Quel gag ! La langue française est en pleine déstructuration, la plupart des bacheliers parlent comme ça leur chante, savent à peine lire et encore moins écrire – des compétences assez chancelantes d’ailleurs chez certains « professeurs des écoles ». Les micros sur les trottoirs ne recueillent plus que des « Alors en faiteuh, c’est vrai qu’on a changé nos habitudes… donc du coup, voilà, quoi ! » (à comparer avec les micros-trottoirs d’il y a 30 ou 40 ans, c’est saisissant). Les journalistes puisent dans un sac de plus en plus petit de mots. Internet, n’en parlons même pas.
Les membres du gouvernement sont toujours « en responsabilité » ou « en capacité » ou « force de propositions »
Alors, une « Cité internationale de la langue française »… ! Les riches s’offrent des villas, des yachts, des montres, des voitures de luxe. Les politiques, eux, s’offrent des Machins joliment emballés de phrases creuses. Celui-là a coûté plus de 200 millions d’euros et l’on ne sait pas trop à quoi il servira. Ni même s’il servira. Nous avons une suggestion : y organiser des stages de remise à niveau « à destination », comme ils disent, de nos dirigeants. Quelques citations, parmi une multitude, montrent à quel point ils leur seraient utiles.
Emmanuel Macron a déjà été abondamment moqué pour ses « start-up nation » et autres « Choose France », qui peuvent se justifier pour attirer l’étranger. Mais pourquoi, pendant la pandémie, des « clusters » plutôt que des foyers d’infection ? Pourquoi un « pôle cold case » ? Pourquoi d’autre part suivre aussi assidument l’air du temps, plein de miasmes linguistiques, en parlant de « vie empêchée » ou de « contribuable qui n’a pas vocation » (évidemment !) à payer pour rien, en évoquant un moment où il a « échangé » avec tel ou tel dirigeant… ? On peut aussi sursauter aux « vacances apprenantes » et à la difficulté de « penser le nouveau », entre autres élégances saisies au vol. Nos élus se préoccupent beaucoup de ceux qui sont « en situation » : de récidive, de prostitution, de retraite, d’obésité, d’échec scolaire (à la trappe, les cancres !), voire « d’appartement insalubre » ; et même, dans la bouche d’un syndicaliste, « d’inaptitude au travail ». Variante amusante : les Français « porteurs de vulnérabilité médicale ». Les membres du gouvernement sont toujours « en responsabilité » ou « en capacité » ou « force de propositions », naturellement.
Ils n’ont plus de problèmes mais des problématiques, ne traitent plus jamais de thèmes mais de thématiques, ne tentent plus d’expériences mais font des expérimentations, ne se posent plus de questions car ils n’ont que des questionnements et considèrent qu’il n’y a plus de métiers pénibles, seulement des métiers à pénibilité.
Il y a les mots, mais aussi la manière : une ministre assène que « C’est pas aux enfants de commenter comment les parents doivent se retrouver », une autre, que l’on a travaillé « sur comment on s’applique à mettre en œuvre ce qui permet de faire vivre ces principes au quotidien ». Un ministre fustige ce qui « illisibilise » les motifs d’une grève. D’autres parlent d’une « ligne dont on ne déroge pas », de la dette « assez énormissime » de la France, d’une cause pour laquelle il n’y a « aucun lieu » de polémiquer, des fumées « qui ont eu lieu » lors de l’incendie de Notre-Dame », de quelqu’un « qui est légitime à gouverner » – pour ne donner que quelques échantillons. Beaucoup considèrent gravement qu’il faut « concerter » avant de prendre une décision, sans compter ceux qui commémorent allégrement les anniversaires. L’administration est elle-même grande consommatrice de fautes de français : elle nous demande très souvent, par exemple, de « renseigner un formulaire », voire, le summum, de « renseigner des informations ».
Pour terminer, un rappel, comme une friandise. Najat Vallaud-Belkacem, en 2015, parlait déjà du harcèlement, des enseignants et d’un clip qui « les aura suffisamment interpellés pour que demain ils interrogent leur professionnalité… Les enseignants sont demandeurs de savoir réagir. » Sans rire, elle était… ministre de l’Education nationale.
Autrefois, on s’amusait des erreurs repérées dans les discours de nos dirigeants, dans les articles de presse. Aujourd’hui, on remarque ceux qui en sont exempts. Si « la langue française est un ciment », Emmanuel Macron et ses troupes ont bien contribué, comme leurs prédécesseurs, à l’avoir rendu très friable.
PS : Qui saura restituer à chaque citation précise son auteur sera, sans nul doute, digne de diriger un stage à la Cité internationale de la langue française.
27 commentaires
Je vous suis félicite pour ce billet, traitant avec humour la tragédie de la fin d’une langue et la complicité de nos « premiers cordée ».
Merci ! J’espère quand même que ce n’est pas la fin de notre langue. Quand on ne comprendra plus ce que les uns et les autres ont voulu dire, notamment dans des domaines où la signification des mots est importante, il faudra bien réagir. Cela prendra probablement du temps car la clé, c’est l’école et les « professeurs des écoles » ne sont plus très bien formés. Ceux et celles qui autrefois sortaient de l’école normale d’instituteurs étaient des aigles en comparaison !
Macron l’OPPORTUNISTE, ce n’est pas nouveau ! N’a-t’on pas baptisé d' »opportunistes » les affections qui frappaient les organismes immunodéprimés au plus fort de la pandémie du SIDA ? Ce qualificatif a d’ailleurs subsisté en médecine tant il concerne une réalité pathologique vérifiée. Alors, en sciences sociales, c’est également approprié dès lors que le corps social est fragilisé. Ne l’est-il pas depuis les décadences de tous ordres qu’il subit ? Et en sciences politiques, l’OPPORTUNISME devient une stratégie de conquête ou de maintien au pouvoir.
Corine Saint-Blancat, alias IconoClash-
Caricaturiste, auteur de « La République du Dindon »- Jus de Pitre et Chairs de Poules
Merci pour votre pertinent commentaire. Belle époque pour les caricaturistes… !
Madame Deandreis,
Je vous remercie pour votre article qui décrit parfaitement mes pensées sur notre environnement devenu toxique par ces « néologismes » d’apparat.
J’ai d’ailleurs repris la définition de ce nom masculin et le deuxième sens donné par le dictionnaire Larousse est parfaitement la description du mal de notre société.
En effet:
« 2. Mot créé par le malade mental par déformation de phonèmes, substitution, etc. (Les néologismes renvoient au diagnostic de psychose ou d’aphasie sensorielle.) »
Amusant ! On devrait toujours consulter les dictionnaires de référence, c’est un excellent réflexe. Merci de nous avoir signalé cette définition peu connue. Je me souviens que Patrick Poivre-d’Arvor, il y a bien longtemps, avait signalé à une dame insistant pour qu’on lui donne le titre de rectrice (d’université) de préférence au masculin recteur, que la rectrice était la plume du croupion des oiseaux…
Bel article, je me suis régalé. Un mot et une expression m’irritent au plus haut point, relevés très justement par l’auteur : « problématique », dont les professeurs de philosophie (on attendrait pourtant qu’ils soient vigilants) usent et abusent pour expliquer comment construire une dissertation, « porter un projet », dont usent et abusent pour leur part les politiques.
Merci ! On pourrait tellement allonger la liste des néologismes, barbarismes, incongruités, dans la la manière dont s’expriment nos politiques… mais si c’est amusant au début, cela devient vite un peu triste. Et vous avez raison, comme pour les journalistes et les enseignants, manier correctement la langue fait partie – devrait faire partie – de leur métier.
Je ne donne pas 5 ans avant que ce « machin au dessus des lois » ne soit dirigé part un ennemi de la langue française. De là, tous les « woke » et autres cuistres linguistiques pourront démolir tout effort législatif, telle que la tentative sénatoriale en cours. Bien à l’abri de cette contrainte « contre révolutionnaire » qu’est le suffrage universel.
Ça va devenir un « camp retranché de l’extrême gauche », comme l’a été (et l’est largement encore) l’éducation nationale (truffée d' »enseignants qui n’enseignent pas », mais qui n’en sont pas moins les mieux payés).
Et tout ça parce qu’un quelconque conseiller en communication a fait « gober » à Macron la possibilité de « gratter » quelques points dans des sondages qui ne lui serviront à rien, faute d’être éligible…
Merci pour votre réaction. Elle est très pessimiste, mais peut-être pas irréaliste ! Il faut cependant garder espoir : la langue, c’est quelque chose de fort, qui évolue bien sûr, mais il faudrait être un peu plus subtil que des cuistres pour la démolir.
Hélas, les exemples cités dans votre article ne constituent qu’un échantillon. Si vous parlez ANGLAIS utilisez donc cette langue pour poursuivre une conversation avec un interlocuteur truffant ses phrases d’anglicismes. Grosse rigolade à la clef : il ne tardera pas à vous demander de vous exprime…en Français car, comme la majorité des Français, il ne parle pas ANGLAIS (non plus que d’autres langues). Si seulement il maîtrisait les fondamentaux ! Ces millions gaspillés pour un show qui n’intéressait pas grand monde (hormis certains médias) constituent un scandale. Un de plus pour un pays qui vit à crédit.
Avec un certificat d’étude, nos parents et grand parents savaient lire, écrire et compter. Les INSTITUTEURS (Maîtres et/ou Maîtresses) aujourd’hui pompeusement affublés du titre de professeurs des écoles étaient respectés. On ne leur demandait pas de jouer les assistantes sociales dans un monde d’assisté mais DE TRANSMETTRE DES CONNAISSANCES. Le soir on faisait « des devoirs ».
Les titres ronflants de diplômes sans valeur ne cachent pas la misère de générations incapables de maîtriser la langue de leur pays. En dépit d’investissements colossaux on assiste à un délabrement de notre « éducation nationale » . Les enseignants se plaignent à juste titre du temps passé en tâches administratives, réunions, au détriment de l »ENSEIGNEMENT, ce pour quoi ils ont été formés.
Combien d’enseignants figurant dans les effectifs de l’éducation nationale sont employés dans des officines ou services à l’origine de cette débâcle ? Qu’attend-on pour les supprimer et remettre les enseignants dans des classes d’élèves ?
En effet, il n’y a là que des échantillons… C’est déjà assez triste et ce que vous dites est plus fort qu’une opinion, c’est un constat objectif. Merci pour votre commentaire.
Magnifique article !
Ce que vous décrivez, Madame, correspond exactement à ce que je constate chaque jour. Notamment « en situation de handicap » me hérisse le poil, ayant un enfant handicapé. Pourquoi cette périphrase ? Mais ce qui me hérisse encore plus le poil (me fait friser les ongles des orteils comme disent les Allemands) ce sont ces termes pseudo anglais pour désigner des « métiers » ou des actions commerciales. Il y avait des secrétaires, des comptables, des ouvriers, des entreprises, des marchés, des banques, des emprunts, des crédits, des bilans voire des faillites, etc. Où sont-ils ?
Encore merci pour ce très beau texte.
Faire friser les ongles des orteils, ça n’est pas mal ! Ces périphrases absurdes et presque vexantes sont en effet insupportables à beaucoup de gens, mais peu osent le dire. Quant à l’anglais… oui, c’est urticant. Il y a toujours eu des échanges entre nos deux langues, mais souvent justifiés. Et il est vrai qu’ils atteignent maintenant des sommets d’indigence. Merci pour ce commentaire, il est réconfortant.
Un régal, merci Madame !
Et merci à vous de nous le dire !
… mais, au moins, s’ils avaient du bon sens, s’ils étaient bons en sciences, math et technique, mais non ils sont nul en tout, sauf en manipulation des cerveaux !
La Cité Internationale de la langue française aura sans nul doute un président, un vice président, un secrétaire général, général adjoint, sous-secrétaire, etc. rémunérés tous modérément à 12 ou 15000€ mensuels avec logement de fonction, voiture de fonction, etc. Ça ne servira juste qu’à caser quelques coquins, pardon copains, non réélus pour même pas un million d’euro mensuels. Une misère. Et puis, comme disait Hollandouille, ça ne coûte rien, c’est l’État qui paye…
C’est très probablement le seul objectif de cette affaire.
Bonnes remarques, merci à vous ! Nous nous tiendrons au courant.
Parfois je me demande si vous n’êtes pas trop pessimiste.
Mais aussitôt je pense à ces affreux anglicismes de nos chers hommes politiques et journalistes, qui parlent de « régulation » (anglais : regulation) au lieu de « réglementation » et disent « définitivement » (anglais : definitely) au lieu de « véritablement ».
Le roi de « régulation » : Thierry Breton, notre cher commissaire européen au marché intérieur, qui veut tout « réguler ».
C’est juste un constat, et la liste des bourdes linguistiques de nos politique pourrait être encore beaucoup plus longue ! Nous ne sommes pas vraiment pessimistes : des anglicismes resteront certes, mais il y en a eu beaucoup d’autres, dont nous nous servons couramment sans plus y penser – et il y aura probablement un écrémage. On peut espérer que la formation des enseignants s’améliorera, les choses étant allées très loin dans le laxisme, et par conséquent le niveau général. Merci en tout cas pour votre commentaire.
« réguler » existe en français, et ne signifie pas « réglementer ». On peut « réguler » la vitesse de rotation d’un turbo-réacteur, mas si on se contente de « réglementer », on va retrouver des bouts d’ailettes plantés dans tout l’aéroport…
On peut faire les deux : la tension sur les prises EDF est « réglementée » mais des régulateurs (pas sortis de l’ena) font ce qu’ils peuvent pour la « réguler ». Comme je l’expliquait (ailleurs), un de ces 4 matins, ils n’y parviendront plus, et les « brâmeurs de réglements » n’auront que leurs yeux pour pleurer ».
On a également réglementé l’entrée des étrangers en France. Réglementé, mais pas régulé. Nos fonctionnaires et politiciens « chéris », qui ne savent pas que la différence existe, ont développé toute une stratégie garantissant leur irresponsabilité.
Thierry Breton, qui n’est pas un a-technique, lui, sait que la différence existe ! (il n’a peut-être pas joué avec des turbo-réacteurs, mais il a certainement eu un TP « régulation d’un alternateur » ou quelque chose de ce genre). Peut-être l’a-t-il oublié ? En tout cas, il est « chaperonné » par un troupeau de bureaucrates a-technique, qui n’ont jamais su ce genre de chose.
En matière de traduction défectueuse, la plus emblématique à mon avis, c’est l’utilisation ad nauseam du terme « digital »,
qui, en français, se rapporte aux doigts (« finger » en anglais, quant « digit » signifie « chiffre »). Le « digital », c’est ce qui se rapporte à l’usage des doigts. L’activité des proctologues ou des pickpockets : voila qui résume bien l’action gouvernementale, pas vrai ? Et comme le dit la sagesse populaire, « c’est toujours nous qu’on l’a dans le… ».
Beau texte.
Le « déblocage » (de millions ou de milliards) aurait mérité d’y figurer.
Merci pour votre commentaire. Le sujet n’est pas épuisé…
En fait ce n’est qu’un Bidule de plus pour caser les « copains coquins ». J’entends que tout le monde s’en prend aux politiciens professionnels, et ils n’ont pas tort. Par contre, je n’entends personne s’en prendre aux enseignants politiciens professionnels comme les syndicats, les agents de l’éducation nationale, comme les soi-disants chercheurs-enseignants, comme la cohorte des haut-fonctionnaires en place, attendant en souriant les politiques, plus préoccupés par leur carrière que pourr l’enseignement, pour leur expliquer qu’ils ne comprennent rien et ne sont que de passage, et bien sûr les diverses associations plutôt plus que moins politisées. N’oublions pas les ignares soi-disant « intellectuels » qui nous disent qu’il est interdit d’interdire (?), ou des premier-ministres qui décident qu’un élève a le droit de contester un professeur… le comble de l’idiotie politique. En résumé, l’enseignement en France est une chasse gardée de la fonction publique, intouchable et inamovible, où le citoyen n’a que le droit de payer les impôts et ferme sa grande gu…. Vie et mort de la démocratie.
À corriger :
//Si « la langue française est un ciment », Emmanuel Macron et ses troupes ont bien contribué, comme leurs prédécesseurs, à l’avoir rendu très friable.//
*renduE