Le 3 juillet sur TF1 le Premier Ministre Valls a fustigé la directive européenne de 1996 permettant le travail détaché. Dénonçant « un dispositif européen qui fait des ravages majeurs, terribles », M. Valls a appelé à « changer » afin d’obtenir « une égalité de traitement, par le haut, pour lutter contre le dumping social » qu’il a qualifié d’« insupportable ». L’idée du Premier ministre est ainsi que les cotisations sociales à payer d’un salarié détaché soient désormais celles du pays « où elles sont le plus élevées ». Menaçant l’Europe, le Premier ministre a insisté : « Si on ne nous entend pas, il faudra dire que la France n’applique plus cette directive »,
Après une modification en 2014 pour contrecarrer les fraudes liées au détachement, la directive est en cours de révision depuis le printemps 2016 (notamment à l’initiative de la France). Cette révision ne porte pas sur les cotisations sociales mais sur l’égalité entre salaires détachés et nationaux, les droits des salariés détachés plus de deux ans ainsi que l’encadrement du détachement d’intérimaires et des chaines de sous-traitance. Sans surprise, les pays de l’Est voient cela plutôt d’un mauvais œil : dix pays de l’Est et le Danemark ont ainsi entamé une procédure de « carton jaune », poussant la Commission à réexaminer le dossier. En mettant ce sujet des cotisations sur la table, Monsieur Valls tente certainement de faire montrer la pression.
Travailleurs détachés : un atout pour la France
Le travailleur détaché, nouveau « plombier polonais » ? Avec 83% d’ouvriers dans les travailleurs détachés, il est fort probable que la question des cotisations soit mineure. Au niveau du smic et un peu plus en effet, les cotisations ont été fortement écrasées par les diverses mesures d’abaissement du coût du travail en France, mais aussi le CICE, comme l’a rappelé la députée PS Valérie Rabault. Les coûts salariaux sont alors assez comparables avec les pays de l’Est.
Il est cependant certain que pour les salaires s’éloignant du smic, le coût élevé de la protection sociale française est un handicap. Mais faut-il alors blâmer les autres ou plutôt nous-mêmes pour son coût excessif ? Faut-il faire payer aux autres notre incapacité à réformer ?
Que donnerait de toutes les façons une sortie de la France de cette directive ? En fait, les entreprises françaises envoient plus de 135 000 travailleurs détachés chez nos voisins européens, représentant ainsi le troisième pays européen « exportateur » en la matière, après la Pologne et l’Allemagne… En outre, les travailleurs détachés font bien souvent le travail que des Français ne savent plus ou ne veulent plus faire.
Autant dire, donc, que la France se tirerait une balle dans le pied en n’appliquant plus la directive. Et ce d’autant que la Commission engagerait une procédure d’infraction à l’encontre de la France, qui aboutira sans nul doute à une condamnation et à une amende.
Eriger des murs contre le travail et l’emploi : le « Valls Trumping »
A l’image de M. Trump et des murs qu’il veut ériger aux États-Unis contre les Mexicains, M. Valls voudrait lui un nouveau mur – de charges sociales – contre les étrangers de l’Europe de l’Est et (paradoxe, pour cet espagnol naturalisé français) de la péninsule ibérique qui viendraient en définitive (même si cela n’est pas dit comme cela) « voler le travail des Français ». M. Valls parle de dumping social, mais joue la carte du « Trumping Social » si l’on peut dire. Il n’est pas surprenant qu’on ait soutenu son idée au Front National.
En réalité, les élections de 2017 approchent à grand pas. L’exécutif a déjà lâché du lest sur les économies budgétaires dans la recherche, sur le gel du point d’indice des fonctionnaires – deux clientèles électorales « naturelles ». Il a également promis la prolongation de la prime à l’embauche dans les PME ou la baisse d’impôts sur les ménages (qui, logiquement, visera en priorité la classe moyenne).
Au-delà des intérêts catégoriels, il s’agit donc aussi de « ratisser large ». Et pour cela, quoi de plus efficace que de faire appel au bon vieux réflexe protectionniste français ? Le refus catégorique du Traité de libre échange entre l’Europe et les États-Unis (TAFTA) par M. Valls, tout comme ces récentes sorties sur le travail détaché semblent participer de cette stratégie.
Manuel Valls pousse vers une nouvelle Europe moins libérale
Au-delà de la politique nationale, c’est aussi une stratégie de reconquête française de l’Europe. Comme beaucoup le craignaient, la sortie de la Grande-Bretagne « libérale » de l’Union va laisser bien plus de marge de manœuvre aux stratégies « anti-libérales » de la France, (qui recevront évidemment l’étiquette de « sociales », même si elles sont tout le contraire). Et Monsieur Valls ne s’en est d’ailleurs pas caché : pour lui, le Brexit permettra de « refonder » l’Europe… socialiste – n’en doutons pas.