Perdus entre Paris, Dijon et Bourges, quelques dizaines d’artisans sont revenus au temps de Philippe-Auguste. Vêtus de tuniques et de pantalons de toile, une corde aux reins, ils taillent la pierre, équarrissent le bois, tressent l’osier, fondent la chaux. Les milles ressources de Guédelon, ce domaine qu’ils ont décrété seigneurial, leur offre la terre qui donne une quinzaine de couleurs, les plantes qui se retrouveront dans les teintures, le chêne des charpentes, la pierre des murs, l’eau du moulin. Ainsi, année après année, sort de terre un château fort, commencé en 1996 avec les connaissances de 1228.
Aujourd’hui, de nombreux savoir-faire médiévaux ont été perdus, on s’en est rendu compte avec l’incendie de Notre-Dame de Paris et sa charpente aux poutres pétrifiées. Comment reconstruire à l’identique quand on ne sait plus quelles techniques ont été utilisées ? Si les archéologues sont d’une aide certaine, ils ne peuvent faire que des hypothèses, qu’ils ont parfois besoin de confronter à la réalité. C’est là qu’intervient le château de Guédelon.
Une devise : construire pour comprendre
Cet ouvrage s’inscrit dans une démarche d’archéologie expérimentale. Il s’agit, avec les techniques et outils du Moyen Âge, de rebâtir, et la tâche est malaisée. Les artisans doivent souvent se réunir pour comprendre comment diable on pourrait fixer autant de fenêtres à la même hauteur, ou comment terminer cette voûte. Les anciens ne sont plus là pour le raconter, et les théories des archéologues sont parfois inexactes, l’expérience le prouve. Alors on teste, on discute, on échoue, jusqu’à trouver enfin la solution probablement en vigueur au XIIIe siècle, cet âge d’or où, un tant soit peu libérée des guerres et des épidémies, la France a pu, sous l’égide de Philippe-Auguste, se couvrir de châteaux forts matérialisant l’expansion du territoire. Ici, pas de grue, mais des cabestans, des cages à écureuil, des louves, des chèvres, qui permettent tout de même de soulever des matériaux d’une tonne. Pas de camions, mais des charrettes, et encore moins d’électricité ou de mécanisation. Dans les ateliers des artisans, vous ne trouverez guère, comme objets échappés du XXIe siècle, que des chaussures, des lunettes, et surtout des protections de chantier. Casques drôlement recouverts d’une calotte de cuir, lunettes de protection contre les éclats de pierre, masques pour la poussière, dont la blancheur contraste avec la rougeur du terrain.
Les touristes déambulent entre les différents artisans, lisant les pancartes qui expliquent les anciens métiers – apprenez à ne plus dire « bûcherons » mais « tavaillonneurs » – et les matières premières utilisées, et surtout pressant les « oeuvriers » de questions. De petits ateliers sont d’ailleurs prévus, comme l’initiation à la taille de la pierre, ou encore un jeu de construction où, armé de morceaux de bois représentant des pierres taillées miniature, on doit construire une voûte. Les effondrements bruyants des tentatives des petits et des grands montrent que cela n’est pas si facile ! Les oeuvriers s’interrompent régulièrement pour expliquer leur technique, pourquoi équarrir un tronc à la hache suit mieux la ligne du bois que le découpage à la scie, dispenser des précisions techniques sur les alliages de métaux que les touristes passionnés de chimie ont l’air de comprendre et dire le temps que leur prend tel ou tel ouvrage.
Renaissance du Moyen Âge et création d’emploi : ce que fait naître une entreprise privée
Si Guédelon, pendant les cinq premières années, a vécu de subventions dispensées notamment par le groupe Canal Plus, c’est aujourd’hui une entreprise privée financée exclusivement par la billetterie, dont les prix ne sont pourtant pas rédhibitoires. Le château reçoit 300 000 visiteurs par an. Alors que les oeuvriers étaient autrefois des bénévoles, ils sont aujourd’hui salariés, avec une trentaine de CDI et quelques stagiaires, dont certains se forment pendant une semaine. Selon l’une des guides, on dit là-bas « chroniqueuse », ce fonctionnement « a permis de créer de l’emploi dans une région où il n’y en avait pas beaucoup ».
Visiter Guédelon est aussi l’occasion de mieux comprendre les us et coutumes d’une période mal connue et sous-estimée du grand public, qui n’en entend guère parler qu’à l’école. On s’étonne ainsi de croiser des femmes chez les tailleurs de pierre et les tavaillonneurs, et l’on apprend qu’au XIIIe siècle, nombreuses étaient les femmes artisans, payées autant que les hommes et parfois chefs d’entreprise. Elles pouvaient s’occuper de la comptabilité et, si le château était attaqué en l’absence du seigneur, son épouse menait l’attaque. De quoi ravir les féministes, qui ont bien des mots durs pour cette époque. On apprend aussi un nouveau type de comportement écologique, centré sur l’utilisation de tout ce que peut offrir la nature. En effet, les ressources sont précieuses et les transformer a demandé du travail et de l’énergie. Dès lors, hors de question de jeter une corde un peu abîmée : elle enveloppe les pierres pour les protéger pendant le transport. Les ressources au Moyen Âge étaient exploitées selon certains traités, et on sait, lorsqu’on coupe un arbre, quelle pièce on en fera. Faut-il un chêne droit ou courbe ? De quelle taille ? Sa ligne convient-elle ? Enfin, entrant dans le bâtiment, on découvre les techniques de séparation des eaux propres et usées.
A quelques centaines de mètres du château, éloignés des oeuvriers pour préserver l’ambiance médiévale, on trouve des panneaux expliquant les différents corps d’ouvrage et un écran qui diffuse quelques vidéos sur le projet. L’un des intervenants explique que la bâtisse est un « habitat écologique » et que l’on « prend la nature pour en faire des maisons ». On ne sait si les activistes écologiques les plus virulents seraient d’accord avec cette définition, mais l’on prend plaisir à redécouvrir ce que la nature offre, et comment nos ancêtres l’utilisait.
4 commentaires
Merci Adélaïde
Très beau exposé qui a le mérite de « remettre les choses à leur place »
Faudra maintenant que l’Education Nationale, procède à des mises à jours.
Cordialement
PhB
Petite correction de français: fallait lire Très bel exposé:
le message devient:
Merci Adélaïde
Très bel exposé qui a le mérite de « remettre les choses à leur place »
Faudra maintenant que l’Education Nationale, procède à des mises à jours.
Cordialement
PhB
Merci pour ce petit reportage. Un projet un peu fou qui devrait en appeler d’autres. C’est grâce au désintéressement des initiateurs que ce projet a vu le jour. On ne parle plus des difficultés rencontrées au départ, on les oublie un peu vite et il serait bon de les relater. Malgré tout, un grand remerciement à l’IREF pour nous faire parvenir ce genre de reportage qu’on ne voit nulle part. La revue Système « D » consacre chaque mois un petit article sur Guédelon.
Article très intéressant qui donne envie d’aller visiter ce château de Guédelon