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Le franc fort: comment profiter de la crise

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Dans un article publié il y a quinze jours par l’IREF et repris dans la presse helvétique, le professeur Victoria Curzon Price, administrateur de l’IREF, dénonçait la dévaluation du franc suisse sous la pression des industriels. Elle propose maintenant une réforme alternative : la baisse de l’impôt sur les bénéfices des sociétés.

Il ne faudrait jamais laisser passer une bonne crise sans l’utiliser pour introduire des réformes ! La crise du franc fort n’a jusqu’à présent suscité que des demi-mesures et la dernière en date (cours plancher face à l’euro) est des plus discutables. Applaudie par (presque) tous, elle est censée soulager l’industrie suisse d’exportation. Peut-être que cette politique sera couronnée de succès – en tout cas pour un temps. C’est mon souhait. Mais il serait dommage de laisser passer l’occasion de cette crise sans entreprendre de véritables réformes profondes et souhaitables.

Notre industrie d’exportation se trouve affaiblie par l’appréciation du franc? On propose des milliards pour venir au secours des secteurs les plus touchés. Quel dommage! Il faudrait proposer tout simplement une baisse généralisée du taux d’impôt sur les bénéfices des entreprises. A quoi bon prélever pour redistribuer? C’est une perte de temps et d’énergie. Les entreprises suisses auraient très bien su convertir une baisse de la fiscalité en compétitivité accrue sur les marchés internationaux.

Vous me direz que seule l’industrie suisse d’exportation est en cause – pas la peine, donc, de faire un cadeau à toutes les entreprises ! Mais il n’y a rien de plus détestable en politique économique que d’imaginer des mesures qui font de la discrimination, en l’occurrence entre les secteurs exposés à la concurrence internationale et les secteurs «intérieurs». Non seulement ce genre de distinction est-il contraire à l’esprit du droit – il est injuste – mais il n’a aucun fondement économique. Tout étant lié à tout dans l’économie, ces distinctions n’ont aucun sens.

Vous me direz alors qu’il faut viser seulement les entreprises exposées à la concurrence internationale et qui se trouvent effectivement en difficultés. Pas question par exemple d’aider Nestlé, qui s’en sort plutôt bien! Mais alors, ce serait une mesure encore plus discriminatoire, encore plus détestable. Elle ne coûterait peut-être pas beaucoup, mais elle taxerait les plus fortes pour aider les plus faibles. Est-ce sur cette base que nous voulons construire notre compétitivité à l’avenir ? Heureusement que cette mesure n’est pas retenue pour l’instant…

Revenons sur l’idée de baisser les impôts sur les bénéfices des entreprises. Vous me direz que cela n’aide pas les entreprises en difficultés, puisqu’elles ne font pas de bénéfices, justement! C’est vrai… Mais cela aiderait beaucoup celles qui, malgré tout, sont bénéficiaires. Et n’est-ce pas là exactement le genre de signal qu’il faut donner pour améliorer la compétitivité générale de l’industrie suisse ?

Vous me direz sans doute que la Confédération (car c’est bien d’elle qu’il s’agit) ne pourrait pas se passer des impôts sur les bénéfices des sociétés. Tout d’abord, on pourrait simplement réduire le taux, disons de 8,5% à 4% si l’on pense que la Confédération a vraiment besoin de cet argent. Mais même en abolissant totalement l’impôt sur les bénéfices des entreprises au niveau de la Confédération, la «perte» ne serait pas gigantesque. Elle s’élèverait actuellement à quelque huit milliards de francs (sur un total de 62 milliards de recettes, soit 12%). C’est peu si l’on songe aux excédents budgétaires réalisés ces dernières années.

Vous me direz peut-être que la Confédération a besoin de ce filon fiscal pour prévoir d’autres dépenses à l’avenir? Je vous répondrai qu’il n’est pas bon qu’une administration publique fasse des réserves, ce n’est pas son rôle. Au contraire, il faut continuer de faire pression sur elle pour qu’elle allège le fardeau des impôts et qu’elle continue sa cure d’amaigrissement.

Vous me direz sans doute que la Confédération devrait diminuer sa dette (de quelque 100 milliards de francs, ou 20% du PIB). C’est vrai, même si ces chiffres sont modestes en comparaison internationale, mais la Confédération a les moyens de faire des économies et dispose de nombreuses autres sources de revenu. Elle pourrait très bien se passer des impôts sur les bénéfices des sociétés.

Vous me direz également qu’il n’est pas question de «faire un cadeau aux entreprises» d’une telle envergure. Je réponds: et pourquoi pas? On a vu que ce n’est pas un très grand cadeau, de toute façon. Mais surtout soyons cohérents. On veut aider les entreprises, oui ou non? On veut des emplois, oui ou non? En faisant un «cadeau» aux entreprises, nous faisons ce cadeau à nous-mêmes car ce sont les entreprises qui créent la richesse et créent les emplois. On aura bien assez de temps et d’ingénuité pour imposer ces revenus supplémentaires à un autre point du circuit…

Et voyez un instant les avantages! D’abord, cette mesure va dans le sens de la politique fédérale de se décharger progressivement de nombreux dossiers sur les cantons. Pourquoi ne pas saisir l’occasion de cette crise pour démêler l’enchevêtrement insensé des impôts fédéraux et cantonaux (voire communaux) en la matière? Pourquoi ne pas rendre aux cantons les moyens de la politique fédérale de décentralisation? Après tout, eux aussi ont parfois quelques dettes à éponger…

Deuxièmement, la Suisse est actuellement sous pression de l’Union européenne pour modifier son système d’imposition des sociétés. Le moment me semble donc particulièrement propice pour rendre aux cantons l’exclusivité de cette matière…

Finalement, la concurrence fiscale entre les cantons est l’un des éléments clés dans le succès du pays par les temps qui passent. Rendre aux cantons l’exclusivité de l’impôt sur les bénéfices des entreprises serait un formidable moyen de renforcer cet atout.

J’entends déjà votre dernière objection: cette politique va être tellement bénéfique aux entreprises qu’elle attirera encore plus de capitaux étrangers! Le problème du franc fort sera pire encore! Ce à quoi je vous réponds: on nous dit que le problème du franc fort vient de la spéculation – et je veux bien le croire; en revanche, les capitaux étrangers qui investissent chez nous augmentent notre productivité et créent des emplois… Donc on peut très bien saluer l’effort actuel de la BNS pour contrer les spéculateurs et agir en profondeur dans le temps qui nous est imparti pour rendre notre économie plus forte et plus compétitive pour pouvoir confronter l’avenir avec sérénité. Car, inévitablement, à un moment, la BNS va forcément couper son lien auto-imposé avec l’euro.

Victoria Curzon Price, Université de Genève et Institut Constant de Rebecque

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