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Du droit de se défendre au droit de se protéger

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Les chiffres de l’insécurité et de la délinquance fournis par le ministère de l’Intérieur sont sans appel : presque tous les indicateurs sont en hausse. Cela signifie que vivre en France est de plus en plus dangereux. Ce constat conduit un nombre croissant de Français à prendre leur sécurité en main et apprendre à se protéger.

L’un des grands fondements de notre Etat de droit est le principe selon lequel l’Etat est l’unique détenteur de la violence légitime. Cette doctrine a été théorisée par Max Weber dans Le savant et le politique : « Un Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné ». Cela suppose notamment l’interdiction de la vengeance et du recours à des milices privées. Il arrive toutefois que les forces de l’ordre ne soient pas présentes pour réprimer une attaque et protéger la population, ce qui conduit des victimes à faire preuve de violence pour se défendre ; c’est ce qu’on appelle la légitime défense.

Encadrée par l’article 122-5 du Code pénal, la légitime défense est l’autorisation donnée par la loi de se défendre, de protéger quelqu’un ou un bien, lors d’une attaque. L’attaque doit répondre à trois critères : être injustifiée, réelle et actuelle. En réponse, l’acte de défense doit être nécessaire, immédiat et proportionné. La charge de la preuve repose sur la personne ayant fait usage de légitime défense, excepté dans deux cas de figure : « Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillage exécutés avec violence » (article 122-6 du Code pénal). Il s’agit donc de viser juste car un peu trop tôt, c’est de la préméditation, et un peu trop tard, c’est de la vengeance.

La reconnaissance de la légitime défense peut se révéler particulièrement ardue : on pense à ce légionnaire qui avait blessé à mort le dealer qui les avait agressés, sa compagne et lui, devant la gare du Nord en 2014. Alors que l’attaquant, drogué et en fuite, était connu des services de police et avait déjà été arrêté pour usage de stupéfiants, escroquerie, violence volontaire et extorsion, le légionnaire avait été mis sous contrôle judiciaire et placé en examen pour « violence volontaire avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Par la suite, il avait fallu attendre 2021, soit sept longues années de bataille judiciaire, pour établir définitivement la reconnaissance de la légitime défense, et donc l’innocence de la victime. Son avocat rapporte : « Il n’a cessé de répéter que quelle que soit la manière dont il réexamine la situation, il ne voit pas comment il aurait pu faire autrement ». Cette affaire a contribué à instaurer dans l’opinion publique l’idée que la légitime défense est non seulement extrêmement difficile à faire admettre, mais aussi qu’elle n’est pas à la portée de tout le monde puisque même un homme dont le métier est le combat n’a pas pu éviter de blesser à mort son agresseur. Cette prise de recul sur l’attaque et l’attitude adéquate à avoir dans la défense relèvent en effet de l’acquis et non de l’inné. Le légionnaire avait été formé pour répondre à des attaques de manière adéquate ; dans le cas contraire, lui et la compagne seraient morts. Il a pu prouver qu’il n’aurait pas pu se comporter autrement, sinon il aurait écopé de vingt ans de prison. Dès lors, on peut raisonnablement considérer que monsieur-tout-le-monde n’a aucune chance de s’en sortir.

Les Français reprennent en main leur sécurité individuelle par divers moyens

On a vu que le droit de se défendre ne joue, par définition, que lors d’une attaque. L’ensauvagement de la société tend à opérer une mutation et une extrapolation du droit de se défendre vers le droit de se protéger. En effet, alors que le droit de se défendre n’est qu’une réaction, et, à ce titre, nécessairement imparfait, émotif et dangereux pour celui qui en est l’auteur et agit à chaud, le droit de se protéger est une anticipation qui place dans les mains de chacun les clés de sa propre sécurité. C’est là une grande évolution  de notre époque : dans notre Etat de droit, pour que la justice puisse garantir notre sécurité, il devient nécessaire d’être formé et d’anticiper non seulement les potentielles agressions, mais également les suites judiciaires. En outre, 74% des Français se déclarent peu confiants quant à « la capacité du Gouvernement d’assurer leur sécurité en matière de délinquance, cambriolages et agressions ».

Ainsi, des moyens divers et variés sont désormais employés pour la protection personnelle : les cours d’auto-défense, le port d’arme blanche ou d’aérosol, l’adoption de chiens dressés pour l’attaque, les groupe WhatsApp rassemblant les hommes du quartier pour organiser une milice d’urgence (85% des Français « comprennent les organisations de voisins »)… Il y a encore l’inscription au club de tir ou au permis de chasse. La Fédération française de tir rapporte que près de 250 000 Français ont pris leur licence dans un club en 2022, soit une augmentation de 72% en dix ans. La progression des inscriptions féminines est particulièrement remarquée avec +5,4% par rapport à la saison précédente.

Et les armes à feu dans tout ça ?

Impossible de s’interroger sur la protection individuelle en éludant la protection armée. La plupart du temps, cet aspect défensif fait office de répulsif pour renvoyer les citoyens à la seule protection des forces de l’ordre (même si ces dernières années, les choses ont bien changé). Il suffit de voir les réactions des directeurs de clubs de tir : s’ils devinent que des membres viennent non pas pour le sport mais dans une optique de défense, ils les « recalent ». Autre option pour avoir une arme : le permis de chasse, détenu par cinq millions de Français en 2023 (20 000 nouveaux admis chaque année). On notera par ailleurs que les cours d’autodéfense, dans lesquels bon nombre d’inscrits ont déjà été agressés, connaissent un grand succès, notamment chez les femmes, dont les inscriptions ne cessent de grimper en flèche avec un constat partagé : « L’impression d’être assignée au statut de proie ». Depuis 2015, le taux de femmes dans les clubs de krav-maga est passé de 15 à 30% avec un même leitmotiv : ne plus subir.

Dès lors, comment expliquer le tabou qui règne sur l’autorisation du port d’arme ? La réponse tient en quelques mots : les tueries de masse américaines. Extrêmement médiatisées, d’autant plus choquantes qu’elles ont souvent lieu dans des écoles ou des églises (les rares lieux où les armes sont interdites), elles tendent à faire croire qu’une légalisation moins dure sur les armes à feu serait la porte ouverte à une violence massive et gratuite. Les Etats-Unis comptent plus d’armes que d’habitants car dans ce pays censé être en paix, le nombre de tués par balles est considérable. Il s’agit donc de pouvoir avant tout se défendre en cas d’agression (la possession d’armes de guerre, comme le fusil d’assaut, est beaucoup plus rare). Interdire les armes personnelles, c’est en laisser l’usage aux seuls  criminels. Les autoriser, c’est permettre au citoyen lambda de se sentir plus en sécurité. Selon les statistiques CPRC (Crime Prevention Research Center), le nombre de permis d’armes a été multiplié par trois à New York entre 2007 et 2016, et le nombre d’homicides a chuté de 25%.

De nombreux autres pays dans le monde disposent du droit au port d’armes, et un comparatif honnête devrait tenir compte de ceux qui ont une culture plus proche de la nôtre, comme nos voisins européens. Ainsi, en Suisse et en Finlande, qui autorisent le port d’armes, le nombre de morts par balles est extrêmement faible. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’ARPAC (association pour le rétablissement du port d’arme citoyen) milite pour plus de liberté, et donc de sécurité en la matière,  sous des conditions bien précises : être majeur et Français, ne pas avoir d’antécédents judiciaires et psychiatriques, passer un permis de port d’arme et satisfaire à une enquête de moralité, obtenir un certificat médical et s’entraîner régulièrement en club de tir…

Si l’Etat n’est plus à même d’assurer la sécurité de ses ressortissants, on peut considérer comme normal qu’ils s’en chargent eux-mêmes. Ce sont simplement  leurs droits fondamentaux. Cela ne signifie pas pour autant un retour baroque à la pensée de Thucydide : « Quand on peut user de violence, il n’est nul besoin de procès ». Il s’agirait plutôt de considérer, à l’instar de T.S. Eliot, que « malheureusement, il y a des moments où la violence est la seule façon dont on puisse assurer la justice sociale ». En ce sens, la reconnaissance de la « doctrine du château » est une nécessité pour laquelle plaide maitre Thibaut de Montbrial dans son ouvrage Osons l’autorité (Editions de l’Observatoire, 2020) : « Elle autorise d’emblée le recours à la force pour tout citoyen qui fait face à l’intrusion d’un individu menaçant à l’intérieur de son domicile », comme c’est déjà le cas au Canada, en Italie, en Suède, et dans plusieurs Etats américains. Et de rappeler que l’article de la DDHC relatif au droit d’être armé chez soi pour se défendre de toute agression avait été écarté par les confrères de Mirabeau au motif que c’était une évidence !

Pour l’instant, la plupart des moyens de « reprise en main de la sécurité individuelle » sont illégaux. Néanmoins, de plus en plus de personnes assument : « Je préfère être jugé plutôt qu’égorgé » (ou variante possible : « être jugé plutôt que de laisser ma femme se faire violer »). La vraie question étant : comment est-il possible, dans un Etat de droit, d’être confronté à une telle alternative ? La réponse libérale est en deux temps : que l’Etat se recentre sur ces fonctions régaliennes ; qu’il respecte le droit des individus à assumer leurs responsabilités et défendre eux-mêmes leurs droits lorsque l’Etat est défaillant.

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