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Tocqueville

Sophie Vanden Abeele-Marchal

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Sophie Vanden Abeele-Marchal, maître de conférence à la Faculté des lettres de Sorbonne-Université, brosse dans sa biographie de Tocqueville (1805-1859) nouvellement parue aux éditions du Cerf un intéressant et vivant portrait de l’intellectuel, de l’homme d’État – il fut député de la Manche de 1839 à 1851 et ministre des Affaires étrangères en 1849 – et du voyageur que fut l’auteur de La Démocratie en Amérique (1835-1839). Mais aussi de l’écrivain, et nous nous réjouissons en cela de voir qu’elle consacre tout un chapitre à cet aspect de l’œuvre et du personnage de Tocqueville. Car Tocqueville fut non seulement un immense homme d’idées, un observateur hors pair du fonctionnement des États-Unis, un excellent analyste de l’Ancien Régime et de la Révolution (titre même de son autre grand livre, paru en 1856), il fut aussi un écrivain au talent exceptionnel, qui s’exprima dans le genre de l’essai plutôt que du roman.

L’histoire de Tocqueville, c’est déjà l’exemple d’un individu qui sut rompre avec son milieu : issu d’une famille normande légitimiste (les légitimistes étaient pour rappel partisans du droit au trône de la branche aînée des Bourbons), Tocqueville renonça à cet héritage, comprenant que la France vivait depuis plusieurs décennies un tournant historique sans précédent vers une nouvelle forme d’organisation sociale et politique : la démocratie libérale. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Tocqueville choisit d’aller observer sur place la société américaine (il s’y rendra initialement pour comparer le système pénitentiaire français à son pendant américain), ainsi que l’écrit Sophie Vanden Abeele-Marchal dans le chapitre IV (« Le Voyageur ») :

« Analyser les conditions d’existence et de fonctionnement de cette « vaste république », c’est méditer un choix idéologique d’envergure. C’est en effet reconnaître la réalité du processus de transformation dans lequel la France est engagée – Tocqueville, qui l’a pourtant envisagé en 1824, ne part significativement pas en Angleterre sur la piste d’une monarchie parlementaire conforme aux modèles des libéraux doctrinaires. Faire ce voyage, c’est (…) rompre avec le conformisme des milieux légitimistes qui ne voient alors en l’Amérique que des mœurs frustes et un mode de gouvernement « en enfance » (p. 81-82).

Opter pour les États-Unis plutôt que pour l’Angleterre (où il se rendra néanmoins également) c’est aussi, comme le souligne l’auteure, « suivre le conseil de Chateaubriand (NDLR : son oncle) lorsque celui-ci, en 1827, invite ses lecteurs à renouveler l’exploration des États-Unis pour comprendre ce qu’il est advenu d’ « une république d’un genre inconnu jusqu’alors, annonçant un changement dans l’esprit humain et dans l’ordre politique » (p. 83, nous soulignons).

On lira notamment cette biographie pour mieux comprendre qui fut cet intellectuel d’une saisissante modernité, contempteur de l’ « omnipotence des majorités » (Tocqueville fut un des plus remarquables penseurs de la notion de « tyrannie de la majorité ») et annonciateur des plus lucides des méfaits du paternalisme d’État, foncièrement déresponsabilisant. Ainsi que le rappelle Mathieu Laine dans son Dictionnaire amoureux de la liberté (Plon, 2016, p. 733), Tocqueville dénonça le 12 septembre 1848 à la Chambre des députés l’idée d’une constitutionnalisation du « droit au travail » : s’en remettant entièrement à l’État pour trouver du travail, les individus perdraient alors dangereusement le goût de l’effort et de l’initiative personnelle. La critique tocquevillienne de l’étatisme infantilisant reste aujourd’hui d’une actualité brûlante, l’auteur de L’Ancien Régime et la Révolution pourfendant cette idée que « la sagesse seule est dans l’État, que les sujets sont des êtres infirmes et faibles qu’il faut toujours tenir par la main, de peur qu’ils ne tombent ou ne se blessent », et considérant « qu’il est nécessaire de réglementer l’industrie, d’assurer la bonté des produits, d’empêcher la libre concurrence » (cité p. 733).

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