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« Le cens de l’État. Comprendre la crise du politique par la modernité fiscale », de Hubert Etienne

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Il s’agit bien évidemment d’un jeu de mot. Le « cens » – c’est-à-dire, selon les acceptions, la redevance due annuellement par les roturiers au seigneur du fief, ou le montant de l’impôt que doit payer un individu pour être électeur ou éligible sous certains régimes politiques (régime censitaire) – renvoyant au « sens » que peut encore avoir pour le contribuable, comme l’écrit Hubert Etienne, une fiscalité devenue « un ogre dont l’appétit vorace se satisfait de toute sorte de revenus, capitaux ou flux de consommation comme de leur absence ».

Ce nouvel opus de la collection « Penseurs de la liberté » dirigée par Alain Laurent aux éditions des Belles Lettres, a pour ambition de « retracer les grands axes de développement de la doctrine fiscale moderne afin de mettre en évidence les lignes de force qui ont dirigé cette évolution depuis la Révolution, et de dresser un état des lieux des perspectives actuelles qui se proposent d’offrir à la théorie fiscale des chantiers de renouveau inédits ».

« Le fisc est le véritable souverain de la société moderne » (Kantorowicz)

Une tâche que l’auteur tente de mener à bien en un peu plus de 200 pages (hors annexes). Dans la première partie, H. Etienne met en exergue la rupture introduite par la Révolution française qui fait des sujets des hommes libres qui consentent librement à l’impôt. Mais, la Révolution a été, au fil du temps, oubliée et, aujourd’hui, notre société ressemble étonnamment, par bien des côtés, à celle de l’Ancien Régime : négation de la propriété privée, fiscalité abusive dont on ne peut échapper, logique vorace qui tend à tout taxer (et à le cacher). Bref, selon l’auteur, « C’est par l’impôt que le corps du roi se serait transmis à la République ».

Dans la deuxième partie, H. Etienne continue à s’en prendre à la Révolution de 1789 qui « a posé sur la modernité un projet de société rationnel répondant à une organisation scientifique ». Le résultat de ce « triomphe du rationalisme » est l’émergence d’une nouvelle classe politique, une distanciation entre le pouvoir et le peuple, la « rupture du rituel fiscal » et la naissance d’un « homo œconomicus fantasmé ».

Il y aurait bien des choses à dire sur ces deux premières subdivisions de l’ouvrage loin d’être inintéressantes, notamment quand l’auteur se penche sur les dernières innovations fiscales, de l’ISF/IFI au prélèvement à la source (qui interdit désormais toute grève des contribuables), ou sur l’augmentation des non-imposables sur le revenu et son corollaire, la progressivité exponentielle des prélèvements.

Mais concentrons-nous sur la troisième partie qui constitue, si l’on peut dire, le cœur du propos d’Hubert Etienne. Celle-ci s’attache, en effet, à présenter « les principales théories actuellement défendues en matière d’innovation fiscale ».

Sortir de l’aporie fiscale

Pour l’auteur, la modernité a vidé l’impôt de sa substance. Il est, par conséquent, urgent de refonder les bases d’une fiscalité postmoderne. Il distingue deux projets à même de redonner du sens à l’impôt : le revenu de base universel et le don démocratique.

Etienne présente les différentes variantes du revenu de base, du simple aménagement du système des minima sociaux à l’allocation universelle d’une société affranchie du travail, pour en montrer les limites. Il se demande aussi s’il est « éthiquement justifiable du point de vue de la justice d’attribuer une allocation universelle inconditionnelle (AUI) à un individu sur le seul critère de sa présence sur le territoire national ». Quel que soit le bout par lequel on aborde la question, l’AUI, dans sa version intégriste, a un coût faramineux, et, affirme l’auteur, dans la mesure où elle repose sur les plus aisés à qui cette allocation ne serait pas versée, illustre bien les limites d’un égalitarisme « injustement liberticide pour certains et particulièrement dangereux pour tous ».

Reste donc le don démocratique. Pour Hubert Etienne, l’impôt est complètement déconsidéré de nos jours, mais étant nécessaire à l’État, il est urgent de lui trouver une nouvelle légitimation. Il propose donc, à la suite de Peter Sloterdijk, de le remplacer par cette forme de fiscalité volontaire qu’est le don démocratique. L’idée de Sloterdijk, émise originellement dans un article en 2009, consiste à introduire une part de volontariat dans le paiement des impôts, afin de changer le rapport du citoyen à l’État, et notamment à la fiscalité, aujourd’hui vécue comme une brimade alors qu’elle devrait être une contribution à la vie de la communauté.

Hubert Etienne ne trouve que des avantages à cette proposition. Elle permettrait, selon lui, d’éviter l’émigration des classes moyennes supérieures (qui ne sont pas loin de céder aux sirènes de l’exil comme l’ont déjà fait les plus aisés) ; de pacifier et responsabiliser les rapports entre le citoyen et l’État ; de faire des économies dans le recouvrement de l’impôt ; d’obtenir un consentement véritable à l’impôt ; de réduire fortement les disparités de fortune ; et de renforcer la cohésion nationale « par l’expression d’une fraternité exigeante ainsi qu’une justice fiscale et sociale inespérée – chacun donnant ce qu’il pense devoir donner et en retirant autant de bonheur sinon plus ».

On pourrait discuter chacun de ces points, mais avant tout une question taraude le lecteur : comment faire ? H. Etienne ne nie pas que « Dans la configuration actuelle de la société, l’introduction soudaine d’un impôt sous forme de don démocratique serait inévitablement vouée à l’échec ». La réussite du projet nécessite préalablement « que la société change l’homme pour que l’homme change la société ».

« Vaste programme ! », aurait dit le général de Gaulle, qui implique « d’éduquer les citoyens pour réintroduire l’honneur dans la société » ; de proposer à la « classe bourgeoise » (sic) une « élévation par-delà elle-même vers l’expérience d’un nouveau mode d’existence, plus fier et plus digne, dont le critère d’accès serait l’utilité sociale » ; d’instaurer un « acte public de dépossession ostentatoire » pour que le don soit réalisé au vu et au su de tous. Ainsi, le don démocratique légitimerait l’accumulation du capital tout en lui assignant une « finalité morale bénéfique autant pour l’individu que pour la société ». De même le ressentiment des plus démunis envers les plus aisés serait, nous explique H. Etienne, désactivé.

Une idée inaboutie

Supposons – même si Hubert Etienne ne nous en donne pas la recette – que l’on arrive à changer l’homme et à convaincre les citoyens des qualités du don démocratique, quelles seraient les modalités pratiques de celui-ci ? Pas plus que Sloterdijk, Etienne ne propose de « schéma applicatif ».

On aurait également aimé qu’il réponde aux questions que de nombreux lecteurs doivent se poser comme : ne faut-il pas, préalablement, baisser la fiscalité pour permettre aux très riches, sur qui reposent le projet, d’exister (car contrairement à ce que professe la gauche, ils ne sont pas si nombreux en France aujourd’hui) ? Ceux-ci accepteront-ils de donner à l’État des sommes considérables sans avoir d’exigences sur leur destination ? N’est-il pas préférable de favoriser le don libre à des associations, fondations et autres œuvres en tout genre (comme Bill Gates, par exemple, qui, à travers sa fondation, cherche à améliorer les conditions de vie et la santé des populations afin de les aider à s’extraire de l’extrême pauvreté) plutôt qu’un don à un État qui aura tôt fait de le gaspiller ? Etc.

Autant dire que nous sommes restés, sur le plan des modalités pratiques en tout cas, sur notre faim ! Mais si la théorie disruptive, comme on dit aujourd’hui, du don démocratique reste sans mode d’emploi, c’est peut-être tout simplement parce que celui n’existe pas, comme en témoigne les échecs des expérimentations passées.

Finalement, cette utopie d’une fiscalité volontaire n’a-t-elle pas pour seule vocation, comme l’écrit H. Etienne, de susciter « une réflexion de fond, ouverte et transparente » sur les fondements théoriques de l’impôt, « afin que l’histoire fiscale de la France s’inscrive à la lumière de place publique plutôt qu’à l’ombre des boudoirs ministériels » ? Nous ne pouvons que le souhaiter.

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