Dans son dernier livre, Refaire la France (Paris, Bouquins Éditions, 2023), Jean-Pierre Chevènement nous fait part de son programme pour rétablir la place de la France dans le monde. On ne sera pas surpris d’y trouver un manifeste en faveur d’un État stratège de type colbertiste, ayant notamment pour fonction de soustraire la vie économique du pays à l’horrible mondialisation par le marché (cf. le chapitre « Réindustrialiser la France », écrit par Louis Gallois). Pouvait-il en être autrement de la part de quelqu’un qui n’a jamais fait mystère de sa profonde détestation du capitalisme de laissez-faire et de l’individualisme libéral (la principale cause, selon lui, du mal français) ?
Créditons néanmoins Jean-Pierre Chevènement d’une certaine lucidité sur l’écologisme idéologique, qu’il rattache à un mouvement plus général de remise en cause des principes de la civilisation occidentale moderne tels que la croyance dans le progrès. Le point de basculement se situe selon lui à la fin des 1960 : « à l’horizon de l’Histoire, écrit-il avec justesse, la catastrophe se substituait au progrès, à la confiance en la raison et en l’homme, le retour à la divinisation de la Nature et la peur de l’avenir à l’idéologie des Lumières » (p. 23). L’ancien ministre de l’Intérieur a aussi raison de mettre en garde contre la « folie de réglementation punitive (NDLR : partant de l’idée que l’être humain est nécessairement le seul et unique responsable du changement climatique) de laquelle pourraient résulter maintes crises » (p. 24, souligné par nous).
Mais il perd de sa lucidité lorsqu’il écrit un peu plus loin cette double énormité : « Ainsi, l’écologisme ne sauve pas la gauche du néolibéralisme : il l’y enfonce encore davantage (sic) » (p. 24). Dans un pays où la gauche n’a eu de cesse d’alourdir les prélèvements et d’élargir la sphère d’influence de l’État dans l’économie, il est cocasse de lire qu’elle serait devenue « néolibérale »… On voit par ailleurs mal en quoi l’écologisme exacerberait cette hypothétique tendance. En fait, Jean-Pierre Chevènement ne parvient pas à voir l’individualisme libéral autrement que comme une religion, ainsi lorsqu’il dénonce chez ses défenseurs « un optimisme de béton au nom d’une confiance globale faite à la mystique européenne et aux vertus du marché globalisé » (p. 28). Si Jean-Pierre Chevènement redécouvrait les fondements du libéralisme (Pierre de Boisguilbert, Condillac, Adam Smith, Jean-Baptiste Say, etc.), il comprendrait peut-être que le libéralisme est une philosophie rationnelle de la liberté assise sur l’observation des faits, et non une idéologie au sens où le fut le marxisme ; qu’il est non la négation mais au contraire une composante essentielle des Lumières, esprit qu’il aspire tant – avec raison – à réhabiliter pour la France des années à venir.
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Tant que nous aurons des technocrates institutionnels au pouvoir, et cela risque de durer, mieux vaut éviter les prétentions d’un État prétendument « stratège » qui nous mène droit dans le mur…