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Économie numérique : le mythe du travailleur « indépendant »

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Le mercredi 18 septembre, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, ratifiait une loi contraignant un certain nombre de plateformes de VTC à requalifier leurs prestataires indépendants en salariés. Cette nouvelle législation a été introduite après des années de débats relatifs à la nature des rapports qu’entretiennent les travailleurs avec les entreprises appartenant au secteur de l’économie numérique et des plateformes. Ces entreprises représentatives de la fameuse « ubérisation de l’économie » ont longtemps fait valoir l’indépendance qu’elles offraient à leurs « collaborateurs ». Pas de comptes à rendre. Pas de hiérarchie ni de supervision. Mais les changements de politiques tarifaires, les systèmes de notation et les cadences imposées aux prestataires indépendants suggèrent l’existence d’un rapport d’autorité. Dans ces conditions, ces entreprises pratiquent-elles du « salariat déguisé » ? Comment distinguer un travailleur indépendant d’un travailleur salarié ?

Travailleur indépendant vs travailleur salarié : un débat remontant au XIXe siècle

En France, c’est à partir du XIXe siècle que se pose la question du statut des ouvriers subordonnés. L’idéologie socialiste remet en cause l’héritage de la Révolution française qui, en réaction aux rigidités du corporatisme, avait proclamé la libre concurrence intégrale sur le marché du travail. Selon les révolutionnaires, chacun devait être libre de conclure une transaction mutuellement profitable et de défaire une relation devenue indésirable, pour peu que la rupture se déroulât selon les usages ou les modalités convenues par les parties.

Le socialisme prétexte alors la situation exceptionnelle de dépendance et de subordination de l’ouvrier pour instaurer des mesures protectionnistes. Mais encore faut-il définir « l’ouvrier ». Comment le distinguer des autres travailleurs ? En 1884, le jurisconsulte belge Charles Sainctelette propose la définition suivante : « J’entends parler de l’ouvrier, c’est-à-dire de celui qui engage ses services, non de l’entrepreneur qui s’oblige à faire; de celui qui a cessé d’être son maître et non de celui qui l’est resté ; de celui qui travaille chez autrui, dans un milieu créé et dirigé par autrui, non de celui qui travaille chez soi, dans son propre milieu ; de l’ouvrier dépendant et non de l’ouvrier indépendant. »

Après des décennies de tâtonnements jurisprudentiels, les tribunaux français ont fini par retenir le critère de la subordination. Les autres législations sociales mobilisent des critères analogues. Mais cette distinction a-t-elle un sens ? En 1888, le jurisconsulte français Arthur Desjardins remarquait la nature arbitraire de cette différence : « La tisseuse, dans une fabrique, est une ouvrière dans toute la force de l’expression vulgaire, mais la femme qui, à domicile, fait de la couture pour des clientes diverses, et dont la vie, en fait, est encore plus précaire, plus dépendante, cesse-t-elle d’être une ouvrière ? »

Dans une économie de marché, tout producteur est subordonné aux désirs d’une clientèle qui dispose sur lui d’un pouvoir de sanction simple : faire jouer la concurrence en cas d’insatisfaction. Il résulte de cette analyse que toute tentative d’instaurer des protections spéciales pour une catégorie particulière de producteurs « salariés » verse dans l’arbitraire et se rend coupable de rupture d’égalité devant la loi.

Étendre le droit du travail à tous les rapports commerciaux ?

« Si la législation sociale était cohérente avec elle-même, elle s’appliquerait donc à tous les rapports commerciaux. Le distributeur désireux de rompre son contrat de distribution avec son fournisseur ne pourrait le faire qu’en cas de motif « réel et sérieux ». Il n’y aurait plus aucune raison que le mandant puisse révoquer son mandataire de manière discrétionnaire. Il en irait de même pour l’entreprise donneuse d’ordre qui souhaiterait changer de sous-traitant ou encore pour le particulier qui voudrait résilier son abonnement téléphonique ou changer d’artisan-boulanger », rappelions-nous dans un rapport publié en février 2018.

Chacun mesurerait les coûts de transaction que de telles mesures impliqueraient. Ces coûts annihileraient la qualité du commerce et les incitations à échanger, à embaucher et à entreprendre. Ne versons pas dans l’hypocrisie. L’avantage du statut de travailleur indépendant réside en effet dans sa capacité à contourner une législation du travail qui contrevient à la liberté contractuelle. Mais ce contournement réduit les coûts de transaction et sert les intérêts des travailleurs peu qualifiés qui, en l’état de la législation sociale, demeureraient exclus du marché de l’emploi s’ils ne la contournaient pas. Plutôt que d’intégrer l’économie des plateformes dans les rigidités de la législation sociale, nous devrions universaliser et réaffirmer la liberté contractuelle.

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