Le Conseil constitutionnel, par sa décision du 25 avril 2024, met sur la sellette la métropole du Grand Paris (MGP). En effet, il a déclaré inconstitutionnelle (décision n °2024-1085 QPC) la règle dérogatoire de contribution au fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales applicables aux ensembles intercommunaux de la MGP. Tout cela semble bien complexe : tentons de présenter les choses de manière éclairante.
Qu’est-ce que la métropole du Grand Paris ?
Il peut paraître étonnant de devoir présenter la métropole du Grand Paris, mais elle  est méconnue (rappelons qu’une métropole est la capitale d’une province, selon son étymologie, ou plus largement aujourd’hui la capitale d’un territoire). Son origine remonte au début de la présidence de Nicolas Sarkozy. Un secrétariat d’État chargé du développement de la région capitale est créé au gouvernement et confié à Christian Blanc. L’intitulé même était déjà peu commun… En 2008, un projet du « Grand Paris » est lancé.
Il faut attendre la présidence de François Hollande pour qu’il aboutisse véritablement. La loi du 27 janvier 2014, révisée par celle du 7 août 2015, crée la MGP. Le Conseil constitutionnel a alors donné son aval au regroupement de collectivités territoriales, à savoir plus de 120 communes de Paris et des départements de la petite banlieue qui représentent plus de 7 millions d’habitants. En un mot, il s’est agi d’une nouvelle alliance forcée de communes, d’une nouvelle intercommunalité, spécifique à la capitale et aux villes proches.
Pourquoi la métropole du Grand Paris a-t-elle été créée ?
L’objectif officiel de la création de la MGP était de concurrencer les grandes métropoles mondiales telles Londres, New York ou encore Tokyo. Big is beautiful. On aura noté l’œcuménisme de nos hommes politiques de droite comme de gauche au sujet du principe même de la métropole… L’idée était qu’une zone urbaine très dense supposait un régime législatif spécifique.
Autre objectif, pas forcément compatible avec le précédent : rééquilibrer l’est et l’ouest de Paris en mettant, pour reprendre l’expression du site en ligne de la métropole, « la solidarité au cœur de ses priorités ».
La vérité était plus prosaïque et tenait à des motifs plus politiques. En 2014-2015, il s’agissait pour la gauche de s’emparer du Grand Paris… Objectif raté, comme les autres.
Un échec acté
Tant la Cour des comptes que la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France ont depuis 2022 rendu des rapports sévères sur l’échec de la MGP. Les critiques ont fusé : incapacité à remplir ses missions stratégiques, « nain budgétaire », maillon administratif supplémentaire, méconnaissance de son existence par les habitants de la région, etc.
Le 20 mars 2024, la chambre régionale a constaté au surplus que les inégalités territoriales n’avaient pas été résorbées. Pire encore au regard des objectifs affichés : les « inégalités » entre l’est et l’ouest parisiens se sont accrues depuis 2001 sans inversion de tendance…
Dès 2017, Emmanuel Macron avait souhaité refondre l’organisation institutionnelle de la région. Plusieurs options avaient été émises, d’une grande métropole absorbant l’Ile-de-France avec maintien des communes et des départements à la disparition, proposée déjà par le comité Balladur de 2009, des départements de la petite couronne. La première branche de l’alternative était soutenue par Valérie Pécresse, la seconde par Anne Hidalgo… Les choses en sont restées là , mais il était édifiant que peu de temps seulement après la mise en place de la MGP, on ait songé déjà à sa disparition ou à sa refonte…
La décision du Conseil constitutionnel
La Ville de Saint-Cloud a saisi la justice administrative en contestation de la clef de répartition du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales applicables aux ensembles intercommunaux de la MGP. En clair, ce fonds vise à juguler les inégalités entre communes dites riches et communes dites pauvres en prenant de l’argent à celles-là pour donner à celles-ci au nom de la solidarité. La Ville de Saint-Cloud considérait comme inacceptable d’avoir dû contribuer à hauteur de 38 millions d’euros depuis 2016 à un fonds qu’elle tenait pour inconstitutionnel. D’après son site en ligne, cette somme équivalait pour elle à plus d’une année de ressources fiscales.
Par sa décision du 25 avril, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, lui a donné raison. A posteriori, on est stupéfait de la légèreté du législateur qui a gravé dans le marbre une clef de répartition fondée sur une situation figée à des prélèvements calculés en 2015. Or, le Conseil a jugé que, s’il était loisible au législateur de fixer une telle clef à titre provisoire, il était impossible de le faire de manière pérenne, sauf à porter atteinte de manière caractérisée au principe d’égalité devant les charges publiques.
Il semble en effet évident qu’un fonds destiné à gommer les inégalités de richesses ne peut pas être établi sur une base de répartition fixée à une année considérée et que cette base reste inchangée plusieurs années après… Il s’ensuit qu’il cristallise les différences de traitement entre des communes situées sur un même territoire suivant qu’elles avaient bénéficié ou non d’un plafonnement en 2015 et sans que l’évolution de leurs capacités contributives soient prise en considération depuis cette date.
Pour autant, selon la décision des juges et au grand dam de son maire, la Ville de Saint-Cloud ne bénéficiera d’aucun remboursement des sommes indûment versées et le législateur, autrement dit le gouvernement, obtient un délai jusqu’au 31 décembre pour modifier le texte déclaré inconstitutionnel.
La métropole du Grand Paris est un non-sens
En prenant de la hauteur de vue, on peut dire que toute cette affaire témoigne des erreurs et des vices de la décentralisation à la française :
- la réforme constitutionnelle de 2003 sous Jacques Chirac, donc sous la droite et le centre, a consacré de manière défectueuse la subsidiarité (article 72 alinéa 2) en l’encadrant par la loi et elle a gravé dans le marbre la péréquation, autrement dit le socialisme, entre les collectivités locales, selon laquelle on doit prendre aux riches pour donner aux pauvres (article 72-2) ;
- la loi a fait de la MGP, sous couvert de « solidarité » forcée, essentiellement une collectivité de planification et de redistribution des fonds, au surplus inefficace ;
- la MGP se vante explicitement d’« harmoniser la pression fiscale pour réduire les disparités » en réduisant ainsi l’autonomie des collectivités en matière de fiscalité économique ;
- la loi a créé un nouveau millefeuille incompréhensible de collectivités et, pour paraphraser la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, d’autant plus incompréhensible que les niveaux d’administration n’ont pas forcément de relations institutionnelles : communes, territoires, départements de la petite couronne parisienne, métropole, départements de la grande couronne, région !
En bref, la France reste un pays jacobin tellement centralisé qu’il réussit l’exploit de décentraliser de manière centralisée.
L’Iref propose depuis longtemps la démarche inverse, fondée sur le principe de subsidiarité. Il faut partir de la base et non pas du sommet. Il faut laisser les collectivités locales se concurrencer, notamment sur le plan fiscal, et s’associer librement.
3 commentaires
Drôle de juge que ce Conseil constitutionnel qui n’ose pas condamner l’Etat ou à défaut ce machin qu’est ce grand Paris à rembourser la ville de Saint-Cloud
Bonjour.
Ne vous en faites pas, il sera sans doute capable de condamner certaines communes pour « inaction climatique ».
Bravo Jean Philippe !
La décentralisation à la Française est une escroquerie, « les collectivités s’administrent librement », mais à condition qu’elles obéissent aux oukases du pouvoir central (autres exemples: les dramatiques quotas SRU, ou les lois environnentales ZAN/Grenelle etc).
Cela ne pourra être réformé qu’à l’occasion d’une crise grave.