Cet article de Jacques Garello , administrateur de l’IREF, publié dans le quotidien La Tribune du 27 décembre , est une réponse à un autre article d’Alain Madelin qui défend le passage à un système de retraites par points.
J’ai lu avec intérêt l’article d’Alain Madelin dans La Tribune du 29 novembre dernier, qui reprend le thème majeur du livre qu’il a écrit avec Jacques Bichot prônant la retraite par points et, pour être plus précis, la technique des comptes notionnels.
Je lui reconnais une grande lucidité dans l’analyse des insuffisances de la réforme qui vient d’être adoptée et qui devra être remise en chantier très vite, puisqu’elle ne règle rien. Non seulement elle a été trop modeste et prudente par rapport aux déficits actuels et futurs, mais surtout elle s’inscrit toujours dans la logique de la répartition, qui est nécessairement explosive dans un pays vieillissant, avec toujours plus de retraités et toujours moins de cotisants.
Sur ce point, je suis en plein accord avec Alain Madelin : nous ne pouvons nous contenter de quelques arrangements paramétriques, nous avons besoin d’une réforme systémique.
Le système de substitution, ou d’accompagnement du système actuel de répartition, est cherché par Alain Madelin et Jacques Bichot du côté de la réforme par points. A juste titre ils constatent que l’idée fait son chemin, et Alain Madelin se félicite de voir la CFDT, mais aussi Jacques Attali, Thomas Piketty voire le Parti Socialiste rejoindre un projet qu’il a lancé dès 2004. Alain Madelin rappelle aussi qu’aujourd’hui il existe des éléments de système par points avec les complémentaires (AGIRC, ARRCO). Enfin il est fait référence aux mesures prises par certains pays, notamment la Suède. Pour autant la transition envisagée est-elle la bonne ?
Elle a un point positif : la possibilité offerte aux futurs retraités de pouvoir capitaliser des points, soit en achetant des points soit en prolongeant leur période de cotisation ; on s’achemine ainsi vers une retraite à la carte, personnalisée et responsable. La retraite est choisie, et non plus subie.
Mais tous les autres points sont négatifs à mes yeux, et depuis 1995 je n’ai jamais réussi à convaincre Alain Madelin que la retraite par points est une tromperie, et qu’elle distrait l’attention de ce qu’est la véritable transition : vers la capitalisation financière.
La tromperie est visible, il n’est qu’à relire ce passage de l’article de La Tribune (29 novembre) : « La valeur d’un point serait déterminée en fonction des recettes des caisses. Seul l’argent disponible serait distribué ». C’est clair, et c’est dramatique : le retraité ne connaîtra le montant de ses droits que le jour de son départ, et il ne touchera que l’argent disponible. Il aurait été plus simple de dire : on ne peut rien vous dire sur votre retraite, on fera pour le mieux, vous aurez ce qui restera dans la caisse. Les points accumulés s’assimilent ainsi à des haricots. Sans doute certains auront-ils plus de haricots que les autres, mais ce ne seront que des haricots à valeur inconnue. Cette façon de traiter le problème est propre à tous les systèmes appelés en langage savant « à cotisations données » : on sait ce que le cotisant doit verser, mais on ne sait pas le bénéfice qu’il en tirera. Par contraste un système « à bénéfices donnés » engage l’assureur sur un montant donné de retraites (ou au moins sur un minimum).
La véritable transition, telle que je l’ai décrite avec précision dans les trois tomes de l’ouvrage écrit avec Georges Lane (« Futur des retraites et retraites du futur », 2008-2009), consiste à capitaliser non pas des points mais de l’argent. Ce qui veut dire que les cotisations sont versées à un fonds de capitalisation qui va gérer l’argent, le faire fructifier sur dix, vingt ou quarante ans, chaque futur retraité disposant d’un compte personnel (qu’il peut d’ailleurs abonder au-delà des cotisations versées) dont il connaîtra sans cesse la position et le montant des retraites qu’il lui garantira le jour venu. Le seul aménagement technique délicat est de gérer la transition de la répartition vers la capitalisation, car il n’est pas question de faire perdre de l’argent à ceux qui aujourd’hui sont engagés (malgré eux) dans le système actuel : on va continuer à honorer les droits acquis (ce que ne fera pas la Sécurité Sociale) et peu à peu on va éponger cette dette sociale. Ici des choix peuvent être faits entre une liquidation rapide (25 ans) du système par répartition ou par une lente extinction (pouvant aller jusqu’à 91 ans).
Ce défi peut être facilement relevé, comme le prouvent les expériences vécues au Chili, en Australie et pour une grande partie (50 % des retraités) en Angleterre. Et la capitalisation est à l’œuvre, au moins partiellement, dans plus de vingt pays (étudiés dans notre ouvrage). Pourquoi ce succès ? D’une part la capitalisation est d’un rapport spectaculaire (placée à 4% l’an une somme double de valeur en 14 ans et triple en 22 ans), d’autre part l’argent placé est mis à la disposition de l’économie, injecté dans l’investissement, et va accélérer la croissance alors que dans la retraite par points, comme dans la répartition, l’argent sort du tiroir caisse aussi vite qu’il y est entré.
Je ne comprends donc pas l’ignorance volontaire d’une telle possibilité, ni le repliement sur un projet purement factice. Alain Madelin dénonce à juste titre le modèle Madoff sur lequel est fondée la répartition, pourquoi ne pas faire la moindre allusion à la vraie capitalisation? Il ne faut pas s’attarder aux fausses transitions. L’ouverture à la capitalisation signifie tout à la fois la redécouverte de l’épargne, de l’effort personnel, de la responsabilité personnelle : le pays a grand besoin de cette pédagogie. Vivement cette autre réforme, la vraie !