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Les ports français ralentis par notre modèle social

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Alors que la France a tout pour être parmi les grandes puissances maritimes, ses ports ne parviennent pas à soutenir la concurrence. En cause, les multiples réglementations qui sont autant de freins à leur développement et les syndicats qui endommagent durablement leur réputation et font fuir les armateurs.

Une géographie idéale, des résultats décevants

La France a en théorie de nombreux atouts pour être une grande puissance maritime : son relief est propice aux réseaux routiers et ferroviaires permettant de relier les ports aux terres, son réseau fluvial est fourni et parcourt l’ensemble du pays, elle dispose d’un accès à trois mers et océans, elle se trouve en première place face aux Etats-Unis par l’Atlantique. Marseille peut être relié à Lyon, et y a d’ailleurs ouvert en 1996 un « port avancé » qui permet entre autres le dédouanement des produits. Le Havre dispose d’un accès aux eaux profondes particulièrement intéressant pour les porte-containers, contrairement par exemple à Hambourg, où les navires doivent passer par le canal de l’Elbe. Il est également bien situé dans le « Range Nord », corridor allant du Havre à Hambourg, en passant notamment par Dunkerque, Rotterdam, Anvers et Amsterdam. Le Havre y est en première position pour l’import et en dernière pour l’export, d’où une limitation du temps de transit.

Malgré ces avantages, la concurrence est rude : la moitié des marchandises importées en France par la mer y sont entrées par l’étranger. Il faut dire que nos ports peuvent être 15% plus chers et sont moins bien raccordés au réseau terrestre. Un trajet Le Havre-Paris par voie ferroviaire prend aujourd’hui une demi-heure de plus que dans les années 80, sans compter qu’un train de fret sur dix accuse un retard de plus d’une heure. Selon le rapport 2015 de la Cour des comptes, le Havre a connu une forte décroissance d’activité entre 2008 et 2012. Il se classe quatrième selon les parts de marchés dans le trafic total du Range Nord, loin derrière Rotterdam et Anvers. Cela n’est pas si étonnant : dans les ports comme dans bien d’autres structures, les normes environnementales font des dégâts. Le Havre évite d’aménager de nouveaux espaces car s’il le fait, il doit en compenser l’impact. Ainsi, la construction de Port 2000, construit en 2006 pour accueillir plus de conteneurs, a dû être accompagnée de l’érection d’une île aux oiseaux. Une perte de temps et de moyens qui a médusé nos concurrents et clients, les premiers se frottant les mains et les seconds allant ailleurs. Car pendant que nos ports se perdent dans les normes environnementales, ceux de l’étranger s’améliorent. Rotterdam comptait en 2012 presque quatre-vingt-dix kilomètres de quais contre seulement vingt-et-un pour le Havre. A Rotterdam et à Anvers, les marchandises passent directement des conteneurs aux péniches alors qu’au Havre, des camions doivent faire la liaison. Ce qui pourrait prendre quelques minutes prend donc un ou deux jours. Conséquence, entre 2005 et 2011, le trafic de tous les ports du Range Nord a augmenté de presque 18%, quand celui du Havre diminuait de 10,6%.

La situation à Marseille n’est pas plus réjouissante. Dans cette ville où la CGT tient une place historique, le coût de manutention, qui représente les deux tiers du coût de passage, est supérieur de 30% à celui de ses concurrents méditerranéens. Le port phocéen est 18% plus cher que le Havre, les coûts d’immobilisation des navires sont plus élevés, et tout cela pour un service médiocre : entre 2000 et 2004, une escale sur cinq a connu un incident. Ces derniers sont dus pour un tiers au port et pour deux tiers aux opérateurs, que ce soit pour des causes techniques, des problèmes d’organisation ou à cause du climat social détestable. Le Livre noir des syndicats recense quatre-vingt-dix jours de grève en 2008 et plus de trente de 2009 à 2010, pour un coût de dix mille euros par jour et par bateau.

La CGT, syndicat tout-puissant et malfaisant

A l’exception de Dunkerque, où règne la CFDT, la CGT est majoritaire partout, et veille à le rester. La Cour des comptes, dans le rapport cité plus haut, notait ainsi que les représentants du personnel siégeant à l’assemblée du Havre étaient tous issus du même syndicat. Pourtant, la représentativité des organisations syndicales n’est pas forcément liée aux dernières élections. Rien ne justifiait donc que la CGT soit seule présente à l’assemblée. C’est pourtant le cas, et il en résulte pour le port des difficultés à se réformer. Ainsi, le Havre, Rouen et Paris ont créé en 2012 le groupe HAROPA, afin de produire un service plus compétitif. Pour le rendre plus facilement acceptable, ils se sont engagés à ne pas pour autant réduire les équipes, se privant ainsi d’économies structurelles importantes, qui auraient pu leur permettre de baisser leurs coûts, donc d’être plus. Plus grave encore, la CGT tient le Bureau central main d’œuvre (BCMO), qui délivre le certificat de qualification professionnelle des dockers. Elle dispose de fait d’un monopole sur les embauches.

L’importance de la CGT dans les ports lui donne une force de pression démesurée, dont les armateurs finissent par ne plus être dupes. A force d’être confrontés à des grèves ruineuses, ils fuient les ports français et vont débarquer ailleurs pendant que les syndicats veillent sur les privilèges des employés. Au Havre, la Cour des comptes remarquait en 2015 que le dispositif de pointage était inefficace, et que de nombreux bordereaux manquaient à l’appel. Coïncidence, ceux qu’elle n’avait pas pu vérifier étaient ceux des agents « les plus concernés par les dépassements d’heures supplémentaires ». D’ailleurs lorsqu’un employé doit faire des heures supplémentaires, on lui en compte automatiquement quatre, même si son intervention est finalement plus courte. On veille aussi au maintien de la prime d’assiduité, devenue un élément fixe de rémunération intégrée au salaire de base alors qu’elle devait lutter contre l’absentéisme de courte durée. Enfin, les logements de fonction sont l’objet de quelques souplesses : ils sont parfois occupés sans lien de service, par des retraités ou des veuves, et les loyers sont inférieurs aux charges payées par le port.

Pour maintenir ces privilèges, les militants cégétistes font régulièrement grève, parfois pour des raisons étranges. Ils ont manifesté contre les retraites, pour conserver l’accord de pénibilité leur permettant de partir deux ou trois ans plus tôt que l’âge légal, et ont déclaré une grève de courte durée, ou débrayage, en hommage à l’un de leur collègue décédé dans un règlement de compte sur fond de trafic de drogue. Entre 2008 et 2018, on comptait près de mille sept cents mouvements sociaux dans les grands ports français, le seul épargné étant Dunkerque, contrôlé par la CFDT. A l’inverse, les employés de l’étranger ne font jamais d’opération « port mort », donc de blocages, et ne font grève que pour des sujets les concernant directement. Peut-être s’opposent-ils également moins à l’automatisation des tâches, contrairement à la CGT qui refuse des nouveautés technologiques comme l’automatisation des grues. Enfin, à Marseille, lorsque le dédouanement des marchandises devait être délégué au port avancé de Lyon, les agents marseillais ont bloqué l’ouverture des données informatiques à leurs collègues lyonnais.

Empêtrés dans des dialogues avec des partenaires sociaux qui se comportent en adversaires, nos ports ne parviennent pas à mener les restructurations que demande la concurrence. Alors que la mondialisation devrait leur permettre d’augmenter leur activité, d’enrichir la France et de créer des emplois directs et indirects, ils sont condamnés à manquer des opportunités et à voir les armateurs éviter des structures qui leur apportent bien plus de problèmes que de solutions. Face à une guerre si déséquilibrée, la seule solution semble être de réduire le financement des syndicats, qui survivent grâce aux subventions publiques et malgré leur faible représentativité. Autrement, les ports français, qui en 2017 accueillaient à peine plus de conteneurs que leurs homologues grecs, sont voués à être les derniers d’Europe.

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6 commentaires

Nanard 10 mai 2022 - 8:11

Bonjour, vous avez mille fois raison. De plus nos décideurs ne sont pas toujours à la hauteur devant des oppositions parfois « puissantes ». En ce qui concerne le port du Havre, il y a en plus de la desserte vers Paris qui s’est dégradée, un abandon de son aéroport. Ce qui est symptomatique d’une faiblesse chronique.

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orilou 10 mai 2022 - 8:20

Le pouvoir malfaisant de la CGT diminuera le jour où le financement des syndicats ne sera plus assuré par l’impôt mais PAR LES COTISATIONS PAYEES PAR LEURS ADHERENTS.

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B.GERMAIN 10 mai 2022 - 1:30

Dans les années 1970/1980, travaillant dans une très importante Cartonnerie de REIMS (production de 45.000 tonnes de caisses carton) nous importions du CANADA des bateaux entier de bobine de kraft.
Exemple vécu : Arrivée du bateau sur le port de MARSEILLE : Attente de 15 jours à 3 semaines pour déchargement et relivraison sur REIMS. (Grèves des dockers CGT incessantes, paperasse, communication nulle.
Livraison et débarquement sur ROTTERDAM : 24H. Suivi du transport, accueil, information immédiat.
La CGT, un désastre et foutait tout parterre et nous subissions des ruptures de stock = nos clients mécontents.
Destruction de l’activité du port de Marseille.
Aujourd’hui, attention à Mélenchon, l’idiot du village et ses copains communistes.

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GOUSSOT 10 mai 2022 - 5:12

La CGT ne peut en aucune façon être considérée comme le « modèle social ».
De toute façon ce pays est f……

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REMI 11 mai 2022 - 9:05

La France, là comme ailleurs, n’a pas de VOLONTÉ politique de s’imposer comme puissance portuaire internationale alors qu’elle dispose de tous les atouts géographiques….
• Abandon de légitimité, face aux syndicats communistes qui n’intègrent pas la concurrence et la mondialisation
• Lâcheté politique qui n’impose pas les intérêts de la France pour les Français
• Manque totale de souveraineté sur un territoire économique et structurelle pour accompagner le transport maritime économique toujours plus important….
La France abandonne ses territoires d’appartenance face à des syndicats communistes qui imposent leurs souverainetés avec leurs règles instrumentalisées par leurs seuls intérêts particuliers

Là comme ailleurs, la France gomme ses atouts, par manque de « pouvoir politique » …

La France est sa seule victime et elle ne le doit qu’à elle-même par manque de VOLONTÉ pour s’affirmer dans les faits et les structures….

De fait elle montre toute son impuissance aux profits de l’Italie et de la Hollande entre autres…

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RATINAUD 11 mai 2022 - 10:26

La réussite de la ville de Hambourg administrée par les Verts et le SPD de Scholz, mais à l’écoute du secteur marchand, prouve qu’une action intelligente est possible en ciblant l’intérêt général hors de toute idéologie ou intellectualisme.
L’origine gauloise, romaine et franque des Français explique le manque de volonté du pouvoir.
Plus que de réduire les subventions à la CGT, la récente prise de conscience du poids de la réglementation et des normes et de sa nécessaire réduction pourrait contribuer à limiter dans les textes les pouvoirs de blocage des syndicats en leur octroyant une compétence de conseil ou d’avis.
Seule une meilleure éducation économique, civique, politique et environnementale semble pouvoir sortir la France du déclassement qu’elle subit depuis une quarantaine d’années

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