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 Les erreurs de la « décroissance »  

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Après la vogue du « développement durable » est venue celle de la décroissance. Elle  se présente telle un projet politique de remise en cause de l’accumulation matérielle comme source d’épanouissement et un rejet de la croissance pour la croissance. Il ne s’agit plus, comme avec le « développement durable », d’aménager le développement, mais, de manière autrement radicale, d’en sortir.

La vogue de la décroissance

Tous les écologistes français contemporains ne partagent pas la même idée sur le sujet et la primaire des écologistes en 2021 a tracé des lignes de fractures entre les candidats. Delphine Bato avait construit son programme autour de la « décroissance », qualifiée de « seule voie réaliste ». Mais les autres candidats à la primaire n’étaient pas totalement sur la même longueur d’onde. Quant à l’extrême gauche, elle utilise le plus souvent d’autres vocables. Jean-Luc Mélenchon, après avoir proclamé : « La décroissance n’est pas une option, mais une nécessité », avait fait part de sa préférence pour une « décroissance ciblée ». Plus récemment, François Ruffin de La France Insoumise s’est dit « a-croissant ». L’idée de décroissance, si elle n’est pas majoritaire dans les sondages, reçoit un nombre d’opinions favorables loin d’être négligeable. En septembre 2023, 39 % des sondés la considéraient comme une solution menant à la sobriété.

Les mesures prônées par les partisans de la décroissance apparaissent généralement floues, ce qui est le propre de bien des théories utopistes, mais les éléments du puzzle s’assemblent rapidement avec des mesures qui convergent toutes vers une explosion d’interdictions, de taxes, de règlementations, mises en œuvre par une planification généralisée.

Le primitivisme est consubstantiellement attaché à l’écologie politique. René Dumont, le futur candidat à l’élection présidentielle de 1974, appelait à la création d’un « ministère du blocus », « en guise de transition vers la société socialiste de survie ». Tout à sa construction d’une société de « semi-austérité », il considérait – ses considérations équivalant à des ordres pour autrui – qu’il ne paraissait « nullement indispensable de fournir à chaque famille un équipement électroménager individuel complet » ! Thuriféraire du régime totalitaire chinois, il anathématisait la publicité capitaliste qui créait « des besoins artificiels parfois stupides », comme… les déodorants pour les hommes (mais pas pour les femmes…) !

La doctrine de la « décroissance » s’analyse comme une lubie de gosses de riches égoïstes. Ces derniers écartent d’un revers de la main la croissance économique, c’est-à-dire l’augmentation durable de la production qui induit d’importants changements de mentalités. Or la « décroissance » représente une régression, alors que le progrès se constate par la substitution des décisions personnelles aux arrangements d’autorité. Les écologistes politiques pèchent plus par leurs schémas statiques, qui négligent les vertus actuelles du progrès technique et le fait que les générations futures bénéficieront de connaissances beaucoup plus importantes que les générations actuelles. Comme le relevaient Bennett et Morse, deux économistes des années 1960, le legs le plus important laissé aux générations futures ne tient pas tant à la préservation des ressources dites naturelles qu’aux savoir-faire, à la technologie et aux institutions développées pour résoudre les problèmes auxquels les individus ont été confrontés.

La définition de la décroissance

L’un de ses hérauts, Serge Latouche, entend démontrer que la décroissances’analyse comme un projet politique de dépassement de la modernité. Dans son Petit traité de la décroissance sereine de 2007, il la définit comme une remise en cause de la croissance par la sortie du développement. Son mot d’ordre est l’« abandon de l’objectif de la croissance illimitée, objectif dont le moteur n’est autre que la recherche du profit par les détenteurs du capital avec des conséquences désastreuses pour l’environnement, donc pour l’humanité ». L’abandon de la religion du progrès et du développement permettra une « a-croissance », une société autonome, conviviale et économe où l’on vivra mieux en travaillant et en consommant moins.

Parmi les définitions envisageables de la décroissance, nous pouvons aussi nous référer à celle qui est donnée par l’un de ses thuriféraires, l’économiste Timothée Parrique, dans son ouvrage au titre parlant Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance, paru en 2022 : « Une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être ». Où l’on voit que la décroissance n’est pas l’objectif en soi, mais le moyen de sauver ce qui est le plus important : notre planète.

Implicitement, l’idée est que la « société » tende, comme dans une période de guerre, vers un seul but. Si ce n’est que l’ennemi n’est plus l’envahisseur, l’ennemi, c’est l’homme, c’est nous-mêmes, pollueurs patentés de la pure Gaïa. On voit aussi immédiatement combien cette idée s’oppose à un régime de liberté puisque, en période de paix, il ne saurait être question, holistiquement, d’un but commun de la « société ». Les buts des individus sont divers et c’est la « main invisible », aussi brocardée qu’incomprise, du marché qui permet spontanément l’harmonie entre eux, une harmonie non pas préétablie mais un produit des actions et des interactions humaines.

La suite de la définition donnée par Timothée Parrique jure également avec les principes libéraux : « planification démocratique » et « justice sociale » sont des expressions dénuées de sens. La notion de planification sous-tend ici une méthode impérative et centralisée décidée, au moins officiellement, de manière démocratique, c’est-à-dire à la majorité des votants. La légitimité de la décroissance se veut en fait double, car elle serait non seulement conforme aux valeurs démocratiques, mais encore socialement juste. La justice est ainsi construite afin de lutter contre les inégalités sociales. L’économiste en tire toutes les conclusions : « La décroissance est incompatible avec le capitalisme ». La revendication fondamentale reste la « nécessaire réduction de la production et de la consommation ».

Les sources de la décroissance

Quelles sont les sources de la décroissance  ? En dehors de Malthus, salué pour avoir eu l’intuition des limites physiques de la croissance économique, elles se trouvent notamment dans une brochette d’auteurs marqués par le marxisme : Jacques Ellul, André Gorz ou encore Henri Lefebvre. Parmi les apôtres de la décroissance  figure aussi l’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen, l’une des sources d’inspiration principales des écologistes politiques. Dans un article de 1976, il appelait au remplacement de « l’état stationnaire par un état de décroissance » et il martelait que la croissance actuelle devait « non seulement cesser, mais être inversée ».

Mais c’est surtout le rapport du Club de Rome qui doit retenir l’attention. Le Club de Rome est une association internationale fondée par Aurelio Peccei en avril 1968. Ce grand admirateur de la Chine communiste demanda au groupe d’étude de dynamique des systèmes du Massachusetts Institute of Technology, en août 1970, d’entreprendre l’étude de tendances d’un certain nombre de facteurs qui « déréglaient » la planète, et de leurs interactions. Ce groupe rendit alors un rapport sur les limites à la croissance dont l’objet était de définir les obstacles qui s’opposaient à la multiplication des hommes et les contraintes qui résultaient de leurs activités. Il entendait prouver que l’humanité ne pouvait pas continuer à proliférer et à aspirer au développement matériel. Il conclut à l’alternative suivante : trouver de nouveaux objectifs ou accepter les conséquences inévitables d’une croissance sans frein. Cinq facteurs principaux et interdépendants étaient examinés : explosion démographique, production alimentaire, industrialisation, épuisement des ressources naturelles, pollution, cinq paramètres qui évoluaient selon une progression géométrique – encore un clin d’œil à Malthus. Les prévisions de l’étude étaient cataclysmiques : soixante ans plus tard, le chiffre de la population serait multiplié par quatre ; le manque de terres cultivables se ferait désespérément sentir avant l’an 2000 ; une pénurie brutale pourrait frapper la population dans les trente ans à venir ; l’expansion démographique et l’expansion économique s’arrêteraient au plus tard au cours du XXIe siècle.

L’impact médiatique du rapport sur les limites à la croissance fut considérable. On pourrait croire que le rapport serait tombé dans l’oubli, tant ses concepteurs s’étaient fourvoyés. Nullement, il continue aujourd’hui d’être cité avec faveur. Il est frappant de remarquer que les rédacteurs du rapport puis leurs zélateurs, ignorants du progrès technique, semblent incapables de s’abstraire des contingences. A cet égard, l’incompréhension de la transition démographique était inexcusable aux débuts des années 1970. La volée de bois vert reçue par les rédacteurs du rapport, en dépit de leur bruyant succès auprès des journalistes et du grand public, les incita à revenir sur leurs conclusions, mais seulement quatre années plus tard, et cette fois dans l’indifférence médiatique générale… Le mal était fait.

La technologie, fille d’une inventivité humaine sans bornes, ne cesse de créer de nouvelles ressources. Le raisonnement des rapporteurs du Club de Rome s’appuyait sur des modèles simplistes selon lesquels les comportements humains ne changeaient pas, l’homme étant incapable de s’adapter aux circonstances nouvelles, et selon lesquels la nature évoluait de manière dramatique avec un épuisement des « ressources » non renouvelables et une croissance exponentielle de la population. A raisonnement simpliste, solution simpliste : une croissance zéro de la population et une croissance zéro de la production pour sauvegarder l’environnement et préserver les « ressources ».

Or, la notion de « ressources naturelles » est un non-sens. Il n’existe pas de ressources naturelles, mais des éléments dont se sert l’ingéniosité humaine pour son usage et son utilité. Par exemple, le pétrole n’est devenu une « ressource » que lorsque que cette huile minérale, visqueuse et malodorante a présenté un intérêt pour l’homme, tout d’abord comme source d’énergie. Les « ressources » ne sont pas données par la nature, mais par les hommes, plus encore par leurs capacités à la domestiquer, à s’y substituer, voire à s’en passer.

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