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L’octroi de mer : une taxe nocive pour le développement et le pouvoir d’achat des ultramarins

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Au mois de juillet 2023, à la suite d’une réunion du comité interministériel des outre-mer, le Gouvernement avait annoncé, au sein d’un énième plan de 72 mesures destinées à améliorer le quotidien des ultramarins, la mise en œuvre d’une réforme de l’octroi de mer.

L’idée de supprimer cette taxe qui fleure bon l’Ancien Régime est, en réalité, dans les cartons de Bercy depuis un certain temps, mais sa suppression se heurte à l’opposition farouche des élus des DROM (départements et régions d’outre-mer), peu désireux de laisser s’échapper la manne providentielle d’un impôt qui abonde directement le budget de leurs collectivités.

Quelques mois plus tard, et alors que la mesure doit être intégrée au projet de loi de finances pour 2025 qui sera examiné à l’automne par le Parlement, la Cour des comptes a mené une violente charge contre le plus vieil impôt de France dans un rapport pointant du doigt son inefficacité sur le plan économique et son effet inflationniste sur le coût des biens de consommation importés dans les territoires ultramarins.

Une usine à gaz moyenâgeuse…

L’octroi est la taxation de certaines marchandises circulant à l’intérieur même d’un pays, qui date du XIIe siècle. Supprimé pendant la Révolution, il a été réintroduit par le Directoire et n’a finalement été aboli qu’en 1943. L’octroi de mer remonte, lui, à 1670 en Martinique, et a été recréé en 1819.

La principale particularité de cette taxe est que, depuis le XIXe siècle, elle sert à financer directement les communes et, comme le note la Cour, « vise également à compenser les surcoûts subis par les entreprises locales en raison des handicaps structurels[1] des territoires ultramarins et à les protéger de la concurrence extérieure ». Cette forme de protectionnisme interne s’est peu à peu heurtée aux règles imposées par Bruxelles, au fur et à mesure du développement de l’Union européenne.

Au financement des collectivités ultramarines s’est substitué un autre objectif, celui de renforcer l’industrie locale et d’améliorer la compétitivité des entreprises. Un octroi de mer interne a donc été créé pour 900 produits locaux sur lesquels les collectivités compétentes peuvent décider d’un écart de taxation (compris entre 20 et 30 %) avec les produits importés, qui doit néanmoins rester compatible avec le droit européen.

De fait, il existe non pas un mais quatre octrois de mer, qui ont rapporté 1,6 Mds€ en 2022 : l’octroi de mer interne (OMI), externe (OME), l’octroi de mer régional interne (OMRI) et régional externe (OMRE). Après leur création en 1981, les régions ont bien évidemment réclamé leur part du gâteau…

Cette ressource, dont le rendement (+ 4,64 % par an entre 2014 et 2022) recouvre un tiers du budget des communes, départements et régions d’outre-mer, et qui est directement affectée à leurs dépenses de fonctionnement via sa transformation en DGG (dotation globale garantie), entretient, par là même, un cercle vicieux de la dépense publique et favorise la sur-administration.

Illisible pour les entreprises (le système comporte 15 000 lignes tarifaires), l’octroi de mer est également miné par un ensemble d’exonérations qui grèvent son rendement d’environ 490 M€.

… en grande partie responsable du haut coût de la vie outre-mer

Aucun impact positif sur l’économie des territoires concernés n’a pu être décelé par la Cour, ni sur la création d’entreprises, ni sur leur compétitivité. Or, elles sont véritablement privilégiées puisqu’elles ont accès librement à l’ensemble du marché européen et qu’elles-mêmes voient leurs positions protégées.

Les balances commerciales des DROM sont toutes déficitaires et se sont même dégradées entre 2019 et 2022. Ce déficit est passé de 1,8 à 2,9 Mds€ à La Réunion, de 1 à 1,5 Mds€ en Guadeloupe, de 0,9 à 1,4 Mds€ en Martinique et de 1,4 à 1,8 Mds€ en Guyane.

L’octroi de mer, tout comme les bonifications de rémunération des fonctionnaires, a sa part de responsabilité dans la cherté de la vie dont se plaignent fréquemment nos compatriotes ultramarins. Pour l’Autorité de la concurrence, il contribue à un surcroît d’augmentation des prix à la consommation dans les territoires, variant de 7 à 12,5 %, et touche majoritairement les produits alimentaires (avec un écart de prix compris entre 28 et 38 %). Ce sont donc les ménages les plus modestes, dont la propension à consommer est plus forte et dont la part de dépenses tournées vers les produits taxés est plus importante, qui sont le plus fortement pénalisés.

Sébastien Mathouraparsad, dans un article de Revue économique, avait ainsi calculé que sa suppression pourrait entraîner une baisse des prix de 7 % et générer un gain de pouvoir d’achat de 4,3 % en euros constants. Dans leur immense majorité, les biens qui subissent ce type de fiscalité ne peuvent, en réalité, être produits sur place et doivent être importés, même à prix majoré. L’impact économique de l’octroi de mer peut donc être considéré comme négatif puisqu’il pousse au maintien d’une économie rentière et décourage la concurrence.

La meilleure solution serait donc de le supprimer purement et simplement, et de le remplacer, pour une période limitée et prédéterminée, par un taux de TVA additionnel négocié entre l’État et les collectivités, moyennant quoi des objectifs de baisse de la dépense publique seraient fixés sur le modèle des contrats de Cahors et ce taux additionnel s’éteindrait avec le temps.


[1] Définis par le traité de fonctionnement de l’Union européenne comme « l’éloignement, l’insularité, la faible superficie, le relief, le climat difficile [et] la dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits ».

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