« Toi qui as soif, sois chant. Chante et tu seras sauvé, et tout sera sauvé ». C’est cette voix intérieure qui sauva le petit Cheng de la guerre, de ses échecs universitaires, de son exil, et qui donna sans doute à ses parents la compréhension de ce fils si différent des trois autres. Dès les premières pages, le livre est bouleversant de sincérité et d’humilité. Car l’Académicien de nos jours n’avait, en arrivant en France à dix-neuf ans à peine, rien pour bagage si ce n’est l’amour parental et un essai écrit très jeune à la gloire de l’eau. Cette eau qui bouillonnait dans sa Chine natale ne l’a jamais quitté. Dans l’Ile-de France ou le Valais Suisse, elle incarne la réversibilité du temps. « Marcher jusqu’au point où tarit la source » sera le vers de F. Cheng qui séduira un grand nombre de philosophes et écrivains confirmés, percevant à travers son intelligence poétique toute la philosophie chinoise. Le verbe et la pensée de F. Cheng ne font qu’un, sa gratitude pour ceux qui l’ont sorti de sa solitude rend le chant français une évidence : «de tous les mots français se détache un diamant »… Alors il traduit Michaux en chinois, ravive le message orphique de Rilke, avoue son « ascèse implacable » pour « être l’intraitable serviteur du verbe » et nous relier au divin. Car l’important c’est de réunir les deux royaumes, ceux de la lumière et des ténèbres, des vivants et des morts. Couper nos liens avec l’au-delà, c’est réduire la vie au néant.
F. Cheng incite à suivre cette « voie mystérieuse de protection-transmission » seulement possible en passant par l’amour. Il rejoint ainsi le don christique. Très beau partage de toute une vie laborieuse à résonance à la fois taoïste et chrétienne, compensatoire de la trépidation du monde.