Personne ne pense spontanément à associer l’armée et l’écologie. Qu’y a-t-il en effet de plus destructeur pour l’environnement – et les humains – qu’une guerre, comme nous le montrent chaque jour les conflits qui émaillent la planète ? Néanmoins, l’armée française se veut « verte » et s’est dotée de plusieurs « stratégies » et plans portant sur le climat, l’énergie, l’eau ou encore la préservation de la biodiversité.
Nos militaires vont-ils bientôt quitter leur treillis kaki pour revêtir une veste verte, à l’instar de la dirigeante d’EELV Marine Tondelier ? La question n’est pas si incongrue qu’il y paraît quand on prend connaissance de l’engagement écologiste de l’armée française.
La stratégie « Climat & Défense »
Présentée en avril 2022 par la ministre des Armées de l’époque, Florence Parly, la stratégie « Climat & Défense » vise à engager durablement les armées dans l’adaptation au changement climatique. Cette démarche s’articule autour de deux grands axes principaux :
- « développer les connaissances et les capacités d’anticipation sur les enjeux stratégiques du changement climatique », car nous savons que les phénomènes climatiques peuvent exacerber des tensions susceptibles de déboucher sur des crises ouvertes voire des conflits ;
- « engager une dynamique d’adaptation de l’outil de défense aux bouleversements prévisibles induits par le changement climatique », qui consiste, par exemple, à se préparer à évoluer sur des théâtres d’opération subissant des températures élevées ou dans des environnements où l’accès à l’eau est compliqué.
Le document rappelle que les armées sont engagées activement dans la protection de l’environnement. Un quart de l’activité opérationnelle des bâtiments de la Marine nationale y est par exemple consacrée. Les armées participent aussi aux opérations de lutte contre les activités illicites d’orpaillage, destructrices de la forêt guyanaise.
Elles se préparent également à être davantage sollicitées, sur le territoire national et au niveau international, pour des opérations de secours aux populations en cas d’aléas météorologiques extrêmes ou pour lutter contre les feux de forêt.
La stratégie énergétique
L’engagement écologique de l’armée ne s’arrête pas là . Il porte en particulier sur l’énergie. En 2020, le ministère de la Défense a adopté une « stratégie énergétique » censée contribuer aux politiques publiques de développement durable et de transition énergétique, et participer aux objectifs gouvernementaux en matière d’atténuation du changement climatique. Les armées françaises veillent depuis lors à « consommer sûr, mieux et moins ».
Il est vrai que l’armée est une grosse consommatrice de carburants, mais cela signifie-t-il, entre autres, que nos avions vont réduire leurs heures d’entraînement (hors problèmes de budget des armées comme on en a tant connu avant les toutes dernières lois de programmation militaire) ? Fort heureusement, il semble que non puisqu’il est jugé essentiel de préserver la ressource énergétique nécessaire à l’entraînement des opérateurs. Ainsi les aviateurs devraient pourvoir continuer à accumuler les heures de vol qui leur sont indispensables.
Néanmoins, il est demandé aux militaires de recourir davantage à la simulation d’entraînement dans des environnements virtuels ou en réalité augmentée. Le ministère rappelle que l’utilisation des simulateurs de tir et de conduite, de vol ou d’opération des systèmes de combat s’est généralisée et, est-il ajouté, « qu’elle présente un bilan énergétique favorable ».
En revanche, la sophistication de plus en plus grande des systèmes d’armes et de communication (par exemple lunettes de vision nocturne, drones, robots, capteurs, mais aussi stockage des données et leur climatisation, etc.) fait que leur consommation énergétique est en progression constante. Dans sa « stratégie énergétique », le ministère souhaite donc que l’on étudie les moyens d’adapter les méthodologies d’optimisation énergétique aux spécificités militaires.
Le ministère veut par ailleurs mettre en œuvre une politique de sobriété numérique. Il souhaite ainsi que l’empreinte environnementale soit prise en compte dans le choix des solutions d’hébergement de l’informatique. En particulier, les data centers devront récupérer systématiquement la chaleur émise par les équipements. L’écoconception des logiciels devra être également privilégiée tant en interne qu’en externe (en introduisant ce critère dans les marchés afin d’influer sur les constructeurs et les éditeurs).
Enfin, il semble important pour les responsables de la défense de maîtriser les flux énergétiques des bâtiments, les infrastructures représentant 27% de la consommation énergétique du ministère des Armées. Le parc immobilier (25 millions de mètres carrés) devra être renouvelé selon des standards de basse consommation en énergie et de faible émission carbone. En matière de chauffage, il s’agira de supprimer le charbon et le fioul pour recourir aux énergies renouvelables (photovoltaïque, biomasse, géothermie, gaz vert, raccordement à des réseaux de chauffage urbain, etc.).
Soulignons également que le ministère considère comme capital de faire évoluer les mentalités des troupes. Il rappelle que la consommation annuelle moyenne d’énergie de son personnel représente près du double de celle des actifs, tous secteurs d’activité confondus. Aussi songe-t-il à former les élèves aux enjeux et aux usages énergétiques dans les écoles et les centres de formation initiale et continue des armées. Surtout, il verrait bien la mise en place d’officiers chargés d’améliorer l’efficacité énergétique en opération. Des espèces de « commissaires verts » chargés de faire adopter des comportements écoresponsables (sobriété comportementale et d’usage, surveillance des dérives, etc.).
La stratégie de préservation de la biodiversité
Adoptée en 2021, la stratégie de préservation de la biodiversité de l’armée française vise à mettre en œuvre une gestion écologique efficace et adaptée des emprises militaires, qui représentent 275 000 hectares. Elles sont pourtant déjà à l’abri de l’urbanisation et d’’une exploitation intensive, à tel point qu’elles abritent une biodiversité souvent plus riche que les terrains civils. Mais cela ne suffit manifestement pas. Il est ainsi demandé à nos militaires d’intégrer des méthodes alternatives à l’emploi de produits phytosanitaires pour gérer leurs espaces verts, de procéder à des aménagements et plantations en faveur des pollinisateurs, ou encore de contrôler l’utilisation de l’eau et l’emploi des engins mécaniques.
Il s’agira, là aussi, d’attirer l’attention des élèves des écoles militaires sur la biodiversité et d’organiser des actions de sensibilisation destinées aux  agents des sites militaires à l’occasion de la semaine du développement durable et d’autres évènements à caractère national ou régional (journée des zones humides, etc.).
L’armée devra aussi – ce n’est qu’un exemple – participer à l’objectif national de restauration de 50 000 hectares de zones humides d’ici 2026 (par exemple par l’entretien de la végétation en zones humides comme dans les tourbières). A cet égard, mentionnons l’existence d’une « stratégie ministérielle de l’eau de nos armées » (plan eau 2030) présentée au mois de juin 2024 par Patricia Mirallès, secrétaire d’Etat chargée des Anciens Combattants et de la Mémoire qui a déclaré vouloir y consacrer 420 millions d’euros (M€).
Autant nous pouvons comprendre que l’armée française prenne en compte les conséquences des bouleversements climatiques sur son activité et sur ses capacités d’intervention, autant il est difficile d’imaginer qu’elle consacre du temps et des moyens humains et financiers à limiter l’empreinte carbone de ses chars d’assaut. Car si le ministère ne communique pas sur son empreinte carbone actuelle, les chiffres qui circulent cependant indiquent que les armées françaises représenteraient 1% des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES). C’est-à -dire pas grand-chose. Tout ce qui sera fait pour réduire ces GES ne pourra avoir qu’une faible incidence.
Trottinettes électriques contre « go fast », qui va gagner ?
Le plus grave n’est pourtant pas là . Le plus grave, c’est que nos dirigeants veuillent faire de l’écologisme une obsession pour nos militaires. Les armées ne risquent-elles pas de perdre de vue la finalité de leurs missions ?
Ainsi la gendarmerie s’est-elle dotée d’un commandement pour l’environnement et la santé. Elle a aussi créé une application pour aider les militaires à recenser les infractions environnementales et a lancé un plan pour former 3 000 enquêteurs spécialisés dans l’environnement. Pendant ce temps-là , le narcotrafic s’étend et l’insécurité progresse sur l’ensemble du territoire.
Dans la région Nouvelle -Aquitaine, la gendarmerie s’est équipée de VTT, de motocyclettes et… de trottinettes électriques tout-terrain. C’est bien beau, mais est-ce une priorité ? Est-ce ainsi que les gendarmes comptent poursuivre les go fast des trafiquants de drogue ? Ne faudrait-il pas aussi les équiper de véhicules motorisés surpuissants ?