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La liberté est une science

Journal des libertés, été 2024

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« En Utopie, au contraire, où tout appartient à tous, personne ne peut manquer de rien, une fois que les greniers publics sont remplis. Car la fortune de l’État n’est jamais injustement distribuée en ce pays ; l’on n’y voit ni pauvre ni mendiant, et quoique personne n’ait rien à soi, cependant tout le monde est riche. »
Thomas More, L’Utopie, (1516)

 

J’emprunte le titre de cet avant-propos à une citation d’Alfred Jourdan, reprise dans l’article que Jean-Pierre Centi consacre au tout récent ouvrage de Jean-Yves Naudet : La liberté est une science, et nous avons plus que jamais besoin de ses enseignements car les temps sont durs.

Les temps sont durs non pas tant d’un point de vue économique, car nos sociétés bénéficient encore, Dieu merci ! de la découverte faite par nos ancêtres d’une merveilleuse machine à créer de la richesse : le système de propriété qui permet la coopération marchande et non-marchande dans le respect de l’autre.

Il me semble que c’est avant tout d’un point de vue politique que les temps sont difficiles, en France comme malheureusement dans bien d’autres pays. En France, les résultats des dernières élections européennes le confirment : les partis traditionnels, que ce soit à droite, au centre ou à gauche, continuent à perdre du terrain au profit de « nouvelles » offres politiques qui souvent ne sont que de vieilles lunes habillées d’une rhétorique mise au goût du jour.

Quiconque a pris la peine de lire les différents programmes et s’y entend un tant soit peu en économie redoute évidemment les conséquences économiques de ces choix politiques. Il semble que ces nouvelles offres s’acharnent à détruire la merveilleuse machine à créer de la prospérité que nous avons encore. Le travail de destruction avait certes déjà commencé – ainsi que nous l’avons expliqué dans nos précédents dossiers – ; les nouvelles forces politiques voudraient à présent l’accélérer. Protectionnisme, interdictions et réglementations en tous genres avec, pour philosophie générale,  le « toujours plus d’État » pour précipiter l’avènement d’un monde meilleur dans lequel nous travaillerons moins, nos pouvoirs d’achat seront enfin honorables, les services publics plus nombreux et de bien meilleure qualité, les conflits armés n’auront plus lieu d’être et nous vivrons tous dans une parfaite harmonie. C’est tout du moins ce que l’on voudrait nous faire croire. C’est, à vrai dire, le retour de l’utopie socialiste – merci Thomas More ! – dans une version très répressive. Des rudiments de culture économique, ou simplement un peu de bon sens, suffisent à comprendre que cela ne peut marcher. « Si les socialistes connaissaient l’économie », remarquait fort justement Hayek, « ils ne seraient pas socialistes ». Le problème est justement qu’ils ne savent pas…

Le manque de culture économique n’est cependant peut-être pas la chose la plus déplorable dans ces temps difficiles que nous traversons. Il y a un mal, selon moi plus profond, que révèle l’attrait constaté dans les urnes pour ces programmes économiques fantasques. Si nos concitoyens rejettent le libéralisme c’est certes parce qu’ils n’entendent rien à l’économie, mais c’est aussi parce qu’ils n’ont tout simplement pas compris ce qu’est le libéralisme et ce qu’il leur apporte. Alfred Jourdan, à l’instar de tous les vrais libéraux, avait bien saisi que : « la liberté est une science, dont le Droit et l’Économie politique recherchent et formulent les principes. » En d’autres termes, la liberté – et par extension le libéralisme – ne peut pas s’entendre d’un point de vue simplement économique. C’est avant tout une proposition politique qui touche au Droit et à la répartition des pouvoirs au sein de nos sociétés, et ces différentes dimensions de la liberté ne peuvent être dissociées.

Pour tenter, en vain, de réaliser leur utopie économique, ces nouvelles offres politiques n’hésitent pas à imposer une nouvelle conception du Droit et à redistribuer les pouvoirs – dans le sens de l’accroissement des pouvoir coercitifs de l’État. C’est donc bien plus que le marché et nos finances publiques qui sont en danger. Ce sont les piliers sur lesquels s’est construite une société, plus prospère et plus paisible que tout ce que l’on avait connu par le passé, que l’on remet en cause : les droits individuelles, la tolérance bien comprise, le respect d’autrui… Oui, c’est bien cela le plus attristant : croyant se préparer des jours meilleurs, celles et ceux que ces nouvelles offres séduisent, non seulement s’éloignent de la bonne gestion des problèmes économiques ; ils en oublient surtout les principes qui nous ont si bien servis dans un passé récent.

Ce diagnostic est détaillé dans plusieurs contributions de ce numéro du Journal des Libertés. Je pense en particulier à celle de Nils Karlson sur le populisme, ou encore à celles de Jean-Pierre Chamoux et de Jean-Philippe Delsol sur l’attitude des libéraux face à la guerre.

Dresser un diagnostic correct n’est que la première étape pour se préparer des jours meilleurs mais une étape essentielle car elle permet de mettre au point des stratégies adaptées. Je partage pleinement l’opinion de Nils Karlson qui appelle à une approche polycentrique : nous avons besoin d’économistes, de juristes, de philosophes, d’historiens, de sociologues, mais aussi de cinéastes, d’écrivains, de bloggeurs, et pourquoi pas d’influenceurs. Nous avons aussi besoin bien entendu d’engagement politique.

Si nous voulons être entendus, nous avons enfin besoin d’être à l’écoute – cela est d’ailleurs indispensable pour dresser un bon diagnostic. Nils Karlson remarque à juste titre :

Il ne suffit pas pour les libéraux de faire appel aux intérêts, ils doivent aussi faire appel à l’identité des gens. Il est nécessaire de formuler et de promouvoir une politique libérale de reconnaissance et de respect.

Pour notre part nous continuerons – avec les outils qui sont les nôtres : ce Journal des Libertés, l’École du libéralisme, l’organisation de manifestations telles que l’Université d’été qui se réunit ces jours prochains à Aix-en-Provence – à enseigner et, pourquoi pas, à faire avancer « la science de la liberté ». Une science exigeante, exaltante, mais aussi des plus utiles.

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