Jean-François Revel est mort il y a cinq ans. Plus que jamais, ses articles et ses livres nous manquent. Sa façon de défendre le libéralisme était unique. La preuve. Un grand malentendu concernant le libéralisme repose sur la croyance que celui-ci serait, comme le socialisme, une idéologie (c’est un piège dans lequel tombent aussi de nombreux défenseurs du libéralisme).
Rien de plus faux, soutient Revel, car le libéralisme n’a jamais eu l’ambition d’édifier la société parfaite (Hayek disait que l’une des qualités d’un libéral est celle de reconnaître le premier lorsqu’il se trompe). Il (le libéralisme) repose, depuis ses origines, sur l’idée de  » benchmarking « , en comparant les sociétés et en essayant de savoir pourquoi certaines marchent mieux que d’autres. Ses éléments de comparaison sont les chiffres et les statistiques et non pas les discours et les promesses, ses repères ne sont pas tirés de la fiction mais de la réalité, sa réussite dépend de l’individu et non pas d’une quelconque entité bureaucratique. Comme le capitalisme et contrairement au socialisme et au communisme, le libéralisme a la capacité de se réformer et de corriger ses défauts. Ce n’est pas un égarement, ni une utopie, et il n’a pas la prétention de fournir des recettes miracle. Il ne s’appuie que sur l’expérience. C’est peut-être la raison pour laquelle ses adversaires écartent tout dialogue (le plus souvent, il s’agit d’un monologue) sur le terrain des faits et des résultats et préfèrent le situer dans les hautes sphères de l’idéologie. Car on n’évalue jamais une idéologie. Accuser le libéralisme de tous les maux revient aussi à dire que le communisme n’était pas si mauvais que ça, que les gens se portaient plutôt bien sous ce régime et qu’ils avaient l’assurance d’un travail et d’un revenu.
« Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, j’entends n’est pas une théorie se fondant sur des concepts antérieurs à toute expérience, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action. Ce n’est qu’un ensemble d’observations, portant sur des faits qui se sont déjà produits. Les idées générales qui en découlent constituent non pas une doctrine globale et définitive, aspirant à devenir le moule de la totalité du réel, mais une série d’hypothèses interprétatives concernant des événements qui se sont effectivement déroulés. Adam Smith, en entreprenant d’écrire La Richesse des nations constate que certains pays sont plus riches que d’autres. Il s’efforce de repérer, dans leur économie, les traits et les méthodes qui peuvent expliquer cet enrichissement supérieur, pour tenter d’en extraire des indications recommandables. L’économie de marché, fondée sur la liberté d’entreprendre et le capitalisme démocratique, un capitalisme privé, dissocié du pouvoir politique mais associé à l’état de droit, cette économie-là seule peut se réclamer du libéralisme. Et c’est celle qui est en train de se mettre en place dans le monde, souvent à l’insu même des hommes qui la consolident et l’élargissent chaque jour. Ce n’est pas que ce soit la meilleure ni la pire. C’est qu’il n’y en a pas d’autre – sinon dans l’imagination. » (La Grande parade)
Jean-François Revel était celui qui voyait ce que les autres ne voyaient pas. L’académicien radiographiait l’actualité avec la minutie d’un grand médecin à la recherche du moindre signe de dysfonctionnement, à l’aide d’une plume alerte et talentueuse, d’un flair prodigieux de la réalité et d’une capacité d’analyse singulière. Grâce à une grande capacité de vulgarisation et s’appuyant sur des faits, il fut l’un des plus efficaces défenseurs du libéralisme.