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Le Haut-Commissariat à la réforme des retraites

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Curieusement depuis qu’en septembre 2017, sous la Présidence de J-P. Delevoye, le Haut-Commissariat à la Réforme des Retraites s’est constitué, personne apparemment ne s’est jamais soucié ni de la composition, ni de l’orientation de ce nouvel aréopage. Certes, pour bien poser le problème, il faut commencer par quelques rappels chiffrés (I), mais ensuite l’analyse (II) de ces données révèle de graves problèmes de fond (III), même s’ils ont curieusement échappé aux écrans-radar de la meute des médias et de la plupart des spécialistes des retraites. (Détox Retraites – N°02 )

Cet article est une partie de notre série « DÉTOX » RETRAITES

I – QUELQUES CHIFFRES INTÉRESSANTS

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II – L’ANALYSE RÉSULTANTE

En clair, la démarcation secteur public/secteur privé fait apparaître que:

– le secteur public au sens large (entreprises publiques et tous régimes spéciaux publics inclus) emploie un petit quart de la population active, tandis que le secteur privé en fait travailler trois fois plus, soit un peu plus des trois quarts;
– le secteur public réunit pratiquement un cinquième des retraités en régime principal, les quatre cinquièmes restants proviennent donc du secteur privé;
– sur le plan des pensions le secteur public s’arroge un peu plus de 29% des sommes distribuées, le secteur privé recueillant le reste, soit environ 71% du total des quelque 310 milliards d’euros (chiffre 2016) consacrés aux retraites.

ATTENTION: selon que l’on se réfère à une source statistique ou à une autre (notamment INSEE, DREES, Projet de loi de finances 2018), les chiffres obtenus ne sont pas rigoureusement identiques et ne se superposent pas toujours exactement (certains comportent même en leur sein de vulgaires erreurs d’addition!). Cependant les chiffres retenus dans l’article et dont les sources sont indiquées fournissent des ordres de grandeur qu’on peut considérer comme fiables dans le cadre des comparaisons issues de ces données.

Les conclusions sont claires: en importance et selon le critère choisi, le secteur privé réunit des effectifs et redistribue des sommes qui sont sans commune mesure avec le secteur public: trois fois le secteur public pour la population active, quatre fois le secteur public pour les effectifs de retraités et près de deux fois et demi le secteur public quant au volume des pensions. Accessoirement on relèvera aussi que les 21% de retraités du secteur public s’arrangent pour capter 29% du total des pensions, ce qui confirme bien la nette supériorité des pensions publiques par rapport à leurs homologues privées et contrairement à ce qu’affirment les syndicats publics pour justifier cet écart, il n’y a pas que des cadors dans le secteur public et des « minus habens » dans le secteur privé !

Mais tournons-nous maintenant vers le Haut-Commissariat à la Réforme des Retraites, dont en toute logique l’organigramme devrait refléter peu ou prou, entre secteur privé et secteur public, les pondérations démographiques citées plus haut. On remarque d’abord que le Haut-Commissariat est dirigé par quelqu’un qui a été en son temps Ministre de la Fonction Publique, ce qui est déjà un premier signe, mais en pointant le détail des postes, on s’aperçoit en outre que les trois membres de son Cabinet sont tous des hauts fonctionnaires. Et il faut descendre aux chargés de mission pour, sur cinq, parvenir en cherchant bien à en trouver un seul issu du secteur privé.

À partir de ce constat alarmant surgissent immanquablement pour notre démocratie, tant pour la juste représentation des parties prenantes, que pour la justice, pour le partage équitable des pensions entre les deux secteurs et aussi pour l’équilibre de la réforme annoncée, un certain nombre de problèmes graves, que manifestement le pouvoir et les élites publiques qui le détiennent ont jusqu’ici préféré soigneusement éluder ou passer sous silence.

III – DES PROBLÈMES GRAVES

Le premier (1) porte sur un principe de démocratie sociale. Le second (2) s’attaque à la légitimité d’un monopole. Le troisième (3) pointe un grave conflit d’intérêts. Le quatrième (4) met en exergue certaines ambiguïtés qui ne sont assurément pas le fruit du hasard. Le cinquième (5) s’attache à savoir le sort futur des « sur-cotisations patronales » de l’État, dont le taux double ou triple les taux patronaux du privé. Le sixième et dernier (6) attire l’attention du lecteur sur le risque, dans un monde où la ressource est contrainte et finie, de laisser des fonctionnaires décider seuls et souverainement tant de la part de cette ressource qui leur revient que de celle qui reste pour les autres.

+1 – La démocratie sociale+

On sait comment au plan politique nos institutions sont peu représentatives, écartant quasiment de la participation aux institutions près d’un quart, sinon plus, des citoyens en les taxant d’un populisme infamant qu’elles seules ont provoqué. Mais en matière de démocratie sociale et tout spécialement en matière de retraites, on fait encore bien pire et la France est en réalité toute entière une sorte de grande dictature sociale sous l’emprise étroite de son seul secteur public. Nos lecteurs connaissent bien les critiques que nous avons développées vis-à-vis du Conseil d’Orientation des Retraites, dont la majorité des membres appartiennent au secteur public, à commencer par sa Présidence toujours réservée à un haut fonctionnaire. Mais la médaille d’or revient sans conteste au Comité de Suivi des Retraites, lui exclusivement composé de hauts fonctionnaires, comme si les gens du secteur privé ne savaient ni lire, ni écrire, ni compter ! À l’abord d’une réforme ambitieuse, on aurait pu espérer qu’un esprit neuf insufflerait une approche plus équitable pour le Haut-Commissariat, avec par exemple une Présidence réservée au secteur privé de loin le plus important, tout comme une majorité marquée ou au moins la recherche d’une sorte de parité dans l’organigramme de l’institution. Les chiffres sont imparables et on voit parfaitement que la comédie tourne à la farce, lorsque sur un effectif de neuf personnes, on déplore que pas moins de huit d’entre elles appartiennent à un secteur public, dont il est peu probable qu’elles ne remettent jamais en cause les avantages et privilèges. En effet le décret de nomination du Haut-Commissaire l’oblige à recruter ses agents dans le secteur public en l’assurant au surplus du concours des Ministères et services publics concernés. Si bien qu’il n’est nullement étonnant que le Haut-Commissariat penche très fortement, d’un seul côté et ce ne sont certainement pas les consultations citoyennes qui rééquilibreront l’ensemble. Cette instance souffre d’un défaut natif de légitimité démocratique et ne peut se départir d’une accusation de technocratisme partisan. Il faut incontestablement féliciter tous ceux qui ont si bien réussi à bouter ou à maintenir hors de l’institution les représentants d’un secteur privé étranger à leur monde, mais sur lequel ils ne dédaignent pas pourtant de prélever chaque année la dîme de quelques dizaines de milliards nécessaires à l’équilibre et au confort de leurs retraites.

Par ailleurs, il est quelque peu paradoxal – mais en France cela ne choque personne ! – qu’un Haut-Commissariat voué à la réforme des retraites ne comporte en son sein aucun retraité, alors qu’il y a quand même plus de 16 millions de retraités de droit direct dans notre pays ! Certes sur un plan strictement légal, le Haut-Commissaire dirige un organisme administratif et on a vu que le décret de sa nomination l’oblige à rechercher ses concours parmi les agents et services du secteur public. Mais on peut néanmoins objecter que le Haut-Commissariat a pour mission de piloter la réforme complète d’une matière, qui est celle définie par la loi dans le Code de la Sécurité sociale: celle de l’assurance-vieillesse. Or au sens de la loi, cette assurance-vieillesse repose via la solidarité intergénérationnelle sur un fondement double et indivisible; l’assurance pour tout ce qui touche aux cotisations des actifs et la vieillesse pour tout ce qui concerne les pensions des retraités. Ce n’est assurément pas la direction que prend le Haut-Commissariat en réservant ou presque son recrutement et ses concours aux seuls agents actifs du secteur public. Mais au-delà même de ce problème éventuel de légalité, il se pose un problème-beaucoup plus important et aussi plus grave- de légitimité: en quoi la préparation de la réforme de tous les régimes de retraites minoritairement publics et majoritairement privés doit-elle être uniquement et abusivement réservée aux seuls actifs du secteur public ? Manifestement nos élites publiques actives, si sûres et si imbues d’elles-mêmes, nourrissent les mêmes préventions contre le secteur privé que contre les retraités, comme s’il importait de neutraliser la concurrence d’un côté et l’expérience de l’autre. Et là avec l’enkystement de cette exclusion malsaine, discriminatoire et en quelque sorte « fossilisante », on est très loin, mais vraiment très loin du leitmotiv de la mobilité et du changement réaffirmé sans cesse par le nouveau Président.

+2 – un monopole public fort contestable+

D’où vient donc qu’en France, toutes les questions relatives aux retraites,

– qu’elles soient préparatoires : études, orientation, comparaisons, recherches, débats, prospective, projets,
– ou décisionnelles : réformes, fixation des principaux paramètres, niveau des pensions, suivi des retraites etc.

relèvent exclusivement de la compétence publique, alors que les partenaires sociaux du privé sont réduits à un rôle de figuration qui en dit long sur l’attention que le pouvoir accorde à la volonté et aux souhaits des 35 millions d’assurés du monde de l’entreprise, qu’ils soient actifs ou retraités? Qu’est-ce donc qui, dans la loi européenne ou dans la Constitution, réserve au seul secteur public le droit de fixer lui-même et de voter tout seul ou presque ses propres pensions, en forçant de plus le bras du contribuable pour lui extorquer chaque année les quelque 40 milliards d’euros d’une pseudo-cotisation, qui masque une subvention d’équilibre qui n’ose même pas dire son nom ? En quoi donc, un fonctionnaire qui bénéficie, entre autres avantages, de la sécurité de l’emploi, est-il censé mieux connaître la matière des retraites privées, qu’un salarié ou un entrepreneur du secteur « marchand », alors qu’il est rigoureusement exempt des vicissitudes et des risques de chômage ou de faillite qui s’attachent à toute activité privée et que les contraintes de l’équilibre financier lui sont complétement étrangères ? On l’a vu plus haut : les chiffres sont clairs et ils indiquent nettement de quel côté se trouve la majorité ! Aurait-on perdu la tête, aurait-on subrepticement inversé la règle de bon sens qui prévaut dans toutes les démocraties, en réservant désormais à une sorte de caste largement intéressée le pouvoir de décider seule et en fonction de ses avantages pour l’ensemble du groupe ? Nos dirigeants n’ont-ils même pas le minimum de clairvoyance et de courage politique pour mettre en place au moins un début de réflexion et de gestion paritaires qui sorte le secteur privé de la tutelle de fait humiliante et infantilisante dans laquelle son voisin public l’enferme indûment ? Sur le plan de la démocratie sociale, nous n’hésitons pas à écrire que, venant après le COR et le Comité de Suivi des Retraites, le Haut-Commissariat est un véritable scandale, une véritable tache sur nos institutions et une insulte à tous ceux qui, dans le secteur privé, croyaient encore que le principe constitutionnel d’égalité conservait aujourd’hui encore quelque valeur et quelque consistance. Mais, c’est vrai que cela fait des lustres qu’il ne faut plus compter sur le Conseil constitutionnel, lui-même entièrement sous la coupe du secteur public, pour rappeler et imposer des principes que le pouvoir viole chaque jour allègrement.

+3 – d’inextricables conflits d’intérêts+

Comme les lignes précédentes le laissaient entendre et puisque le secteur public a la haute main sur le sort de ses propres retraites, le Haut-Commissariat s’ébroue en outre dans d’inextricables conflits d’intérêts et ce n’est pas le Parlement qui votera la réforme qui pourra l’en absoudre, tout pris qu’il est dans un régime de retraite à ce point spécial, avantageux et exorbitant qu’il compte au nombre de ceux qui sont le plus coûteux pour la Nation. Entendons-nous, comme tout actif a vocation à bénéficier d’une retraite à la fin de sa carrière, comme les retraités en bénéficient déjà, il est donc conceptuellement difficile de bannir tout risque de conflit d’intérêts. Raison de plus pour prendre en amont toutes les précautions nécessaires pour veiller à ce que lors du projet, lors des débats, lors du vote, on préserve scrupuleusement le maximum d’équité et de démocratie en associant organiquement le plus tôt et le plus étroitement possible à la procédure de réforme tous ceux qui sont concernés et non pas le quart ou le cinquième le plus privilégié d’entre eux! On en est visiblement très loin et c’est, entre autres, ce déni constant et universel des conflits d’intérêts les plus patents qui vaut à notre pays son rang si peu flatteur dans les classements internationaux visant à mesurer la lutte contre la corruption et la transparence des politiques d’un pays.

+4 – de nombreuses et troublantes ambiguïtés+

On ne s’étendra pas outre mesure sur ce sujet, mais quelques exemples pertinents méritent d’être cités. À commencer par le slogan présidentiel qui veut que, quel que soit le régime, tout euro cotisé ouvre le même droit à pension. C’est incontestablement dans la réalité des faits une supercherie, puisque les régimes spéciaux bénéficient de la part de l’État de versements qui ne sont pas de véritables cotisations, mais qui dissimulent en réalité des subventions d’équilibre, dont aucun autre régime ne bénéficie (on félicite les comptables publics pour ce magnifique tour de passe-passe qu’ils n’auraient pas pu réaliser en comptabilité privée !). Ce qui aurait été juste, mais bien sûr infiniment moins porteur au plan électoral, c’eût été de restreindre la base de cotisation prise en compte aux seules cotisations salariales qui, elles, sont à peu près homogènes pour tous les régimes salariaux. Autres exemples : la réversion et la prise en compte de la pénibilité qui sont traitées de manière infiniment plus favorable dans le secteur public que dans le secteur privé. Enfin comment qualifier la posture de l’État qui, malgré la pression de la Cour des comptes, s’oppose absolument et abusivement à la création d’une caisse autonome pour les retraites de sa propre fonction publique, alors qu’il a imposé à tous les autres acteurs cette règle de base d’une bonne gestion ?

De même sur le plan organisationnel et pour faire bonne mesure, la rumeur court de confier à la Caisse des Dépôts et Consignations la gestion de l’ensemble du nouveau système, or cela ne ferait qu’ajouter encore à la préférence publique qu’accuse déjà le projet. Enfin, comment ne pas s’interroger sur le véritable statut du Haut-Commissariat, sous la tutelle distante d’un Ministère des Solidarités et de la Santé qui concentre déjà dans ses multiples compétences plus de la moitié de la dépense publique française ? Aurait-il été vraiment excessif lors du dernier remaniement gouvernemental en constatant que les retraites représentent à elles seules près de 15% du PIB national de leur dédier intégralement un Ministère de plein exercice, prolongeant ou absorbant le Haut-Commissariat ? Car, au-delà de l’annonce d’une mission officielle de concertation sociale et de coordination interministérielle, nombre d’interlocuteurs hésitent encore sur le rôle et la place exacts du Haut-Commissaire dans l’ensemble de la réforme.

+5 – un étonnant silence-radio+

On a déjà indiqué que sous une forme ou sous une autre les retraites publiques ne sont équilibrées que grâce à d’importantes subventions intégralement prélevées sur le contribuable. Pour nous en tenir à seule fonction publique civile d’État, combien de gens savent que la cotisation « dite » patronale de l’État dépasse le pourcentage pharamineux de 74%, soit un total de cotisation de l’ordre de plus de 84% du salaire de référence si l’on y ajoute les cotisations salariales précomptées aux fonctionnaires ? En face, le total des cotisations salariales et patronales « retraites » du secteur privé est strictement plafonné à 28% des salaires cotisés. Ce qui veut dire que par rapport aux salaires retenus, les retraites de la fonction publique coûtent trois fois plus cher que celles du secteur privé. Le coefficient s’aggrave encore si on se limite à la cotisation patronale puisqu’alors c’est une cotisation privée d’un peu moins de 18% du salaire cotisé qu’il faut comparer à une cotisation publique de plus de 74% du même salaire, fût-il plafonné au salaire indiciaire. La cotisation patronale de l’État devient donc cette fois plus de 3 fois supérieure à celle d’une entreprise privée. Alors certes dans les propositions du Haut-Commissariat, on évoque bien un rapprochement progressif de tous ces taux. Mais personne ne s’avise de dire comment ramener à l’objectif officiel de 28% le total des cotisations pour les retraites de la fonction publique d’État présentement bloquées à 84% (hors la retraite additionnelle sur les primes) sans réduire de manière drastique les pensions correspondantes ou – c’est plus probable – procéder à un tour de prestidigitation qui flouera une fois de plus le contribuable. La question fondamentale qui se pose évidemment est de savoir pourquoi dans ce pays, les gens du privé doivent d’abord payer les sur-cotisations de nombreux agents du public et arrondir les pensions des ci-devant, avant de pouvoir songer eux-mêmes à leurs propres retraites. Quoi qu’il en soit sur le site du Haut-Commissariat, on sait rester discret, car aucun des 20 avis sollicités – la plupart de leurs auteurs sont fonctionnaires ou apparentés – ne traite vraiment ce problème crucial et tout le monde ou presque psalmodie sagement le même refrain selon lequel il n’y pas de différence notable de niveau entre les retraites publiques et les retraites privées. Ce qui montre bien qu’entre gens de bonne compagnie, le secteur public n’a aucune intention de voir étaler, ni rogner les plus exorbitants de ses privilèges, en détaillant au surplus l’affectation précise de financements passablement discutables dont tous ne sont pas -loin s’en faut- affectés à compenser les effets délétères d’un ratio démographique catastrophique entre cotisants et retraités

+6 – le difficile partage de la ressource+

Il fut un temps où chacun ne se souciait de sa propre retraite que par rapport à sa propre caisse de retraite, à son propre parcours et à ses propres cotisations. Ce temps-là est manifestement résolu. Aujourd’hui, tous les systèmes de retraite sont plus ou moins interconnectés les uns aux autres et on ne raisonne pratiquement plus qu’en terme d’équilibre et de flux globaux. D’ailleurs, ce qui a déclenché les premières polémiques sur les retraites, c’est la part croissante de PIB qu’absorbaient les pensions et on a rapidement opposé l’aisance exagérée des retraités au sort présenté comme moins favorable des autres classes de population et notamment des jeunes. Donc désormais, alors que la ressource est contrainte, la compétition entre les régimes est ouverte et tout ce que l’un obtient, il l’arrache en réalité aux autres, selon une version moderne du « struggle for life » darwinien. Dans cette perspective de compétition acharnée, on réalise immédiatement que le fait que toutes les retraites d’un pays soient conçues, organisées, votées et réformées à la main de fonctionnaires n’est pas neutre, cette caste n’ayant pas l’habitude de laisser aux autres ce qu’elle peut obtenir, ni de se satisfaire de ce qu’elle a déjà. Voilà pourquoi, confier la réforme des retraites à des fonctionnaires, c’est comme confier au renard la garde du poulailler et, dès avant la réforme, on craint de savoir de quel côté elle va pencher, surtout que les syndicats de fonctionnaires ont des moyens de pression et d’action que n’ont pas les organisations du secteur privé. Une suggestion claire et simple à mettre en oeuvre : que le Haut-Commissariat s’astreigne dès maintenant à lister et à publier les changements proposés aussi bien en dépenses supplémentaires qu’en économies nouvelles sur deux colonnes distinctes : l’une réservée au secteur privé, l’autre au secteur public. C’est probablement le seul moyen d’éviter un trop grand déséquilibre et trop d’injustice dans la réforme à venir.

IV – CONCLUSION

Au terme de ce bref constat, les quelque 35 millions d’actifs et de retraités du secteur privé ont tout lieu d’être inquiets, car non seulement ils vont droit vers une réforme qui n’aura pas été conçue pour eux, mais ils ont tout lieu de craindre au vu des expériences passées et du flou actuel qu’elle ne soit conçue une fois de plus contre eux. Ainsi et depuis longtemps, avant même les premières déclarations publiques du Haut-Commissaire qui l’a comme de juste confirmée, le pouvoir piaffait d’impatience d’annoncer aux fonctionnaires sa volonté d’intégrer la totalité de leurs primes dans le calcul de leurs futures pensions. Cette précipitation suspecte ne présage rien de bon et beaucoup pensent désormais que ce régime universel nous a été emballé, pesé et vendu avant même que ses principes et ses contours n’aient été précisément arrêtés.

C’EST DÉJÀ NOËL POUR LA FONCTION PUBLIQUE !

La prise en compte des primes des fonctionnaires dans le calcul de leurs retraites correspond à une vieille revendication des syndicats publics. Depuis 2005, il existait certes déjà sur les primes une retraite par capitalisation obligatoire (RAFP), mais elle excluait la partie des primes excédant le plafond de 20% du traitement indiciaire (certaines culminent quand même à plus de 140% du traitement indiciaire). Donc les cadres supérieurs de la fonction publique et quelques « métiers » très particuliers vont ajouter un avantage de plus à un statut qui n’en manquait pas. Surtout que le pouvoir réfléchit déjà à une augmentation des salaires de l’ensemble des fonctionnaires concernés pour qu’ils continuent à percevoir la même rémunération nette, en laissant donc au contribuable le soin de régler seul la facture de l’ensemble des nouvelles cotisations salariales et patronales supplémentaires assises sur les primes.

La mesure sera même sans doute encore plus coûteuse, si l’on prête attention aux revendications des nombreux fonctionnaires percevant pas ou peu de primes (notamment les enseignants) qui crient déjà à l’injustice, en demandant qu’une revalorisation symétrique de leurs rémunérations leur permette par un réaménagement général de la grille des salaires de compenser l’avantage consenti aux fonctionnaires à fortes primes.

Dans ces conditions et vu qu’il ne saurait être question que le secteur public pâtisse en quoi que ce soit de ces nouvelles avancées, on se demande déjà quelle entourloupette le HCRR va sortir de son chapeau, afin d’imposer au secteur privé les sacrifices nécessaires pour réaliser la réforme à coût constant. Cette entame préoccupante montre bien, en confirmant pleinement le conflit d’intérêts dénoncé plus haut, comment le secteur public entend se servir du contrôle quasi-absolu qu’il exerce sur le HCRR pour orienter une fois de plus à son avantage les propositions à venir.

Le secteur privé ne se fait aucune illusion : il a donc tout lieu de craindre que sa quasi-éviction du Haut-Commissariat à la Réforme des Retraites ne doive rien au hasard et qu’elle se traduise bientôt par de lourds sacrifices imposés une nouvelle fois en faveur des aises d’un secteur public auquel on ne refuse rien ou presque. Déjà en effet, on voit qu’avec une parfaite mauvaise foi, certains fonctionnaires commencent à exciper des difficultés prétendues de reconstitution de leurs carrières pour tenter de faire échec à la future prise en compte de leur carrière entière, au lieu des seuls six derniers mois d’activité. Mais, attention, dans le secteur privé, la lassitude et la grogne de ces dizaines de millions de travailleurs (anciens ou actuels) injustement considérés comme taillables et corvéables à merci montent peu à peu. Notamment, les griefs d’injustice et d’abus vis-à-vis des régimes spéciaux commencent à fuser chaque jour de manière un peu plus virulente, au fur et à mesure que sur la toile, les sites non gouvernementaux (l’IREF n’est pas le dernier !) et les réseaux sociaux instruisent de mieux en mieux les actifs et les retraités du privé sur les discriminations dont ils sont victimes. Le pouvoir, comme le Haut-Commissariat lui-même, seraient donc bien inspirés de mettre enfin un peu d’équité dans leur prochaine réforme, car depuis si longtemps la corde se tend, qu’un jour elle finira bien par se rompre. À bon entendeur, salut !

Cet article est une partie de notre série « DÉTOX » RETRAITES

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8 commentaires

Addict 6 novembre 2018 - 2:10

Public.. Privé… Quelle égalité ?…
Pour reprendre la maîtrise de la réforme des retraites dans une égalité totale et sur un plan satisfaisant, il ne reste plus qu'une prérogative à ce jour. Entrouvrir la porte par une action judiciaire en proposant une représentation paritaire. La proportionnelle est évidemment la clef de la réforme. Nous constatons la marche à suivre actuellement faussée par cette représentation de haut fonctionnaire. Le privé est sur le banc de touche. Comme d'habitude les représentants patronaux ne sont pas audibles. Les pratiques des privilèges continuent. Pour une France apaisée, il faut déployer des moyens équivalent entre une représentation du privé et du public. Pour suspendre les orientations des nouveaux calculs et la pérennisation faisons un état des lieux plus égalitaires.

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Thierry BENNE 6 novembre 2018 - 10:44

DES MOYENS TRÉS LIMITÉS

Je partage bien évidemment votre constat, mais en dehors du silence des syndicats de salariés privés, qui pour la plupart ont une implantation publique encore bien supérieure, qui leur commande de ne pas faire trop de vagues (le classique conflit d'intérêts à la française dans lequel barbote toute notre vie publique) pour ne pas se couper de leurs adhérents fonctionnaires, en dehors de la complaisance aussi des syndicats patronaux qui ont les yeux rivés sur le seul montant des cotisations, je crains fort que toute action classique soit vouée à l'échec.

En effet, les juges qu'ils soient judiciaires ou administratifs sont tous des fonctionnaires et dans le secteur public, cela fait longtemps que la composition du Conseil constitutionnel, comme le recrutement du Conseil d'État ou l'orientation du Défenseur des droits, la composition du Conseil d'Orientation des Retraites ou celle du Comité de suivi des Retraites n'assurent pratiquement aucune chance au secteur privé de se faire entendre.Sur le plan des retraites, notre démocratie sociale n'existe pas et le principe républicain et constitutionnel d'égalité est constamment foulé aux pieds par ceux-là mêmes qui devraient en être les gardiens les plus vigilants.

Alors que reste-t-il au secteur privé pour faire entendre sa voix. Un référendum, mais Monsieur Delevoye a déjà montré dans le passé le peu de considération qu'il attachait à une pétition réunissant 700 000 signatures et l'on peut compter sur l'influence de la caste publique pour s'opposer à toute remise en cause de ses privilèges? Quant aux médias, les avantages fiscaux dont la plupart sont largement abreuvés ajoutés à une large incompétence sur le sujet garantit un silence radio quasi-parfait…

Alors il reste à informer inlassablement dans l'espoir qu'un jour les Français du secteur privé prendront enfin conscience des véritables enjeux des retraites et ne se satisferont plus des rares strapontins qu'on leur octroie la plupart du temps en contre-partie de leur silence. Factuellement, le progrès ne pourra probablement venir que d'un sursaut démocratique obligeant enfin nos dirigeants à prendre en compte les aspirations légitimes de plus des trois quarts de Français.

Cordialement: Th.B

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MPD 6 novembre 2018 - 7:32

precision
pouvez vous m'indiquer la source de cette information :

Pour nous en tenir à seule fonction publique civile d’État, combien de gens savent que la cotisation "dite" patronale de l’État dépasse le pourcentage pharamineux de 74%, soit un total de cotisation de l’ordre de plus de 84% du salaire de référence si l’on y ajoute les cotisations salariales précomptées aux fonctionnaires ?

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Thierry BENNE 6 novembre 2018 - 10:14

DES TAUX VRAIMENT HORS NORMES

Étale depuis plusieurs années, le taux de la cotisation patronale de l'État pour la retraite de ses fonctionnaires civils figure actuellement dans de très nombreuses sources. Pour notre part, nous nous sommes référés à la page 20 de l'annexe jaune du projet de loi de finances pour 2018 (Rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique), qui mentionne également un taux parallèle de 126,07% du traitement indiciaire pour les personnels militaires, dont c'est vrai, les conditions d'engagement, de risques et de carrière n'ont pas grand chose à voir avec un poste d'administrateur civil en administration centrale.

Pour votre information, en 2006, les taux correspondants étaient (page 24 ibidem) respectivement de 49,90% pour la fonction publique civile et 100,00% pour la fonction publique militaire. Certes le rapport démographique de la fonction publique d'État (nombre de cotisants/nombre de retraités) s'est constamment dégradé (il est actuellement nettement inférieur à 1!), mais ce facteur n'explique pas tout, ni la progression de 49% du taux de la cotisation civile en 12 ans. En réalité, la fonction publique d'État bénéficie de retraites nettement plus avantageuses que celles du privé tant en montant de pension qu'en durée de retraite et c'est ce qui explique que les syndicats du secteur public, malgré leur caractère hautement revendicatif, n'aient jamais réclamé l'alignement sur le droit commun des retraites de la fonction publique.

Quant au taux salarial, il restait voici quelques années nettement inférieur au taux du droit privé, avant que ne soit décidé un alignement très progressif et étalé sur une dizaine d'années qui le porte à 10,56% en 2018 et à 11,07% en 2020 (ibidem page 23).

Le taux global de cotisation de la fonction publique civile d'État excède donc bien le total de 84%, comme le signale l'article.

Cordialement: Th.B

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Jean-Pierre 6 novembre 2018 - 11:03

MONSIEUR DELEVOYE
Bonjour,
Une analyse intéressante sur l'organigramme du Haut-commissariat aux retraites mais quid de son président.
C'est un retraité du public ou du privé ?
Conflit d'intérêt pour le régime de retraite des parlementaires ?
Est-il l'homme de la situation compte tenu de son passage désastreux au CESE

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Thierry BENNE 6 novembre 2018 - 2:22

UNE CARRIÈRE LARGEMENT PUBLIQUE

Né en 1947, originellement directeur d'une société agroalimentaire, Monsieur Delevoye va par la suite enchaîner les fonctions publiques. Si l'on range à part son mandat municipal de maire durant quelque 30 ans qui ne préjuge pas directement d'une appartenance à un secteur quelconque, les autres postes sont nettement et purement publics: député, sénateur, Ministre de la fonction publique et de la Réforme de l'État, Médiateur de la République, Défenseur des droits, Président du Conseil Économique, Social et Environnemental et présentement Haut-Commissaire à la Réforme des Retraites.

L'ensemble de ces fonctions intrinsèquement publiques court sur une petite trentaine d'années, les dernières, et Monsieur Delevoye relève désormais sans conteste du secteur public.Il est donc probable que ses retraites publiques pèsent et pèseront très largement dans ses revenus.

En dehors d'inévitables conflits d'intérêts, notamment au titre des régimes spéciaux, le problème est que le décret le désignant comme Haut-Commissaire l'oblige tant à recruter dans le public l'essentiel de ses collaborateurs qu'à rechercher auprès des Ministères les appuis nécessaires à sa mission. Comme si tout simplement il n'y avait pas de secteur privé ou que ce dernier était constitué de gens incultes ou parfaitement incompétents.

Mais, après tout, qui donc proteste: syndicats salariaux et patronaux sont aux abonnés absents, la plupart des associations de retraités n'ont pas flairé le piège, les médias se taisent et il ne faut assurément pas compter sur les chaînes publiques pour causer le moindre tracas au Gouvernement? Seuls quelques rares indépendants (comme les médecins) commencent à ruer dans les brancards, mais curieusement la plupart des Français semblent se satisfaire sans problème de ce parfait déni de démocratie sociale qui semble leur échapper, tout autant qu'aux médias et même – et c'est profondément attristant – à la plupart des spécialistes reconnus en la matière.

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Gilbert CLARET 6 novembre 2018 - 12:52

Le Haut Commissariat à la réforme des retraites
Merci à Monsieur Thierry Benne pour cet éclairage d'une clarté aveuglante sur des aspects mal connus par le secteur privé (à son détriment) du système des retraites en France. Il est temps que les Français (en tant que retraités ou futurs retraités du secteur privé et contribuables) ouvrent grand leurs yeux sur les injustices que la fonction publique leur fait subir afin de préserver sa situation privilégiée.

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Astérix 9 novembre 2018 - 8:49

En parfait accord avec vous M.Gilbert Claret, mais une écrasante majorité de Français continue à voter pour des énarcotechnocrates qui protègent tous la fonction publique de ses incommensurables privilèges.
Ces énarcotechnocrates sont en train de tuer la France à petit feu..! par une fiscalité écrasante et des normes imbéciles supportées précisément par le secteur privé…!!
Le Français pense que l'argent de l'état tombe du ciel… et ne comprend strictement rien à l'économie, au bon sens.
Si le Français se rendait vraiment compte du "degré de connerie" de la réalité de la situation globale dans notre Pays, 1789 ne serait qu'un apéritif !
"Les Français sont des veaux": Charles de Gaulle.

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