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Le monde de demain. Comprendre les conséquences planétaires de l’onde de choc ukrainienne

Pierre Servent

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Officier de réserve, enseignant à l’Ecole de guerre, spécialiste défense et géopolitique, Pierre Servent est l’auteur de nombreux ouvrages. Depuis l’invasion de l’Ukraine, il commente et analyse les événements sur le terrain presque tous les jours sur LCI. Son dernier essai nous aide à comprendre les conséquences de la tragédie ukrainienne mais aussi ses causes, réelles ou imaginaires. Avec l’accord des Editions Robert Laffont, nous vous proposons quelques extraits dont ceux consacrés au mythe d’une Russie qui aurait été isolée et persécutée par l’Occident. Un mythe que Poutine a ressorti en février 2022 lorsqu’il a attaqué l’Ukraine.

« Poutine renoue avec la barbarie du XXe siècle, plongeant l’Europe dans un monde qu’elle croyait avoir remisé pour toujours dans les placards de l’Histoire. Fruit de deux guerres mondiales (plus de quarante millions de morts), le « plus jamais cela ! » a volé en éclats sous le fracas des missiles et des chars russes. Consubstantiel au régime russe, le mensonge enveloppe en outre cette « opération militaire spéciale ». Naviguant dans une réalité parallèle, le Kremlin veut faire croire que cela ressemble à une guerre, que cela a le goût d’une guerre… mais que ce n’est pas une guerre. Bernard Lecompte, dans son remarquable livre sur le KGB (Perrin), rappelle que le surnom de la Russie soviétique, dans l’entre-deux-guerres, était : « Le pays du grand mensonge »

Avancer masqué sous les traits de la « victime »

Ces différentes thématiques ont été développées depuis des années avec comme point focal le souhait de l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN, qui serait un casus belli pour Moscou. L’Alliance atlantique serait en train d’« encercler » la Russie en absorbant progressivement les anciens pays membres du pacte de Varsovie (l’alliance militaire du bloc de l’Est à l’époque soviétique). Kiev serait le nouveau pion en date de cette volonté hégémonique de l’Ouest. Qu’importe le fait qu’aucune alliance ne puisse encercler ce pays immense. Qu’importe que les États-Unis aient largement tourné le dos à l’Europe pour porter leur attention vers l’Asie. Qu’importe que la véritable motivation de Kiev ait été la même que celle de ses camarades d’Europe centrale et orientale : se protéger d’un envahisseur traditionnel en se mettant à l’abri sous le parapluie de l’OTAN (les Polonais, les Baltes, les Tchèques, les Slovaques, les Roumains, les Bulgares, les Albanais s’en félicitent grandement aujourd’hui, en voyant le sort de la malheureuse Ukraine). Qu’importe que Français et Allemands, soucieux de ne pas froisser ladite Russie, aient décidé de conserve de bloquer, depuis 2008, toute perspective d’adhésion de Kiev et de Tbilissi (Géorgie) à l’OTAN. L’important pour le Kremlin, depuis une dizaine d’années, a été de construire un discours victimaire pour mieux avancer masqué. Nostalgique de la grandeur impériale russe et soviétique, Poutine a toujours caressé des rêves de restauration et de grandeur prédatrice. Comme on l’a vu, il est convaincu que seuls les hommes forts peuvent diriger une Fédération de Russie aussi immense et aussi composite avec ses vingt et une républiques, ses neuf territoires administratifs (kraïs), ses quarante-six régions administratives (oblasts), ses arrondissements autonomes (okrougs), ses deux villes fédérales (Moscou et Saint-Pétersbourg) et sa région autonome (…)

Pour clore la liste des « humiliations » faites à la Russie, il faut en citer une qui est éternellement ruminée par les agitateurs pro-russes : en 1990, lors des négociations sur le retour à l’unité allemande, les Américains auraient promis oralement aux Soviétiques de ne pas élargir l’OTAN. Outre le fait qu’en matière diplomatique les engagements oraux n’ont pas de valeur, cette histoire est fausse. Pour une raison très simple : c’est qu’en 1990 le pacte de Varsovie et l’Union soviétique existaient toujours et que l’idée d’un élargissement de l’OTAN aurait été une vue de l’esprit. Cette perspective, impensable alors, n’a donc jamais été évoquée. En revanche, il est vrai que l’ancienne République démocratique allemande (RDA), une fois rattachée à sa sœur occidentale (la RFA), ne devait pas comprendre de forces et d’armements nucléaires de l’OTAN. Or ce fut fait. La faute à qui ? Sans aucun doute au souffle de l’effondrement complet de l’URSS, quelques mois plus tard. Les paroles « verbales » se sont envolées devant la nouvelle dynamique ainsi provoquée par ce vide spectaculaire. Après l’effondrement de l’empire colonial soviétique, les pays d’Europe centrale et de l’Est, enfin libérés, ont rejoint leur famille européenne après des décennies de captivité. Ils voulaient alors farouchement deux choses : entrer dans l’Union européenne et rejoindre l’OTAN pour la protection de son article 5 (un pour tous, tous pour un), car tous ces pays avaient encore dans leur chair et dans leur mémoire les humiliations en nombre imposées par l’ours russe. La révolution ukrainienne de Maïdan (2014) était notamment destinée à éviter un retour en arrière, du type back to the URSS… Fondamentalement il s’agissait d’un rejet farouche, tout particulièrement de la jeunesse, à l’égard d’un glissement furtif vers la Russie et ses valeurs autocratiques et primitives (…)

La Russie, persona grata

À y regarder de plus près, la balance entre humiliation et bonnes grâces faites à Moscou penche très nettement du côté du second item. Au regard des faits, et non des fantasmes, la Russie peut difficilement se positionner en victime. Sans pouvoir être exhaustif – tant la liste des seconds est longue – citons quelques données factuelles incontestables. Grâce aux pressions diplomatiques américaines, la Russie est entrée dans le Fonds monétaire international et dans la Banque mondiale (1992), obtenant dans la foulée des dizaines de milliards de dollars de prêts. En 1994, avec l’appui des Américains et des Britanniques, elle signe le « mémorandum de Budapest » : les armes nucléaires de l’Ukraine et de la Biélorussie rejoignent le territoire russe en échange de la reconnaissance du caractère inviolable des frontières de ces pays… La Fédération de Russie a rejoint le G7 en 1998, qui devient alors le G8 (il regroupe les puissances les plus industrialisées de la planète, or ce n’est pas le cas de la Russie dont l’industrie ne répond pas à ce critère d’excellence). Lors de la crise financière et économique (2008), Moscou bénéficie également d’un soutien constant des autorités européennes de Bruxelles. Quant aux relations avec l’Alliance atlantique (OTAN), elles sont restées au beau fixe pendant longtemps. Un partenariat Fédération de Russie-OTAN a été mis en place dès 1991, dans le cadre du partenariat euro-atlantique. En 1994, la Russie a adhéré au programme du Partenariat pour la paix de l’OTAN : les deux entités ont signé plusieurs accords de coopération importants. Selon le propre témoignage de Vladimir Poutine, qui ne se sentait alors pas humilié, Moscou, en 2000, aurait proposé au président Bill Clinton de rejoindre l’OTAN. Le président américain ne se serait pas montré fermé à cette idée. On peut penser que les anciens dominions de l’URSS, alors membres de l’OTAN, n’ont pas envisagé cette perspective avec le même esprit serein. Faire entrer le loup dans la bergerie ne leur a pas semblé une perspective heureuse. Elle a donc avorté. La saga Russie-OTAN a été encore riche de nombreux événements montrant que loin d’être humiliée, la Russie a été honorée : créé en 2002, le conseil Russie-OTAN a travaillé en bonne harmonie sur les questions de sécurité. Les accords de désarmement (notamment nucléaires) se sont multipliés. La coopération s’est développée : lutte contre le terrorisme, exercices militaires communs, coopération en Afghanistan, y compris pour le transport via l’espace aérien russe du fret et des soldats de la Force internationale d’assistance et de sécurité1 (FIAS), action commune contre la production locale de pavot, coopération industrielle, etc. En 2010, les présidents français et russes, Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine, publiaient un communiqué commun : la France fournirait à la Russie deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral. À l’époque, l’auteur de ce livre avait relevé le fait que la marine française était très réticente à un tel transfert de technologie vers un régime autoritaire ayant déjà envahi la Tchétchénie et la Géorgie. Après la première invasion de l’Ukraine et l’annexion de la Crimée, l’OTAN a décidé à l’unanimité de suspendre la coopération avec la Fédération de Russie. Le président François Hollande a pris, quant à lui, la sage décision d’annuler la vente des Mistral1 à Moscou (hué par le Front national, la France insoumise et quelques pseudo-« gaullistes »).

Dialogue de sourds

Pourtant, les ponts n’ont pas été rompus. En février 2017, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avait déclaré souhaiter la reprise de la coopération militaire avec l’OTAN. Toujours cette même année, le président français, Emmanuel Macron, invitait le président russe à Versailles, en majesté, pour une grande exposition consacrée à Pierre le Grand. Encore prince, il avait été boudé par Louis XIV lors de son séjour en France. Connaissant la passion de Vladimir Poutine pour ce tsar conquérant, le jeune président français entendait, en quelque sorte, réparer l’humiliation dont le futur Pierre Ier avait été victime. Le Français pensait également magnifier ainsi la figure d’un tsar connu pour avoir été fasciné jadis par les valeurs de l’Europe. Mais ce n’est pas cette facette de son lointain prédécesseur que Vladimir Ier semble avoir retenue, lors de la visite de cette exposition, mais plutôt… sa funeste propension à envahir ses voisins. Deux ans plus tard, au grand dam des démocraties du flanc oriental très inquiètes des bruits de bottes russes, Emmanuel Macron invitait son homologue russe dans un cadre plus intime, au fort de Brégançon, l’une des résidences secondaires des présidents de la République. Le chef d’État français enfonçait donc le clou : pas question de perdre le Russe alors que le tempétueux Trump commençait à donner des sueurs froides aux plus atlantistes des membres de l’UE. Ce faisant, la France, en solo, imprimait à sa politique étrangère une orientation inquiétante. Sûr de sa vision et de son charisme très jupitérien lors de la traditionnelle conférence des ambassadeurs (août 2019), Emmanuel Macron tançait les récalcitrants du Quai d’Orsay : « Je sais que beaucoup d’entre vous se sont formés dans la défiance envers la Russie […]. En général, sur ce sujet, on écoute le président et on fait comme d’habitude. Je ne saurais que vous conseiller de ne pas suivre cette voie. » … sous-entendu, vous avez intérêt à respecter strictement mes directives en la matière. La volonté française de relancer le dialogue avec Moscou s’est soldée par un échec retentissant (comme les tentatives de médiation de l’Élysée, avant le 24 février 2022)… »

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3 commentaires

Picot 24 juin 2023 - 12:28

Un peu à l’avenant tout ça. Cela fait 15 ans que les Russes préviennent que l’OTAN en Ukraine serait un casus belli. Officiellement elle n’y est pas, officieusement c’est plus que douteux d’après que que l’on peut entendre ici ou là des gens qui sont sur place. Et remarquons bien que Zelinsky demande l’adhésion en ce moment. Le Maïdan un rejet farouche des jeunes Ukrainiens de la Russie ??? Et bien voyons. Les US n’y sont pour rien ?? Sûr, sûr, sûr? Le Président Hollande a pris la sage décision de ne pas vendre les Mistral à la Russie. Est ce qu’il n’aurait pas plutôt obéi aux USA par hasard? On le saura peut être un jour. J’ai mal lu ou il n’y a rien dans cet article sur les accords de Minsk? Une phase importante. Quant au narratif sur Macron, tentant de renouer le dialogue avec Moscou tout en vendant des canons à l’Ukraine, il ne tient pas debout. Etc…

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Nicolas Lecaussin 24 juin 2023 - 3:08

Sincèrement, vous ne voyez toujours pas que c’est la Russie de Poutine ????

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Gilles Vedun 24 juin 2023 - 12:42

Dialogues de sourds et ou de menteurs qui ne respectent pas les traités ou les référendums.. difficile de s’exprimer objectivement !?

Bien à vous

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