Jean-Eric Schoettl a été un grand magistrat : conseiller d’Etat, il a été secrétaire général du Conseil constitutionnel de 1997 à 2007. Dans son livre « La démocratie au péril des prétoires, de l’état de droit au gouvernement des juges » (Gallimard), il a montré que de nombreux jugements sont rendus par des juges qui ne se contentent pas d’appliquer la loi, mais qui la réécrivent suivant leur idéologie. Voici quelques extraits de tels jugements.
Des juges définissent la politique climatique…
- « Il est enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre […]avant le 31 mars 2022. » (commune de Grande Synthe ; Conseil d’Etat (CE ; 1/7/21)
- « Il est enjoint à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 […] La Première ministre communiquera au Conseil d’Etat tous éléments utiles de nature à justifier des mesures supplémentaires adoptées pour exécuter la décision du 1er juillet 2021 et à permettre leur évaluation, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024. » (CE ; 10/5/23)
- « Le règlement (UE) du 19 avril 2023 porte l’objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre assigné à la France de – 37 % à – 47,5 % pour la période 2005-2030. Ces nouveaux objectifs vont rapidement devoir être déclinés par les autorités françaises […] Le ministre met en avant le soutien financier apporté aux filières d’énergies renouvelables, à travers 30 milliards d’euros d’aides entre 2021 et 2026 […] Le haut conseil pour le climat relève un retard dans le déploiement des infrastructures nécessaires au développement des voitures électriques ou hybrides et le caractère insuffisamment ciblé des aides sur les ménages à faible revenus [….] Si le gouvernement fait valoir que ces mesures permettront d’atteindre les objectifs de réduction des émissions, l’évaluation prospective qu’il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées […] La décision (du Conseil d’Etat) du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. » (CE; 4/8/21).
- « L’Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète des décisions du Conseil d’Etat des 12 juillet 2017 et 10 juillet […] l’Etat devra verser la somme de 100 000 euros à l’association Les amis de la Terre et 1,1 million d’euros à des associations de surveillance de la qualité de l’air. » (CE; 4/8/21).
… la politique sociale
- « Les conditions du marché du travail […] obligent à différer l’application d’un décret sur les allocations-chômage. » [entérinant un accord professionnel] (CE; 22/6/21)
- « Le fichier d’identité biométrique portant sur la quasi-totalité de la population française et comportant les données requises pour la délivrance du passeport français et de la carte nationale d’identité […] eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur de ce traitement, est contraire à la Constitution. » (Conseil constitutionnel (CC) ; 22/3/12)
- [Pour les militaires] « l’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte atteinte à l’essence même de la liberté d’association. » (Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ; 2/10/14)
… la politique sanitaire
- « L’article 9 [de la loi du 26/7/21 sur la gestion de la crise sanitaire] crée une mesure de placement en isolement applicable de plein droit aux personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19 […] Cette mesure privative de liberté n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. » (CC ; 5/8/21)
- « Réduire le nombre de salariés présents de manière simultanée de telle sorte qu’il ne dépasse pas 100 salariés par entrepôt et ce sous astreinte de 1 181 000 euros par jour et par infraction, à compter de 24 heures. » (Arrêt Amazon ; tribunal judiciaire de Nanterre ; 14/4/20)
… la politique migratoire
« La fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national […]. L’aide apportée à l’étranger pour sa circulation n’est pas illicite. Dès lors l’article de la loi « réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière » est contraire à la Constitution. » (CC ; 6/7/18).
… la politique pénale
- « Les articles de la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine » [personnes présentant « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive »)]sont contraires à la Constitution. » (CC; 7/8/20).
- « Les réquisitions du procureur de la République ne sauraient autoriser […] la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace. » (CC; 24/1/17)
- L’article 41 de la « Loi pour une sécurité globale préservant les libertés » a autorisé le placement sous vidéosurveillance d’une personne en garde à vue « dès lors qu’il existe des motifs raisonnables de penser qu’elle pourrait tenter de s’évader ou qu’elle représenterait une menace. »… Or la durée d’une garde à vue peut atteindre six jours. Cet article est donc contraire à la Constitution (CC; 20/5/21)
- « L’interdiction de porter le voile dans une entreprise privée commerciale, même limitée aux contacts avec la clientèle, constitue une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté religieuse. » (Cour de cassation; 22/11/17)
- La loi anti-casseurs qui permet au préfet de police d’interdire de manifester à un individu ayant participé à des manifestations au cours desquelles ont eu lieu des violences « laisse à l’autorité administrative une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction. » (CC; 4/4/19)
- « Le délai [que le Conseil constitutionnel accorde au Parlement], durant lequel les règles en vigueur [sur la garde à vue] continuent à s’appliquer, doit permettre au Parlement de choisir les modifications de la procédure pénale de nature à remédier à l’inconstitutionnalité constatée. » (CC;30/7/20)
- « L’article 1 de la loi demandant aux hébergeurs ou aux éditeurs d’un service de communication en ligne de retirer certains contenus à caractère terroriste notifiés par l’autorité dans le délai d’une heure est contraire à la Constitution. » (CC;18/6/20)
… les traités
« Le juge administratif […] ne saurait exercer un contrôle sur la conformité au droit de l’Union des décisions de la Cour de justice. » [de l’Union européenne] (CE; 21/4/21)
6 commentaires
Les juges en grande partie aux ordres? Évident depuis longtemps. Démonstration éclatante ces jours ci.
Quand on en arrive là il n’y a plus qu’ à élire les juges…!
C’est peut être une façon d’adapter le droit français au droit supranational qui lui est supérieur (cf article 55 de la constitution) ! Et ce malgré le fait que cet article soit en contradiction avec celui qui le précède, qui dispose que le peuple français est souverain. Alors qu’actuellement les lois qui lui sont appliquées relèvent de la souveraineté de tous les peuples européen associés ou plus précisément de leurs représentants politiques ; ce qui n’était pas prévu !
En tous cas ces exemples sont des sujets de prédilection et relèvent des compétences de l’ue. Lesquelles devraient bientôt s’élargir avec les résolution de l’AN et du parlement européen des 29 et 22 novembre et l’usine à gazs pourrait même devenir une nation selon un ancien fonctionnaire qui a néanmoins admis que l’ue est en quelques sorte ruinée.
A force de laisser détricoter le droit et perdurer des infractions constitutionnelles des dizaines d’années durant, on en arrive nécessairement à une forme d’anarchie bien imagée par le jeu de la barbichette.
Au sujet des soldats, ils n’ont même pas le droit à un avocat/conseiller dans leurs éventuels litiges avec leur hiérarchie et cette inconstitutionnalité semble trop bien ancrée ; alors un syndicat (une armée dans l’armée) n’y pensez pas.
Bien à vous
Les juges ne sont pas chargés d’écrire la loi mais de l’appliquer ! A chacun son métier et les vaches seront bien gardées. Le problème est que l’UE décide de tout, modifie tout. Un jour les pays européens se rebelleront contre ces fonctionnaires, déjà, certains ne se laissent pas faire, ceux qui ont des dirigeants capables de résister.
Ca n’a strictement rien à voir avec l’UE ! C’est français ! Bien français !
En effet. Nous avons une constitution inconstitutionnelle quant à la hiérarchie des normes ce qui laisse libre court à tous les errements de novembre du parlement européen et de l’assemblée 49.3 qui témoigne de son inutilité.
Le peuple n’a jamais abandonné la primauté du droit national.
Bien à vous