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L’Amérique ne « profite » pas de la guerre en Ukraine

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Dans les cercles mal disposés à l’égard des États-Unis, s’est répandue l’idée selon laquelle la guerre en Ukraine est une bonne chose pour l’Amérique. Cette théorie ne peut que combler Vladimir Poutine. Elle repose en fait sur une déformation de la réalité.

Le leadership américain est défié

Le principal argument des tenants de ce « complot américain » est que les États-Unis sont énergétiquement indépendants, alors que l’Europe démocratique est importatrice de gaz et pétrole russe. L’invasion de l’Ukraine aurait été provoquée par une agressivité délibérée de l’OTAN, empire militaire américain voué à l’expansionnisme. Elle aurait ensuite débouché sur un embargo partiel de l’énergie russe jetant les pays européens dans les bras d’Exxon et Chevron.
Joe Biden aurait fait d’une pierre deux coups: il aurait d’une part garanti un nouveau débouché pour le gaz de schiste américain et d’autre part affaibli l’Europe en la rendant à nouveau très dépendante de l’Amérique. En outre, il aurait précipité la Finlande et la Suède dans les bras de l’OTAN, renforçant l’empire américain.
Le raccourci, en apparence séduisant, ne tient guère debout. L’OTAN n’est pas un empire militaire. Ses membres sont des pays démocratiques, souverains, libres d’en sortir ou d’y entrer. Le parallèle avec le pacte de Varsovie est totalement absurde. Au pire de la guerre froide, en 1966, lorsque la France est sortie du commandement militaire intégré de l’OTAN, les chars américains ne sont pas entrés dans Paris.
Vladimir Poutine a choisi d’envahir son voisin, convaincu qu’il ne se défendrait pas et que l’opération serait rapide. L’Ukraine, dénucléarisée, ne menaçait pas la Russie.
L’avantage que tirerait l’Amérique de la rupture d’approvisionnement en énergie de l’Europe est tout aussi illusoire. D’abord parce que Joe Biden est l’ennemi juré des producteurs de gaz de schiste. L’idée que le président des États-Unis risque une troisième guerre mondiale pour les aider est tout simplement risible. Il ne cesse au contraire de prôner la décarbonisation de l’économie américaine. Doper la production de gaz de schiste était la dernière chose qu’il souhaitait favoriser.

Le consommateur américain grand perdant

En outre,  le consommateur américain de gaz, de fioul et d’essence voit ses factures s’envoler. Pourquoi ?  Parce que l’offre mondiale d’énergie, amputée de la production russe, est plus faible que la demande. Près des trois quarts de la production américaine de gaz naturel liquéfié ont en effet été exportés vers l’Europe depuis le début de l’année.  En détournant vers le vieux continent une si grande partie du gaz américain, l’embargo partiel sur l’énergie russe est directement responsable par exemple d’une hausse de 70% du prix du gaz pour les Texans.
Le coût de l’électricité grimpe aussi considérablement car les électriciens américains doivent payer au prix fort le gaz nécessaire à faire tourner leurs centrales. À tel point qu’ils sont contraints de repousser la fermeture de vieilles centrales à charbon, faute de matière première suffisante, pour produire assez d’électricité moins sale.
La chute saisonnière des prix qui permet d’ordinaire aux distributeurs de gaz de reconstituer l’été leurs stocks en vue de l’hiver, saison de forte consommation, s’est évanouie. Les stocks américains de gaz sont nettement en dessous de la norme des années précédentes.
Un évènement inattendu le 8 juin a toutefois  chamboulé la donne. Une explosion accidentelle dans l’usine de liquéfaction Freeport de Quintana Island, au Texas, a brusquement suspendu 20% des exportations américaines de gaz. En quelques minutes, le prix spot du gaz aux États-Unis a plongé, alors qu’en Europe il s’est au contraire envolé. Il faudra attendre la fin de l’année, c’est-à dire la saison de forte consommation, pour que l’usine soit réparée. C’est une mauvaise nouvelle pour les Européens. Et une consolation pour les Américains, littéralement traumatisés par les hausses en moyenne de 36% des prix de l’énergie (toutes sources confondues) depuis un an. Les amateurs de complot peuvent maintenant imaginer que l’explosion de Quintana Island est le résultat d’un sabotage…

Perdants et gagnants parmi les firmes américaines

En quoi l’Amérique est-elle plus puissante aujourd’hui qu’avant l’invasion de l’Ukraine ? Son économie est certes moins affectée par l’embargo commercial imposé en représailles à la Russie. Il est vrai que les États-Unis commercent peu avec la Russie et n’importent d’ordinaire presque pas de pétrole russe. Pour autant, il est loin d’être négligeable en raison de l’impact du conflit sur les cours mondiaux des matières premières.
Après quatre mois de guerre,  l’administration Biden a de plus en plus de mal à conserver l’unanimité de ses alliés dans leur réponse à l’agression russe. La perspective de coupures de gaz et d’électricité cet hiver en Europe, va notamment mettre à l’épreuve les bons sentiments américains auxquels se sont ralliés les Européens. « Punir Poutine » a un coût réel pour les Européens, les Japonais et même pour les Américains. Plus le conflit durera, plus la coalition atlantique sera soumise à de réelles tensions.
En outre, cette guerre montre que le leadership américain est ouvertement défié par de grands pays amis de l’Amérique, comme le Mexique, le Brésil, l’Afrique du sSud et l’Inde qui se moquent ouvertement de l’embargo vanté par Washington.
Sans même parler de la position de la Chine, géant qui n’a pas l’intention d’obéir à Washington pour se couper de la Russie et de ses matières premières indispensables. Le prestige des États-Unis n’est donc pas gagné d’avance dans ce conflit imprévisible qui met en lumière bien des limites de la puissance américaine.

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7 commentaires

Maellys93 5 juillet 2022 - 9:11

Une chose m’interpelle,
Au regard des US, comment se fait-il que la France vende si peu de matériel militaire aux pays européen membres de l’OTAN?
Personnellement j’aurais aimé que mon pays « profite » du conflit ukrainien!
Pourquoi être « faux cul »?

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Nicolas Lecaussin 6 juillet 2022 - 6:01

Tous les pays membres vendent du matériel. Y compris la France. L’OTAN permet justement un marché concurrentiel parfait.
NL

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Maellys93 6 juillet 2022 - 8:31

En ce qui concerne la France, en regardant les chiffres, c’est « maigre », pour ne pas dire epsilonesque, par rapport aux ventes US (qui dit en passant n’est pas membre de l’UE) !!
Sommes nous « mauvais » ou l’OTAN est une chasse gardée pour les américains?
Suède et Finlande derniers impétrants à l’OTAN sont en train de passer des contrats avec les US !
Un peu de réalisme SVP Monsieur Lecaussin!

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Nicolas Lecaussin 7 juillet 2022 - 6:33

Tout le monde a des contrats avec l’OTAN ! C’est la concurrence ! Et ce n’est pas de la faute des autres si nous n’avons pas réussi à faire des drones…compétitifs

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Pierre Bouchet 20 août 2022 - 2:33

Vous savez très bien que pour garantir « l’interopérabilité » des matériels à l’intérieur de l’OTAN, ce sont les normes américaines qui presque toujours s’imposent à tous, ce qui donne aux USA un avantage concurrentiel certain. parler de « concurrence parfaite » dans ces conditions, oui c’est « parfait » pour les Américains. Sans parler des pressions diplomatiques que permet la puissance des USA, pour que les pays membres de l’OTAN donnent la préférence aux matériels « made in USA ». Voir par exemple le choix des Allemands d’acheter des avions américains, tout récemment, avec le budget exceptionnel de 100 milliards d’Euros de réarmement voté dans la foulée de la guerre d’Ukraine… Reste que les Européens sont incapables de s’unir réellement pour construire et vendre un avion de chasse commun.

Nicolas Lecaussin 20 août 2022 - 7:30

Regardez les bienfaits de la concurrence au sein de l’OTAN !
NL

Laurent46 10 juillet 2022 - 5:40

Oh que si, l’Amérique et tout du moins les Trolles mafieux qui la dirigent en profitent et sont particulièrement admiratifs de l’auto destruction de l’UE qu’ils ont toujours détesté et pillé de tous ses biens à leurs profits, et tous les organismes internationaux dont se vente l’UE d’en faire parti à le même objectif éviter que l’UE devienne une puissance reconnue et qui puisse influencer l’ordre mondial établi

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