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Protection sociale : une lente marche vers l’abîme financier

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Alors que le COR (Conseil d’orientation des retraites) s’apprête à publier son rapport annuel (sortie prévue pour le 13 juin), son président, l’économiste Gilbert Cette, a jeté un pavé dans la mare. Il a présenté début avril une note préparatoire qui dévoile l’ampleur du déficit caché, de l’ordre de 123,7 Mds€ l’année dernière, du système de retraite dans son ensemble (236 Mds€ de cotisations pour 361 Mds€ de dépenses comblées en partie par des taxes affectées et une sur-cotisation de l’État pour ses agents). L’IREF en avait d’ailleurs parlé.

Gilbert Cette, réputé proche du pouvoir, compte bien, semble-t-il, rompre avec le ton assez ronflant des rapports du COR qui permettaient surtout à chacun d’y voir ce qu’il voulait bien y voir en continuant à mettre la poussière sous le tapis.

En début, d’année, soit près d’un an après la réforme des retraites, c’était le HCFIPS (Haut Conseil pour le financement de la protection sociale) qui avait brossé un tableau assez sombre du système entier de protection sociale, c’est-à-dire de ses quatre branches : sécurité sociale, des régimes complémentaires et spéciaux de retraites ainsi que de l’assurance chômage.

Le HCFIPS résume de manière assez lapidaire la situation dramatique des finances sociales : « Il n’y a pas de perspective documentée à ce stade de retour à l’équilibre des comptes. Le PLFSS ne traduit aucune stratégie en la matière ».

Les branches vieillesse et maladie vont tirer les comptes dans le rouge sans espoir de redressement

Sur la base des chiffres officiels présentés en loi de financement de la sécurité sociale, les deux principaux canards boiteux de la sécurité sociale sont les branches maladie et retraite, qui plomberont encore largement les comptes d’ici 2027. Entre 2023 et 2027, le solde de l’assurance maladie demeure négatif dans une fourchette comprise entre -8,5 et -9 Mds€, l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie) s’établissant à une moyenne annuelle de + 2,9 %, c’est-à-dire à un niveau supérieur à celui qui a été observé entre 2010 et 2019 (+ 2,3 %). Le déficit des retraites de base, attendu à 11,1 Mds€ cette année, devrait continuer à se creuser pour atteindre 17,2 Mds€ en 2027.

Deuxième problème, la situation catastrophique de la CRNACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), dont le déficit (d’ailleurs non inclus dans celui des régimes de base) devrait dépasser 10 Mds€ dans les dix ans à venir. Conséquence majeure, la dette sociale continue de croître dangereusement et devrait passer au-dessus de la barre des 180 Mds€ dès 2033. La Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale), dont la survie a été prolongée jusqu’à cette date, devrait donc voir sa disparition reportée aux calendes grecques.

Les seules méthodes envisagées par le Gouvernement, pour l’heure, sont d’augmenter les franchises médicales et de se servir directement dans le budget d’organismes qui ne lui appartiennent pas, comme AGIRC-ARRCO ou l’Unédic, et sont gérés par les partenaires sociaux, attaquant la confiance qui les relie à leurs cotisants ; et empêchant en outre l’Unédic d’éponger la totalité de sa dette.

La confusion des comptes

En réalité, les chiffres eux-mêmes sont illisibles car les régimes sociaux de la sécurité sociale, tout comme ceux qui sont financés en partie par les collectivités territoriales, font l’objet d’un méli-mélo de financements croisés dans tous les sens qui en brouille la compréhension et rendent plus difficile une remise en ordre financière.

En 2022, ainsi que le démontre Jean-Pascal Beaufret[1], les concours directs des administrations centrales représentaient 65Md€ pour les retraites (sans compter les impôts et taxes affectés et divers autres concours). Si la Caisse des allocations familiales, la CNAF, ne finançait pas chaque année d’importants déficits dans les autres branches de la Sécurité sociale, elle serait en excédent de 12Md€. La branche maladie, la CNAM, apparaît en déficit de 21 Md€, mais on devrait lui décompter les transferts (11 Md€) qu’elle opère pour le compte de l’Etat aux agences régionales de santé ou à Santé publique France…

En réalité nos cotisations maladie ou retraite servent à tout et n’importe quoi. De plus en plus, le système est financé par de fausses cotisations qui devraient être assimilées à des impôts sociaux. Ce sont d’ailleurs des prélèvements obligatoires. Ainsi les financements des régimes sociaux manquent-ils totalement de transparence et deviennent-ils de plus en plus difficiles à réformer.

Les données utilisées pour les prévisions sous-évaluent l’ampleur des déficits

Depuis les années quatre-vingt-dix, les grandes crises, la récession de 1993, la crise financière de 2008 et plus récemment la pandémie de Covid-19, ont amené l’État à effectuer des emprunts qu’il ne rembourse pas une fois le calme retrouvé, moyennant quoi la dette s’est accumulée et atteint, selon les derniers chiffres de l’INSEE, 110,6 % du PIB pour 2023. En retenant le scénario de la loi de programmation des finances publiques pour 2023 à 2027, votée l’année dernière et largement écornée par les prévisions fantaisistes de déficit 2023, la dette publique française devrait baisser de 2,7 points de PIB d’ici 2027, un chiffre très en deçà de celui que proposent nos partenaires européens comme le Portugal, l’Espagne et même l’Italie (-18,3 , – 6,4 et – 4 points de PIB).

Le chiffre de la croissance 2024 retenu pour le calcul du déficit, 1,4 %, est, comme celui de l’année dernière, vraisemblablement fallacieux. La Banque de France retient plutôt celui de 0,9 %, notre économie s’ancrant, pour les années suivantes, dans une croissance molle à 1,5 et 1,7 %. Notons également que les prévisions intègrent 6 Mds€ d’économies qui, selon le HCFIPS, « restent à documenter »…

En somme, malgré des efforts désespérés pour le sauver, le régime de retraite par répartition, et singulièrement les régimes de base, fait eau de toute part. On peut se demander si le Gouvernement fera une nouvelle réforme des retraites d’ici 2027 ou s’il passera la patate chaude à ses successeurs malgré les pressions de Bruxelles. En tous les cas, lorsque réforme il y aura – car on ne saurait y échapper – il faudra tirer la leçon de ce dernier épisode : il est impératif d’organiser au plus vite le passage à la capitalisation pour financer une partie croissante de nos pensions.


[1] Revue Commentaires, N° 185, printemps 2024.

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