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Comment l’Éducation nationale favorise l’embourgeoisement et le séparatisme social

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Dans un article publié le 11 septembre, le journal Mediapart présente deux études publiées l’une par Pierre Merle, l’autre par Stéphane Bonnéry, tous deux sociologues, dans La Pensée, une revue créée par des membres du Parti communiste français. Ils font le constat suivant : la ségrégation sociale a été accentuée ces dernières décennies entre les élèves scolarisés dans le privé sous contrat, issus en moyenne de classes aisées, et les élèves scolarisés dans le public, majoritairement issus de classes populaires. Pour eux, ce serait le résultat des politiques qui favorisent le privé au détriment du public : l’offre du privé serait « largement imposée » aux familles.

D’après Stéphane Bonnéry, « les gouvernements successifs, un peu plus, un peu moins, ont quand même largement aidé le camp du privé depuis vingt-cinq ans. » Il note que l’emploi enseignant payé par l’État a diminué dans le primaire et dans le secondaire entre 1998 et 2022. Résultat, l’école publique a perdu plus de 56 000 postes en 25 ans, contre seulement 3 800 dans le privé sous contrat. En parallèle, l’école publique a perdu 200 000 élèves ; le privé sous contrat en a gagné plus de 100 000. Voici comment M. Bonnéry l’explique : « Le privé a instrumentalisé la pression démographique liée au babyboom de l’an 2000, sa crue et sa décrue, ainsi que la crise économique, pour faire pencher la balance en sa faveur ». Qu’en est-il exactement ?

Si l’école privée a du succès, ce n’est pas sans raisons

Il y a une première chose que les sociologues ne disent pas : l’école privée sous contrat permet justement à l’État d’économiser près de 9,5 milliards d’euros, alors même que l’Éducation nationale est le deuxième budget le plus important (plus de 86 milliards d’euros en 2024) et que le coût moyen d’un élève scolarisé, tous niveaux confondus, est au-dessus de la moyenne de l’OCDE (13 050 équivalents dollars vs 11 990 en 2019). Dans le second degré, un élève coûte en moyenne 5 544 euros dans le privé et 10 409 euros dans le public. Les économies pourraient être encore plus grandes si l’État n’imposait pas un quota de 20 % d’élèves maximum dans le privé sous contrat par rapport au public – une pénurie organisée.

Dans son étude, M. Bonnéry admet clairement que l’offre de l’enseignement privé est plus concurrentielle ; qu’elle permet d’allonger la prise en charge d’un élève dans la semaine ; qu’une partie des familles y a recours dès l’entrée au collège par crainte de mauvaises conditions  ailleurs. Les changements démographiques n’expliquent pas la perte de vitesse des écoles publiques. L’école privée n’a rien instrumentalisé à proprement parler ; elle n’a fait que répondre à une demande croissante des enseignants, soucieux de travailler dans un meilleur cadre, et des parents d’élèves, soucieux d’offrir le meilleur enseignement scolaire à leurs enfants.

Les vocations se raréfient dans l’enseignement public

Ce que les sociologues ne disent pas non plus, c’est que la baisse des recrutements dans le public est aussi liée à la chute vertigineuse du nombre de candidats depuis deux décennies, de moins en moins séduits par le système centralisé de l’Éducation nationale.

En 2004, ils étaient 38 110 à s’être présentés au concours externe du CAPES (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire) ; 21 372 en 2014 ; et 11 405 en 2024 – soit une chute de 70 % en 20 ans. Les enseignants se plaignent régulièrement des classes surchargées, des élèves de plus en plus difficiles à gérer (baisse de niveau, problèmes de concentration, etc.), d’une faible perspective d’évolution au cours de leur carrière. Ainsi que d’une rémunération inférieure à celle de bien d’autres pays : les chiffres de l’OCDE montrent que les salaires annuels dans les établissements publics ne progressent quasiment pas après 10 ou 15 années d’expérience comparés, en parité de pouvoir d’achat, à ceux du Luxembourg, des Pays-Bas ou des États-Unis, entre autres exemples.

Le niveau des diplômes a plongé 

L’Éducation nationale a ainsi été contrainte de revoir à la baisse les exigences des concours et d’organiser des entretiens d’embauche express de personnes n’ayant aucune formation ni aucune compétence à priori pour enseigner. À partir de 2025, l’examen du CAPES sera accessible aux possesseurs d’une simple licence, et non plus d’un master (avec le phénomène croissant de massification des diplômes et donc de baisse de niveau, il faut imaginer ce que représente celui de la licence aujourd’hui). Le CAPES, un diplôme autrefois difficile à décrocher, n’a plus rien à voir avec celui d’il y a 30 ans, dans aucune discipline. Rémi Chautard, enseignant agrégé de mathématiques, se désole : « En réalité, je suis affolé. Je me demande comment on peut avoir d’aussi faibles attentes pour nos professeurs de maths ». Le dernier rapport du jury est édifiant : orthographe souvent mal maîtrisée, phrases laconiques dépourvues de raisonnements mathématiques, usage abusif de symboles en lieu et place de mots, etc. Romain Vignest, enseignant et président de l’Association des professeurs de lettres, est lui aussi dubitatif. Il constate que la réforme du concours en 2022 visait à évaluer « la conformité du candidat avec le dogme pédagogique prescrit par l’Éducation nationale » plutôt que sa maîtrise de la littérature et de la langue française…

L’obsession égalitariste est une machine à renforcer des inégalités

Dans l’autre étude à laquelle nous faisons référence, Pierre Merle, s’appuyant sur des statistiques ministérielles du recrutement social des établissements publics et privés, montre une évolution constante dans chacune des deux sphères : les collèges publics pauvres sont de plus en plus pauvres, les collèges publics moyens sont « encore plus resserrés sur les moyens », et les collèges privés sont encore plus favorisés. L’école française fait partie des plus inégalitaires en Europe avec un écart d’équité de 86,3 points (la différence de compétences entre le quart des élèves les plus défavorisés et le quart des élèves les plus favorisés), juste devant la Roumanie (131,8 points), la Hongrie (121,1 points) et la Belgique (116,9 points).

C’est tout le drame de l’Éducation nationale : à force de vouloir mettre tout le monde au même niveau, l’État accentue les inégalités sociales entre ceux qui ont les moyens de combler les failles du système (enseignement privé, cours particuliers…), et ceux qui ne le peuvent pas. Ce n’est pas que les gouvernements successifs aient favorisé le privé, c’est qu’ils ont contribué à dégrader le niveau scolaire dans son ensemble, souvent au nom de la lutte contre les inégalités. La réforme 2015 de l’enseignement au collège, adoptée par la socialiste Najat Vallaud-Belkacem, en est la preuve : réduction du volume d’heures d’enseignement du latin et du grec, suppression des classes bilingues et européennes au motif qu’elles seraient « élitistes », et création d’« enseignements complémentaires » qui incluent notamment des cours de transition écologique et de développement durable… alors que déjà depuis un certain temps, la nécessité de renforcer les savoirs de base se faisait fortement sentir et aurait dû être prioritaire.

Pierre Merle ne remet aucunement en cause la gestion centralisée de l’éducation en France. Pourtant il relève, à juste titre, que les politiques aggravent la situation qu’elles disent vouloir redresser – un mécanisme typique de l’interventionnisme étatique. La technocratie fait ce qu’elle peut pour masquer la chute du niveau scolaire. Chaque année, les autorités semblent davantage soucieuses de faire correspondre les notes des examens nationaux à des objectifs statistiques en rehaussant le barème de notation, plutôt que de rendre compte du niveau réel des élèves (et de l’améliorer en conséquence). Au lycée, les réformes successives du baccalauréat, notamment celle de 2018, ont affaibli l’enseignement des fondamentaux comme les mathématiques, ce qui a provoqué de vives réactions au sein des milieux éducatifs, scientifiques et économiques. La disparition des mathématiques du tronc commun en classe de première ne pouvait qu’aggraver la baisse de niveau en sciences. Le gouvernement a donc été contraint de faire machine arrière.

 « Tout le monde devrait pouvoir faire des études » : une profession de mauvaise foi

Les sociologues ont raison sur un point : à force de politiques favorisant le privé (ou plutôt, dégradant la qualité de l’enseignement dans le public), le nombre d’inscrits dans l’enseignement supérieur privé a dépassé celui du public pour la première fois en 2023. Ils se trompent toutefois dans leurs conclusions. Ce n’est pas une politique de mixité sociale qui va seule améliorer le niveau des élèves ou réduire les « inégalités ». Si le niveau de l’enseignement et des élèves se dégrade depuis des décennies, ce n’est pas parce que « l’idéologie anti-service public » anime l’esprit de l’Éducation nationale. C’est au contraire parce que l’on considère l’école comme un « service public », et que sa gestion est centralisée, aux mains de l’État.

En France, ne nous méprenons pas, les écoles privées sous contrat restent elles aussi sous le joug de l’État et souffrent des mêmes maux que les écoles publiques. Elles sont cependant un peu moins atteintes, l’enseignement y est en général de meilleure qualité et elles sont devenues une option privilégiée par tous ceux qui peuvent les choisir de préférence à un système éducatif défaillant qui manque de concurrence.

L’école publique d’antan était plus sélective et méritocratique. On ne partait pas du principe que tout le monde pouvait faire des études. En 1967, le taux de réussite du baccalauréat était de 61,7 %, dont 32 % de mentions (contre respectivement 96,1 % et 58 % en 2024). L’objectif des socialistes d’atteindre 80 % de bacheliers au sein de la population française a été atteint, mais à quel prix ?

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3 commentaires

Virgile 26 septembre 2024 - 1:10

La Pensée? Comme si un militant gauchiste pensait? Ils ne font qu’ânonner leur dogme sans l’ombre d’une réflexion. Alors qu’ils endoctrinent les élèves avec leurs inepties ils osent prétendrent qu’ils sont embourgeoisés? Malgré les multiples échecs de leur socialisme qui a lamentablement échoué partout ils s’obstinent encore à le promouvoir. On ne peut être plus stupide!

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CARTEREAU 26 septembre 2024 - 3:42

C’est l’éducation nationale qui n’est pas au niveau!!!!! De toute façon, elle ne pense qu’à une seule chose, fabriquer des ZOMBIS !!!! Lavage de cerveau et bourrage de crâne, le reste ils ont n’ont rien à faire !!!! Au contraire, si les élèves sont trop évolués, ils risquent de réfléchir, donc DANGER !!!!

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Mathieu Réau 26 septembre 2024 - 3:43

L’école publique d’antan était plus sélective et méritocratique, rappelez-vous à juste titre.
Pourtant, elle était tout autant entre les mains d’un État centralisateur, preuve que le modèle n’est pas mauvais en soi et que la privatisation que vous promouvez à demi-mot n’est pas l’unique et plus efficace solution.
Seulement il est grand temps de nettoyer les écuries d’Augias, c’est certain.

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