L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) vient de publier une enquête qui révèle que les collégiens et lycéens sont de moins en moins nombreux à fumer. En 2018, 21,2% des collégiens et 60,1% des élèves de terminales avaient expérimenté le tabac. En 2022, ils n’étaient plus que 11,4% (collégiens) et 38,5% (terminales). Ces baisses significatives sont une bonne nouvelle. Sans doute sont-elles le résultat de la politique de prévention menée auprès des mineurs ces dernières années. L’augmentation continue du prix des cigarettes y est probablement aussi pour quelque chose, les jeunes étant particulièrement sensibles aux prix.
Toutefois, cette même politique n’a aucun effet chez les adultes comme le montre notre rapport intitulé « État des lieux du tabagisme en France et comparaisons internationales 2022-2023 » .
Aujourd’hui, environ 15 millions de Français fument, dont 12 millions quotidiennement. La prévalence tabagique chez les adultes de 18 à 75 ans était de 30% en 2000. Elle est de 24,5% aujourd’hui.
Les adultes les moins aisés fument davantage qu’il y a vingt ans
Dans les catégories les moins aisées de la population, les fumeurs sont même plus nombreux aujourd’hui qu’en 2000. Chez les personnes appartenant au tercile de la population ayant le plus faible revenu, la prévalence tabagique était de 31,4% en 2000 et de 33,6% en 2022. Chez les chômeurs, elle est passée de 40,7% en 2000 à 42,3% en 2022.
Il semble donc que la politique de hausse du prix des cigarettes n’ait pas du tout dissuadé de fumer les catégories de la population censées être les plus sensibles aux prix.
Il faut dire que ceux qui veulent fumer pour « pas cher » ont facilement accès aux marchés parallèles. Le dernier rapport de KPMG sur le sujet n’estime-t-il pas à 40% la consommation de cigarettes provenant du marché parallèle ? La chute de 26% des ventes chez les buralistes entre 2017 et 2022, alors que la proportion de fumeurs ne baissait que de 9% prouve que les consommateurs ont trouvé d’autres sources d’approvisionnement. Pouvoir acheter un paquet de cigarettes environ 5€ au marché noir est une aubaine pour les gros consommateurs, surtout en période d’inflation élevée. C’est ainsi que la France, selon le rapport KPMG, représente, à elle seule, 47% des volumes illégaux de cigarettes de toute l’Union européenne.
Des taxes en hausse de 71% en vingt ans
Manifestement la politique d’augmentation continue des taxes sur le tabac a atteint ses limites en matière d’incidence sur les fumeurs adultes. Rappelons qu’entre 2000 et 2022, le prix du paquet de cigarettes a augmenté de 228%, une hausse essentiellement due à l’augmentation des taxes. Celles-ci étaient, en 2000, de 316% sur le prix hors taxes. Elles étaient de 541% en 2022. Elles ont donc augmenté de près de 71% en 22 ans avec les résultats mitigés que nous avons vus précédemment.
Sources : Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) ; Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France.
Peut-être serait-il opportun de réfléchir à de nouvelles approches pour réduire le tabagisme ? Ce n’est pas l’option prise par le Gouvernement. Le nouveau plan national de lutte contre le tabagisme (PNLT 2023-2027), présenté en novembre 2023, prévoit des mesures dans la stricte continuité des plans précédents (hausse de taxes, extension du paquet neutre). Par ailleurs, il ajuste à la baisse l’objectif de réduction de la prévalence tabagique. Celui-ci n’est plus que de 20%, alors qu’il était de 16% dans le PNLT 2018-2022.
N’est-ce pas finalement reconnaître que la politique menée depuis 20 ans est inefficace ? Pourquoi, dans ces conditions, ne pas s’inspirer de ce font les pays les plus performants en matière de lutte contre le tabagisme ?
Les pays les plus avancés dans la réduction du tabagisme ne misent pas tout sur les taxes
Entre 2000 et 2022, certains pays ont réussi à faire baisser drastiquement la prévalence du tabagisme quotidien. C’est le cas de la Norvège (-78%), de la Nouvelle-Zélande (-68%), du Royaume-Uni (-53%), de la Suède (-49%) où la consommation d’alternatives a largement remplacé celle de la cigarette. L’Australie (-43%), l’Allemagne (-40%), l’Espagne (-38%) et le Japon (-38%) obtiennent aussi des résultats significatifs.
La France se singularise par une baisse de 18% seulement. Alors qu’elle affichait en 2000 la quatrième plus importante prévalence parmi les pays sélectionnés, elle se retrouve, en 2022, avec la prévalence la plus forte. La Grèce, la Norvège et l’Espagne qui, en 2000, connaissaient une prévalence tabagique plus importante que la France, ont su, en une grosse vingtaine d’années, la réduire fortement et laissent désormais notre pays à la traîne.
Les trois pays qui ont une prévalence tabagique inférieure à 10% ont une politique fiscale sur le tabac très différente. Un salarié fumant un paquet de cigarettes par jour et gagnant le salaire moyen doit consacrer 12,21% de son salaire à payer les taxes sur les cigarettes en Nouvelle-Zélande. En Norvège, c’est 6,29% ; et en Suède 3,32%. La France (6,31%) taxe les cigarettes à peu près au même niveau que la Norvège. Pourtant, la prévalence tabagique y est 3,6 fois plus élevée chez nous.
Là encore, il semble que l’efficacité de la lutte contre le tabagisme ne dépende pas essentiellement de la taxation appliquée au tabac.
Parmi les pays qui ont le mieux réussi à faire baisser la prévalence tabagique, beaucoup sont ouverts à l’utilisation, voire promeuvent, des alternatives à la cigarette. Ainsi observe-t-on une pénétration importante du snus et des sachets de nicotine en Suède et en Norvège ; de la cigarette électronique au Royaume-Uni ; du tabac à chauffer au Japon et en Italie.
Quant à la Nouvelle-Zélande, elle a décidé d’arrêter les hausses de prix car cette stratégie a surtout pesé sur les plus modestes qui sont ceux qui consomment le plus, et de favoriser la migration des fumeurs adultes vers la cigarette électronique et le tabac à chauffer.
Source OCDE et calculs IREF.
La France gagnerait à s’inspirer des pays qui favorisent la transition vers les alternatives à la cigarette
Si la France suit la tendance observée entre 2000 et 2022, période au cours de laquelle la prévalence tabagique quotidienne a baissé de 18,33% (passant de 30% à 24,5%) sous l’effet de mesures (paquet neutre, « Mois sans tabac », meilleur remboursement des substituts nicotiniques…) qui ne peuvent être reproduites à l’infini, elle devra attendre l’année 2200 pour parvenir à un taux de prévalence d’environ 5%.
Rien que pour atteindre un niveau de prévalence proche de celui que connaissent, en 2022, la Suède (9,70%) ou l’Australie (11,20%), il faudrait attendre l’année 2110 !
Si, au contraire, la France suivait l’évolution de la consommation au Royaume-Uni, qui a baissé de 48% entre 2004 et 2021, elle atteindrait un niveau de prévalence de 12,8% en 2039. Si l’on prolonge encore la courbe, l’éradication du tabagisme pourrait être atteint en 2050.
Ce scénario est réalisable à la condition que la France s’inspire de la politique britannique. Par exemple : décentraliser la lutte contre la tabagisme pour mener des actions mieux ciblées ; établir des partenariats entre structures publiques, secteur privé et associatif ; mobiliser les médecins généralistes dans la lutte contre le tabagisme ; alimenter une base de données sur la lutte anti-tabac et les alternatives à la cigarette ; développer de nouvelles approches pour encourager les consommateurs de tabac qui ne parviennent pas à arrêter de fumer à passer à des sources de nicotine moins nocives (cigarette électronique, tabac à chauffer). Une des dernières initiatives du gouvernement britannique est l’opération « swap to stop » qui propose à un million de fumeurs d’échanger des cigarettes contre des vapoteuses.