voulu instaurer ont toutes échoué. « Les sociétés prétendument égalitaires qu’on a voulu créer à la place du capitalisme se sont révélées être bien pires », dit-il dans l’entretien donné à L’Express, avant d’ajouter : « J’aurais aimé que le socialisme réussisse. Il se trouve qu’il a échoué partout, souvent dans des conditions atroces et criminelles. » Bref, le socialisme a fait le contraire de ce qu’il promettait de faire : au nom de la morale, il a été l’un des systèmes politiques les plus immoraux qui aient jamais été, compte tenu du nombre de morts dont il est directement responsable ; et au nom de l’égalité, il fut en réalité vecteur d’inégalités qui se révèlent  beaucoup plus criantes que celles que l’on déplore dans les pays capitalistes.

En cela nous sommes bien d’accord.

… à l’apologie de la fiscalité et de la redistribution

Mais André Comte-Sponville se trompe doublement selon nous lorsqu’il dit dans le même entretien : « Prenons donc le capitalisme pour ce qu’il est : un système économiquement efficace, mais socialement injuste et écologiquement redoutable. Compensons ses effets pervers par la redistribution pour ce qui est des inégalités, et par une politique écologique plus exigeante ». Or c’est plutôt le socialisme qui fut « écologiquement redoutable », bien plus que le capitalisme. André Comte-Sponville aurait-il oublié notamment Tchernobyl ? Dans un livre intitulé Why Globalization works (New York et Londres, Yale University Press, 2004), le journaliste économique Martin Wolf rappelle au contraire que les pays socialistes comme feu l’URSS ont bien plus nui à l’environnement que les pays capitalistes : on citera ainsi parmi bien d’autres exemples l’assèchement de la mer d’Aral dans les années 60, provoqué par le détournement de deux de ses affluents afin d’assurer l’irrigation intensive de champs de coton…

André Comte-Sponville se trompe en outre lorsqu’il considère qu’il nous faut des entreprises suffisamment robustes créant suffisamment de richesses pour rendre les prélèvements et la redistribution possibles, afin que la société devienne moins inégalitaire. Car cela revient à dire qu’une entreprise n’a d’autre rôle que celui d’être ponctionnée de manière que soit financée la sacro-sainte « justice sociale », ainsi qu’en témoigne cet autre propos qui figure dans le même entretien : « Plus nos entreprises sont riches, mieux ça vaut. Et plus l’État redistribue, mieux ça vaut ». Mais à ce compte, la France serait l’un des pays les moins inégalitaires qui soient ! En 1960, les prélèvements s’y élevaient à 30,3% du PIB ; ils ont atteint en 2021 44,3% de ce même PIB, ce qui représente une augmentation de 14 points. En 2020, la France a occupé la deuxième place en Europe, après le Danemark, pour ce qui concerne le poids des prélèvements (47,5% du PIB), loin devant la moyenne des 27 (41,3%). En outre, elle consacrait en 2020 31% du PIB aux dépenses sociales publiques, confortant ainsi sa place de pays le plus redistributeur de l’OCDE – dont la moyenne était de 20%.

La France a besoin non pas de plus mais de moins de prélèvements, de fiscalité et de redistribution, dont les excès la paralysent, freinent sa croissance et minent la prospérité générale depuis plus de 40 ans. André Comte-Sponville fait donc encore une fois fausse route lorsqu’il dit : « La justice sociale passe par la redistribution, donc essentiellement par l’État, la fiscalité et les services publics ». Une telle phrase contredit d’ailleurs ce qu’on peut lire sur la couverture du même numéro de L’Express : « Fin de vie, Covid, capitalisme : le plaidoyer libéral d’André Comte-Sponville ». Non, la vision qu’a ce dernier du capitalisme ne relève en rien d’un quelconque « plaidoyer libéral ». On préfèrera à un tel propos cette citation de Thomas Jefferson, qui était lui, quelque 130 ans avant l’avènement de l’État-providence, parfaitement conscient des dangers que peut représenter notre « redistribution » : le « bon gouvernement », dit-il lors de son premier discours d’investiture, le 4 mars 1801, est celui qui « retiendra les hommes de se porter tort l’un à l’autre, et pour le reste les laissera libres de régler leurs propres efforts d’industrie et de progrès, et n’enlèvera pas le pain de la bouche du travailleur qui l’a gagné » (nous soulignons).

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11 commentaires

Chris 10 mars 2023 - 5:47

J’ai un peu de mal à ne pas suivre favorablement les propos de André Comte-Sponville lorsqu’il affirme que « Plus nos entreprises sont riches, mieux ça vaut », ce qui revient à dire, au contraire de l’interprétation de l’article, que l’entreprise a pour rôle la création de richesse, et non celui d’être ponctionnée de manière que soit financée la sacro-sainte justice sociale.

Pour le reste la redistribution, qui devrait être un choix de société démocratique, ne peut effectivement être un choix que si la fiscalité qui lui est associée frappe directement les individus, et n’est pas masquée par celle qui frappe les entreprises, ou encore les générations futures par la dette.

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TIBI ALICE 10 mars 2023 - 6:25

La mauvaise foi de l’article pour défendre le capitalisme, contrairement aux déclaration d’André Compte-Sponville dans l’Express, est criante. Que l’exemples socialiste soit édifiant, l’on en convient. Que la redistribution puisse être l’une des leilleures d’Europe, c’est d’accord.
Mais qu’en estr=il du pillage des sols, de ka ler et de l’air, sans vergogne aucune ?
Pourquoi ne pas enfin incriminer l’homme et ses débordements, quel que soit le système qu’il prône ?
Ce débat est faisandé depuis le départ, et la caution de Jefferson n’y change rien.

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Matthieu Creson 16 mars 2023 - 7:43

Le socialisme a eu des conséquences sur l’environnement bien pires que le capitalisme. Feu l’URSS a provoqué de véritables désastres écologiques, comme l’assèchement de la mer d’Aral dans les années 60 dû au détournement de deux de ses affluents pour assurer l’irrigation intensive de champs de coton. Sans même parler de Tchernobyl.

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Gaston79 10 mars 2023 - 7:28

Article quelque peu excessif. La « redistribution » qu’évoque ACS peut simplement concerner les salaires nouveaux versés par les entreprises « suffisamment robustes » dont il défend par ailleurs la nécessité, ce qui n’est pas la même chose que de nouveaux prélèvements fiscaux !
Par ailleurs les services publics dont on peut discuter en effet de leur mode opératoire étatique ou non, constituent bien des facteurs de « redistribution » importants comme le confirme l’INSEE dans une étude récente démontrant que les écart de revenus en France passent de 1 à 13 en constat primaire à une échelle de 1 à 3 avec l’intégration des services publics (et de la fiscalité). Est-ce anti libéral ?

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poivre 10 mars 2023 - 7:59

 » le capitalisme ……(est) le seul système économique moral, dans la mesure où il se fonde sur le respect intransigeant des droits de propriété de l’individu »

Or de ce respect intransigeant, point de liberté, point de salut.

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wsc99 10 mars 2023 - 8:26

Merci pour votre plaidoirie en faveur du capitalisme.
Votre présentation respectueuse de la divergence d’idées rend honneur à André Comte-Sponville, à l’IREF et aux lecteurs.
Article brillant et exemplaire.

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Jacques Baudouin 10 mars 2023 - 8:39

Comme le dit Matthieu Creson, André Comte-Sponville livre parfois des idées intéressantes qui peuvent être débattues pour enrichir les débats sur de nombreux sujets. Cependant, ses réflexions sur le capitalisme et l’entreprise privée sont totalement anachroniques et même erronées. Comme beaucoup de philosophes, ses connaissances en économie ne lui permettent pas d’avoir une vue objective de l’entreprise. D’ailleurs, comment une personne qui n’a jamais dirigé une entreprise, qui ne s’est jamais confronté aux lois du marché, qui ne sait pas ce que veut dire le mot « innovation », puisse émettre un jugement correct sur ce monde qui lui est totalement inconnu. De plus, il nous parle de capitalisme et oublie de nous parler de libéralisme !!??!! A-t-il lu Frédéric Bastiat ? J’en doute !

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Matthieu Creson 16 mars 2023 - 7:20

Merci pour votre commentaire
Cordialement
Matthieu Creson

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pal 10 mars 2023 - 11:07

« Pourquoi ne pas enfin incriminer l’homme et ses débordements, quel que soit le système qu’il prône ? » du commentaire de Tibi Alice ci-dessus. C’est le fond du problème. Quel que soit le système, quelle que soit la philosophie, l’être humain les déforme à son avantage, de classe mais souvent juste individuel.
Que ce soit le capitalisme qui maquille « le profit » sous l’alibi libéral, ou le socialisme qui masque à la fois l’idéologie abstraite et l’accaparement sous le « bien commun », sans oublier les religions comme le catholicisme qui brandit le sauvetage des âmes pour organiser la concussion et l’Inquisition, outil de la plus féroce des répressions, l’humain porte en lui un tel pouvoir de destruction qu’il justifie l’accumulation ses outils d’annihilation totale par la recherche de la Paix.

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PIERRE GODICHEAU 13 mars 2023 - 1:04

Bonjour,
Il ne suffit pas, en effet, de dire que le socialisme a échoué partout. Il faut surtout dire pourquoi il a échoué.
Il a d’abord échoué dans sa version hard par l’étatisation des moyens de productions et dans sa version « soft » justement par l’excès de redistribution qui entraîne elle-même une surimposition des entreprises, nuisant à leur développement et à leur croissance. La redistribution ne doit pas entraîner de déficits publics et de surimposition des entreprises. C’est le sens du « nouveau modèle économique et social » (NMES) que j’ai mis au point dans mon livre « Pour un Etat juste et efficace » paru aux éditions Godefroy de Bouillon.
Pierre Godicheau
Président de l’ALS (Association libérale et sociale)

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nanard 14 mars 2023 - 7:44

Les plus jeunes n’ont pas connu le feuilleton « les shadoks », je me suis demandé longtemps après si ce n’était pas une critique du socialisme. En effet l’inimitable commentateur (Claude Piéplu) nous décrivait ces créatures qui plus elles pompaient, plus il n’y avait rien….. et cherchaient à capturer le « cosmogol 999 » des gibis, autres créatures plus travailleuses. Etrangement cette analogie ce vérifie…. D’où la question : les socialos sont -ils des shadoks ? Si oui comme le prouve ce feuilleton, il faut vite changer d’histoire.

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