Les syndicats se sont montrés particulièrement audibles pendant le mouvement contre la réforme des retraites, mais restent particulièrement impopulaires au sein de la population française.
Atlantico : Les syndicats se sont montrés particulièrement audibles pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Mais faut-il voir dans cette visibilité le signe d’une revitalisation des syndicats ?
Jean-François Amadieu : Avant le conflit des retraites, on avait noté que les organisations syndicales voyaient leurs taux d’adhésion augmenter légèrement depuis deux ans. Elle n’était pas pour autant visible dans les sondages. Il faudra voir si la mobilisation des retraites a augmenté la confiance dans les organisations syndicales, puisque c’est l’un des marqueurs où les syndicats sont faibles. Nous n’avons pas de chiffres officiels sur les trois derniers mois sur la tendance à l’œuvre. L’histoire veut que quand il y a des grands conflits sociaux, nationaux, cela conduit à augmenter les taux d’adhésion. On peut penser que, les organisations syndicales ayant offert une meilleure image car étant unies (la division du front syndical leur étant historiquement reproché), cela se produise encore. A noter que l’amélioration de la vitalité des syndicats est, actuellement, observable ailleurs en Europe, notamment au Royaume-Uni. Et on observe une tendance similaire aux Etats-Unis.
L’une des explications du regain des organisations syndicales en France est sans doute la déshérence des partis politiques, notamment de gauche. Cela donne l’impression, comme le disait Laurent Berger, que ce sont les syndicats qui représentent aujourd’hui le monde du travail.
Nicolas Lecaussin : On le sait très bien (même si certains font semblant de l’ignorer), les syndicats français ne représentent plus personne. Depuis le début des années 1980, le taux de syndicalisation s’est écroulé : – 75 %. Aujourd’hui, il n’y a que 10.3 % de salariés syndiqués (18.4 % dans la fonction publique et 7.8 % dans le privé). Plus intéressant encore est le fait que, contrairement à ce que soutiennent les représentants des organisations syndicales, les ouvriers ne les suivent pas. Seulement 9 % des ouvriers sont syndiqués contre 11.6 % des professions intermédiaires. C’est la catégorie socioprofessionnelle qui compte le moins de syndiqués ! Les travailleurs ont très probablement compris que les solutions marxisantes n’améliorent pas leur condition. Au contraire. De même, les jeunes (moins de 30 ans) ne sont que 2.7 % à adhérer alors que les plus de 50 ans sont 14.7 %.
Contrairement à ce qu’ils soutiennent, le fait de manifester ne veut pas dire que les Français sont avec eux et ce n’est pas non plus le signe d’une revitalisation. S’il y a 1 million de manifestants dans la rue, faut-il rappeler que ce n’est que 1.5 % de la population française ? La pétition en ligne lancée par les syndicats et intitulée « Retraites : non à cette réforme injuste et brutale ! » a recueilli, le 30 avril, seulement 1.174.341 signatures. C’est loin des 29.2 millions d’actifs en France ! De toute façon, dans un pays démocratique, ce n’est pas aux syndicats non-représentatifs ou à la rue de faire les lois. C’est aux élus du peuple et aux institutions démocratiques. Bonne ou mauvaise, la loi doit être respectée.
Les syndicats sont, depuis plusieurs décennies, assez largement impopulaires en France. Sont-ils devenus inadaptés à la manière dont fonctionne le pays ?
Jean-François Amadieu : Les syndicats sont considérés comme des institutions qui participent au système, au même titre que les partis politiques. En France comme ailleurs, les citoyens n’ont confiance ni envers les médias, ni envers les politiques, ni envers les syndicats. Mais opinion et adhésion sont deux choses différentes. L’adhésion est très basse en France, mais ce n’est pas nécessairement un indicateur pertinent en comparaison internationale, car le rôle des syndicats n’est pas le même partout.
La faiblesse des organisations syndicales tenait en partie à leur communication. Il y a un changement de direction qui est en train de s’opérer, avec des femmes, issus de parcours différents (des cadres plus jeunes). Cela pourrait amener la CGT et la CFDT à mieux communiquer, à être plus en phase avec les Français et les salariés les plus jeunes. L’arrivée de Sophie Binet n’est pas anecdotique. Ce qui affaiblit aussi les organisations syndicales, c’est que leur rôle, important, dans le domaine du paritarisme est de plus en contesté. Le président de la République, notamment, estime qu’il faut faire évoluer ce modèle de gouvernance. Et les organisations syndicales et patronales ne sont pas d’accord pour que le paritarisme passe à la trappe. Les réformes de la fonction publique les ont affaiblis, tout comme la réforme de la représentation du personnel qui a réduit leurs moyens humains et financiers.
C’est une autre question de savoir si la forme syndicale elle-même est désuète et dépassée. Il n’y a pas d’élément qui le laisse vraiment penser. L’histoire syndicale est secouée de fluctuations. Mais il n’y a pas de mouvement irréversible de déclin. Il y a eu un fort déclin entre 1980 et ces dernières années, mais la pente semble plutôt s’inverser. Il y a des signes de renouveau.
Nicolas Lecaussin : Il y a quelques jours, nous avons publié le témoignage d’un dirigeant d’entreprise qui recevait la marchandise au port de Marseille. A cause des grèves et des blocages de la CGT, il a quitté ce port et est allé à Rotterdam. Les syndicats français ont fait des ports français les ports à éviter : sur les 370 ports recensés dans le classement réalisé par la Banque mondiale et S&P Global Market Intelligence, seulement deux ports apparaissent : le Havre, 292ème et Marseille-Fos, 315ème. Une honte !
Les syndicats veulent faire peur. L’intimidation est une manière de procéder, souvent de mauvaise foi. Cela ne change rien au fait que ce n’est pas à la rue de faire la pluie et le beau temps, quelle que soit la réforme proposée par le gouvernement au pouvoir. Les prétentions des syndicats français apparaissent d’autant plus extravagantes que ceux-ci ne sont pas représentatifs. Ils prétendent l’être avec un aplomb inégalé mais ils ne le sont pas, et les chiffres le montrent ; ce serait une bonne raison de ne plus les considérer comme des « partenaires » avec lesquels on peut dialoguer à égalité. Ils mériteraient d’être discrédités car ce sont des organisations d’un autre âge, qui refusent tout changement, toute réforme, et n’ont pratiquement pas d’équivalent dans les autres pays riches et démocratiques. Ils mériteraient surtout un audit sérieux auprès de l’opinion, qui montrerait que leurs membres sont de moins en moins nombreux et que leurs ressources sont plus qu’opaques. Elles proviennent d’aides directes et indirectes ce qui représente beaucoup d’argent public, comme l’avait prouvé le rapport Perruchot… en 2011 ! Blocages, grèves, pénuries d’essence, insalubrité… les syndicats empoisonnent la vie des Français en leur faisant croire qu’ils agissent pour le bien commun.
Dans quelle mesure les syndicats sont-ils menacés, malgré leur récent regain de popularité, d’une forme de fossilisation ? Qu’est-ce qui pourrait les y mener ?
Jean-François Amadieu : Il y a incontestablement une marginalisation des organisations syndicales depuis environ 2016. Pour que les organisations se refassent vraiment une santé, il faut qu’elles aient des résultats. C’est une bonne chose de mobiliser, mais si c’est inefficace, cela va poser problème. Si les journées de grève, donc les pertes de salaires, ne sont pas compensées par des résultats, cela va décourager. C’est l’un des problèmes récents des organisations syndicales. Que ce soit pour les lois travail ou le conflit de la SNCF en 2018, elles n’ont pas gagné. Il va donc falloir suivre ce qu’il se passe sur d’autres dossiers, comme les augmentations de salaires. Le risque est que si les organisations syndicales n’obtiennent rien, on en vienne à conclure que pour obtenir des choses il faut agir comme les Gilets jaunes et, par exemple, s’attaquer à l’Arc de Triomphe. Les syndicats ont besoin d’obtenir des résultats. Tout n’est pas encore joué, avec la proposition de loi LIOT.
Nicolas Lecaussin : Les syndicats restent impopulaires. Selon le baromètre de l’état du dialogue social en France qui livre un certain nombre de chiffres éclairants sur la relation qui unit les salariés aux acteurs du dialogue social seuls 36 % des salariés pensent que l’action syndicale est efficace et 73 % sont mécontents du fonctionnement du dialogue social, ceux-ci préférant des modèles de défense de leurs intérêts plus simples et plus individualistes, la coordination avec leurs collègues (72 %) ou la discussion avec leur hiérarchie. Le premier reproche des salariés envers les syndicats est leur trop forte politisation (36 %), les travailleurs privilégiant les négociations sociales à mener au sein même de leur entreprise ou de leur branche (85 %) plutôt qu’au niveau étatique. Ils rejettent donc les syndicats à l’ancienne et, si ces derniers ne changent pas, ils resteront complètement fossilisés.
Pour retrouver un véritable attrait et leur place pleine et entière de corps intermédiaires et de maillons de la démocratie sociale, les syndicats peuvent-ils faire l’économie d’une vraie “révolution” interne ?
Jean-François Amadieu : Les syndicats français sont divisés, il n’y aura donc jamais de choc d’unification. On imagine mal qu’un choc particulier pourrait se produire. Ils doivent urgemment revoir leur communication, notamment. Si l’on compare avec les Etats-Unis, cela n’a rien à voir (même si ça ne veut pas dire pour autant que les syndicats américains obtiennent plus de résultats).
Nicolas Lecaussin : Il y exactement 20 ans paraissait l’ouvrage La dictature des syndicats de Bernard Zimmern. Il s’agissait d’une enquête minutieuse sur les dérives des syndicats français et leur terrible pouvoir de nuisance dans de nombreux secteurs d’activité. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Hélas, pratiquement rien. Ils jouissent toujours de la même capacité à bloquer le pays et ils en usent toujours sans modération. Ils continuent à imposer leurs diktats avec la même relative facilité. Avant les journées de mobilisation, les médias nous informent que les négociations avec le gouvernement ont tourné court. En effet, l’intersyndicale met rapidement fin à cette « réunion inutile », comme l’a qualifiée la nouvelle coqueluche des gens de presse, la cégétiste Sophie Binet. Ce que certains appellent « dialogue » tient en réalité de l’injonction suivante : le retrait de la réforme des retraites, ou rien.
En finir avec cette dictature absurde relèverait d’un devoir moral des pouvoirs publics envers les citoyens et contribuables. Mensonges éhontés, méthodes éculées, de plus en plus de sabotages, les syndicats tirent toujours les mêmes vieilles ficelles. Leurs leaders viennent pratiquement tous du public et leurs membres aussi. Leurs oripeaux sont plus qu’usés, mais qui aura le courage du petit garçon qui seul, dans le conte d’Andersen, a osé dire que le roi n’avait pas d’habits du tout et qu’il était nu ?
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Les syndicats, comme les partis politiques, ne représentent pas la population qui n’y voit que des institutionnels profitant du système, soit pour des raisons financières, soit par volonté de pouvoir personnel. Si bien que les institutions ne représentent plus personne, surtout lorsque le guignol s’invite à l’Assemblée, agitée par LFI. La seule façon de faire valoir ses droits devient donc la manifestation, violente car le système détenteur de la force « légitime » est sourd. Nous n’allons pas vers plus de démocratie, n’est-ce pas un régime fort que la majorité souhaitera bientôt pour contrecarrer cette évolution incontrôlée ?